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timent. Auflï eft-ce Ûn fait attefté par
l’H iftoire, que les hommes'n’ont été heureux
que dans les fiècles de lumières ; 8c
fi on jouit de quelque douceur dans celui
où nous v ivon s , il faut l’attribuer à l ’ef-
time qu’on y fait des Savans. Dans tous
les Etats policés on les préconife : ils font
furtout fort confédérés dans la Grande-
Bretagne. Les Anglois qui fe divifent
fur des points quelquefois très-eflentiels,
fe réunifient tous à accorder aux grands
talens les honneurs les plus fignalés. Ils
les excitent, les encouragent, leur donnent
l’efior, & les font même éclore par
l ’émulation. On peut juger de leur zèle
à cet égard par les hommages qu’ils ont
rendu au grand homme dont je vais écrire
l ’hiftoire. I l a été révéré, dit M. de Fon-
tenelle, au point que la mort ne pouvoit
plus lui produire de nouveaux honneurs.
I l a vu fon apothéofe. I l a joui pendant
fa vie de tout ce qu’il méritoit ; bien différent
de Defcartes, qui a été obligé de
vivre loin de fa Patrie pour fe dérober
aux perfécutions qu’on ne cefioit de lui
fufciter. Quoiqu’on doive au Philofo-
phe François les plus belles connoi fiances;
qu’il ait donné une méthode par laquelle
on a découvert & on découvre tous les
jours tant de vérités ; qu’il ait en quelque
forte créé la Métaphyfique ; qu’il ait pu-
' blié les plus beaux préceptes de morale ;
qu’il foit le fauteur de la découverte de
la circulation du fang; qu’il ait répandu
de grandes lumières fur l ’Anatomie par
fon Homme 8c fon fyftême de la formation
du foetus ; qu’il ait allié la Phy-
fique avec les Mathématiques , débrouillé
le chaos de l’Algèbre ancienne, débar-
rafle cette fcience de tous les lignes incommodes
& fatiguans dont elle étoit
chargée, donné des noms très-familiers
& des lignes très-limples aux quantités,
8c que cette fcience , qui- -paroifloit autrefois
inacceflîble, foit devenue entre fes
mains uneefpèce de jeu ; enfin, quoique fa
Géométrie foit un chef-d’oeuvre, 8c qu’il
foit d’autant plus grand lui même , qu’il
n’avoit appris des anciens qu’à mal rationner
& à s’égarer : cependant l ’adulation
pour Newton a été portée à ce
point de le mettre infiniment au-deflus
de Defcartes, Il ne me convient point de
prendre ici le parti de ce fublime génie.
J’ai fait connpître fon mérite & fes découvertes
dans le troifième volume de
cet Ouvrage. Ma tâche aéluelle eft d’ex-
pofer celui 8c celles de Newton. Je
vais tâcher de la remplir avec le plus de
foin 8c de fidélité qu’il me fera poflîble,
afin qu’on puifle faire un jufte parallèle
des deux plus grands Philofophes qui
ont paru depuis la renaiflance des Le ttres
(a ) ,
L a famille de Newton eft reconnue
en Angleterre pour une des plus anciennes
& des plus nobles de ce Royaume.
Elle a pofledé pendant près de deux
cens ans la Seigneurie de Volftrope ; 8c
M. Newton, pere de notre Philosophe ,
étoit Chevalier Baronet : il avoit époufé
Anne Afcough, d’une ancienne famille;
8c c’eft de ce mariage que naquit Ifaac
Newton le 4 Janvier 1643 (nouveau
ftyle ) à Volftrope, dans la Province de
Lincoln. I l perdit fon pere en bas âgé.
Madame Newton négligea aflez fa première
éducation. I l étoit déjà âgé de
douze ans , & il ignoroit les premiers
élémens des fciences. Sa mere fongea
alors férieufement à le faire étudier. Elle
l ’envoya à la grande Ecole de Grantham,
(<*) M. de "Fonttnellc a fait un parallèle fi jufte de
ces deux Philofophes, que je crois devoir tranf-
crire ici ce morceau ,<jui ne fauroit être trop connu.
33 Tous deux, dit cet homme ce'lèbre, ont fondé leur
» Phyïiquefur uneGéometrie qu'ils ne tenoient pref-
93 que que de leurs propres lumières Mais l’un [Def
Sa carres yprenant un roi hardi, a voulu fe placer à la
>3 fource de tout, fe rendre maître des premiers prin-
*3 cipcs par quelques idées claires & fondamentales ,
9i pour n’avoir plus qu’à defcendre aux phénomènes
>3 de la Nature, comme à des conféquences nécef-
n {aires. L’atjtte L Newton ] plus timide ou plus mo-
33 dette , a commencé par s’appuyer fur les phéno-
33 mènes , pour remonter aux principes inconnus ,
93 réfolu de les admettre quels que les pût donner
33 l’enchaînement des confequences. L’un [ Defcartes']
33 part de ce qu’ il entend nettement, pour trouver
33 la eaufe de ce qu’il voit. L’autre part de ce qu’il
33 v o it, pour en trouver la caufe, foit claire, foit
33 obfcure. Les principes évidens de l’un ne le con-
33 duilent pas toujours aux phénomènes tels qu’ils
33 font : les phénomènes ne conduifent pas toujours
33 l’autre à des principes afiez évidens ce. Elo^e m
Newton,
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d’où elle le retira au bout de quelques
années , afin de l’accoutumer de bonne
heure à prendre foin de fes affaires , & à
fe conduire lui-même. Mais le jeune
Newton avoit pris dans ce peu de temps
beaucoup de goût pour l ’étude, &/il fe
trouva par là fi peu propre à féconder les
vues de fa mere, que cette Dame le renvoya
à Grantham,pour y fuivre fon goût.
D e cette E co le , Newton pafîa à l ’U ni
verfité de Cambridge, afin d’y apprendre
les Mathématiques. On lui donna
d’abord les Elémens à’Euclide ; mais il
les trouva fi faciles, qu’il les lut même
rapidement êc fans contention. Un feul
coup d’oeil fur l’énoncé des Théorèmes
fuffifoit pour qu’il en comprît les dé-
monftrations. I l demanda des Livres plus
difficiles à entendre, & on lui indiqua les
Mifcellanea d’Ongtred , la Géométrie de
Defcartes , l ’Optique de Kepler , 8c les
(ESuvres de IPallis, dont il fit l’acquifition.
I l les étudia avec foin, & il y faifoit fes
remarques en les étudiant. Ces remarques
le conduifirent à la découverte d’une
fuite ou férié infinie , par le moyen de
laquelle il vint à bout de trouver la quadrature
de toutes fortes de courbes, leur
reétification, leur centre de gravité, les
folides formés par leurs révolutions, &
la furface de ces folides. L a théorie de
ces fuites étoiffi générale, que quand les
déterminaifons étoient poflibles , elles
s'arrêtaient à un certain point ; & lorf-
qu’elles ne fe terminoient pas, il en trou-
voit les fommes par des régies ; enfin fi
les déterminations précifesétôientimpof-
fibles, il pouvoit en approcher à l’infini.
Newton s’occupa long-temps de cette
découverte , fans en faire parade. Le
Doéteur Barrow fut le feul Mathématicien
qui la v i t , encore ne la vit-il que
légèrement. Notre Philofophe avoit vingt
8c un ans. I l fongea alors à acquérir des
grades dans l’Univerfité. En 1 6 6 4 , il fê
fit recevoir Bachelier , &en 1668 il prit
le degré de Maître-ès-Arts.
Dans ce temps-là, Nicolas Mercator
publia un Ouvrage fur la Géométrie, très-
favant , fous le titre de Logarithmotecnie,
où, il donnoit la quadrature de l’hiperbole
3
par une fuite infinie. L e Doéleur Barrow
fe fouvint , en lifant ce L iv r e , d’avoir
vu cette découverte dans les écrits du
jeune Newton , mais bien plus étendue.
I l alla lui reprocher fa nonchalance de
laifler enfevelie dans fon cabinet fa théorie
des fuites, tandis qu’un autre jouifloitde
la gloire de l’invention. Mais ce reproche
ne l’émut point. I l fe contenta de répondre
à Barrow , qu’il croyoit que fon fecret
étoit entièrement trouvé par Mercator, ou
le feroit par d’autres , avant qu’ il fû t d’un
âge ajje% mûr pour compofer. T ou t ce que
put obtenir M. Barrow, ce fut de communiquer
fon manuferit fur les fuites infinies
, à MM. Collins 8c Milord Brounker,
habiles Mathématiciens. On lifoit à la
tête de ce manuferit ce titre remarquable :
Méthode que j ’avois trouvée autrefois, Grc*
Je dis remarquable, parce que cette méthode
conduit à celle des Fluxions ou
des Infiniment Petits qu’il publia dans la
fuite.
C e fut en cette année que le Doéteur
Barrow réfigna fa Chaire de Mathématiques
dans TUniverfité de Cambridge*
On la propofa fur le champ à notre Philofophe
, qui l’accepta. Comme il fe dif-
pofoit à en remplir les fondions , l’un
de fes amis ( M. Asbon ) le pria par une
Lettre de lui donner des inftruélions fur
la manière dont il devoit fe conduire dans
un voyage qu’il devoit faire, 8c le nou*
veau Profefîeur lui écrivit de fuivre ces
beaux préceptes : i° . Quand vous ferez,
dans une compagnie, obfervez le caractère
de ceux qui y. font. 2 0. Conduifez-
vous de manière à les engager de parler
librement. 30. Ne parlez que par des quef-
tions 8c des doutes. 4 0. Ne méprifez jamais
quelque choie que ce fo it , quelque
mauvaife que vous puiffiez la croire, ou
faites-le avec modération , de peur que
vous ne foyiez obligé de vous retracter
défagréablement. Les éloges rencontrent
rarement d'oppofitions , 8c ceux
qui n’y donnent pas les mains, n’en font
pas fi feandalifés qu’ils font offenfés d»
blâme 8c du mépris. I l n’y a pas-de
moyen plus prompt de s’infihuer dans
l’efprit des gens, que de paroître goûter