éclairé ; parce que nous prenons Couvent
pour véritable plailir ce qui n'en a que
l’apparence. Le defir de la fcience nous
porte à paroître favans. A cette fin, on
n'examine guères quelles font les fciences
qui font à notre portée, & qui font les plus
néceffaires, foit pour fe conduire en honnête
homme , foit pour perfectionner fa
raifon. Les fciences les plus folides & les
plus néceflaires étant allez communes ,
elles ne font ni admirer ni refpeéter allez
promptement ceux qui les pofsèdent, &
ne réveillent point en eux ces idées de
fcience qu'ils fe font formés. Ils cherchent
donc à heurter les chofesles plus naturelles
; à fe jouer de la vérité par des paradoxes,
& à éblouir par un air & un ton de
Angularité. On fait gloire de favoir les
chofes rares, extraordinaires, éloignées,
les choies que les autres ne favent pas ;
parce qu’on a attache , par un^renverCernent
d’efprit, l’idée de favoir a ces chofes
, & qu’il fuffit, pour être favant, de favoir
ce que les autres ignorent, quand
même on ignoreroit les vérités les plus néceflaires
& les plus belles. C’eft ainfi qu'on
acquiert la fcience qui neft que folie &
quefotife.
L'inclination pour les dignités & les
richefles nous empêche encore de trouver
la vérité , & nous engage dans le
menfonge& dans l'erreur. En effet, lorsqu'on
pofsède des dignités & des richef-
fes5 on a de grandes affaires à conduire, &
on .n’eft guères propre par conféquent
à la recherche de la vérité. I e*. Parce
qu'on a fort peu de temps à y employer.
2°. Parce qu'on ne fe plaît point dans cette
recherche qu'on regarde comme inutile.
f$°. Parce qu’on eft très-peu capable d’attention
, la capacité de l’efprit étant par-*
tagée par le grand nombre de chofes que
l’on a ou que l'on fouhaite. 4 °* Pnrce qu on
s’imagine tout favoir, Sc qu’on a de la peine
à croire que des gens qui nous font inférieurs
ayent plus de raifon que nous, y *
Parce qu’on eft accoutumé à être applaudi
en toutes fes imaginations, quelque fauf-
fes & éloignées du fens commun qu’elles
puiffent être. 6°. Et enfin parce qu on
s’arrête plus aux notions fenfibfes, qui
font plus propres aux converfations ordinaires
, & à conferver l’eftime des
hommes, qu'aux idées pures & abftraites
de l’efprit , qui fervent à découvrir la
vérité.
Mais de toutes ces inclinations, celles
qui nous portent le plus dans l’erreur,
font l’amitié, la faveur, la reconnoiflan-
ce, & en général tous les motifs qui nous
engagent à parler trop avantageufement
des autres en leur préfence. Car nous n’aimons
pas feulement la perfonne de nos
amis & de nos bienfaiteurs : nous aimons
encore avec eux toutes les chofes qui leur
appartiennent en quelque façon. Et lorf-
qu’ils témoignent affez de paffion pour la
défenfe de leur opinion, ils nous inclinent
infenfîblement à les croire, à les approuver
, & à les défendre même. Ainfi nous
adoptons leurs erreurs, de même que nous
pouvons communiquer les nôtres à nos
amis, par la même raifon*
V. Que l’homme eft malheureux ! Ce
n’eft pas feulement contre fes fens , fon
imagination , fon entendement & fes inclinations
, qu’il a à fe prémunir pour éviter
l’erreur : fes paflîons font encore dans lui
un obftaele à la connoiflànce de la vérité.
Nous jugeons de toutes chofes félon nos
paflîons , & par conféquent nous nous
trompons en toutes chofes , les jugemens
des paflîons n’étant jamais d’accord avec
les jugemens de la vérité. Nous attribuons
aux objets qui les caufent ou qui femblent
les caufer, toutes les difpofitions de notre
coeur, notre bonté, notre douceur, notre
malice, notre aigreur, ,& toutes les autres
qualités de notre efprit. Lorfque nous aimons
quelque perfonne , nous fommes
naturellement portés à croire qu’elle
nous aime, & nous avons de la peine à
nous imaginer quelle ait deffein de nous
nuire, ni de s’oppofer à nos defirs. Tout
nous paroît aimable dans cette perfonne.
Sa difformité n’a rien de choquant. Ses
grimaces font des agrémens. Ses geftes
mal compofés font juftes, ou pour le moins
naturels. Si elle ne parle jamais , c’eft
qu’elle eft fage. Si elle parle toujours, c’eft
qu’elle eft pleine d’efprit. Si elle parle de
tout, c’eft qu’elle eft univerfelle. Si elle
interrompt les autres fans cefle , c’eft
qu’elle a du feu & de la vivacité. Enfin fi
elle veut toujours primer, c'eft qu’elle le
mérite.
Mais fi la haine fiiccède à l’amour, ces
bonnes qualités fe changent en vices". Tout
nous déplaît en elle. Nous prenons fes
aérions en mauvaife part. Nous ne pouvons
croire qu’elle nous veuille du bien j &
nous fommes toujours dans la défiance à
fon égard quoiqu’elle ne penfe pas à
nous , ou qu’elle cherche même à nous
rendre fer vice.
Ajoutons à ceci qu’il y a des erreurs &
des vérités de certains temps. Les paflîons
caufant des faétions, produifent des vérités
ou des erreurs auflî inconftantes que la
caufe qui les excite.
VI. Après avoir connu les fources de
nos erreurs , c'eft-à-dire les illufiôns des
fens, les vifions de l’imagination, les abf-
traérions de l’efprit, les inclinations de la
volonté, & les paflîons du coeur, il s’agit
de favoir comment on doit fe conduire
dans la recherche de la vérité pour fe garantir
de ces erreurs. Mais un point effen-
tiel qui doit précéder cette connoiflànce,
c’eft de méprifer pour un temps, toutes les '
opinions vraifemblabl.es j de ne point s’arrêter
aux conjeétures , quelque fortes
qu’elles foient ; de négliger l’autorité de
tous les Philofophes, & d’être autant qu’il
fera poflîble fans préoccupation., fans intérêt
& fans paflîon. Avec cette difpofî-
tion on eft prefque sûr de ne point s’égarer
dans les voies étroites qui conduifent
au vrai, ni de fe fatiguer en les fuivant.
L’entrée de ces voies eft l’attention , qui
rend toutes nos perceptions claires & dif-
tinétes.
Tout l’art de eonnoître la vérité con-
fifte donc dans les moyens qui nous rendent
plus attentifs, afin de pouvoir conferver
l’évidence dans nos raifonnemens,
& de voir même tout d’une vue une liai-
fon néceflaire entre toutes les parties de
nos plus longues déduélions. Il y a en
nous différens dégrés d’attention. L’efprit
n’apporte pas naturellement une égale
attention à toutes les chofes qu’il apper-
çoit : il s’applique infiniment plus à celles
qui le touchent, qui le modifient & qui le
pénétrent, qu’à celles qui lui font prêtent
tes, mais qui ne le touchent pas, & qui ne
lui appartiennent pas. C’eft ainfi que nous
nous occupons entièrement des qualités
fenfibles, fans pouvoir même nous appliquer
aux idées pures de l’efprit. Et nous
nous plaifons davantage aux chofes que
nous imaginons , qu’aux idées abftraites
de l’entendement pur.
D’où il fuit, que quand on veut s’appliquer
férieufement à la recherche de la
vérité, on doit i °. éviter, autant que cela
fe peut, toutes les fenfations trop fortes,
comme le grand bruit, la lumière trop
vive, le plaifir,1a douleur, &c.2°. Veiller
fans, cefle à la pureté de fon imagination
, en empêchant qu’il ne fe trace 4dans
le cerveau de ces vertiges profonds qui
inquiètent & diflîpent continuellement
l’efprit. 3°. Et arrêter fur-tout les mouve-
mens des paflîons, qui font dans le corps^
& dans l’ame des impreflîonsfî puiflàntes,
qu’il eft comme impoflîble que l’efprit''
penfe à d’autres chofes qu’aux objets qui
les excitent. Quand on fera ainfi difpofé,
on pourra trouver la vérité , en faifant
ufage des règles fuivantes.
1. Confervez toujours l’évidence dans-
vos raifonnemens;-
2. Ne raifonnez que fur des chofes dont
vous ayez lès idées claires.
3. Commencez par les chofes les plus
Amples & les plus faciles, & arrêtez-vous-
y long-temps , avant que d’entreprendre
la'fecherche des plus compofées & de»'
plus difficiles.
4. Concevez clairement l’état de la-
queftion que vous vous propofez de réfoudre.
y. Découvrez par quelqu’effort d’efprit'
une ou plusieurs idées moyennes , qui
puiffent fervir comme de mefure commune
, pour reconnoître par leur moyen les-
rapports qui font entr’elles.
6 . Retranchez avec foin du fujet que
vous devez confîderer, toutes les chofes;
qu’il n’eft point néceflaire d’examiner ,
pour découvrir la vérité que vous cherchez.
y, Divifez le fujet de votre méditation