fifte que dans la penfée ou dans l’action
de l’efprit; elles ne purent détruire
cette forte de léthargie. Il
falloit encore du temps & de plus
grandes fecouffes pour produire cet
effet.
Au quatorzième fiécle, quelques
perfonnes d’efprit effayerent d’adoucir
les moeurs, ôc d’infpirerle goût
des Lettres par les charmes de la
Poëfie. Ce furent Dante, Pétrarque
ôc Bocace. Leurs écrits plurent, ôc
on chercha à les imiter. Dans ce
temps-là plufieurs Savans Grecs s’étant
expatriés volontairement, fe
répandirent dans l’Italie, & déclamèrent
par-tout hautement contre
l’ignorance. On les entendoit crier
dans les rues, Science àvendre. Emmanuel
Chryfoloras, le plus diftingué
de ces Grecs, enfeigna la Langue
Grecque à Venife , à Rome ôc à
Pavie, ôt forma beaucoup de disciples.
Bientôt après il en arriva Un
plus grand nombre. En 145:3, Mahomet
I I s’étant emparé de Conf-
tantinople, plufieurs Savans de cette
Nation vinrent en Italie ôt en France.
Cette multitude caufa une fermentation
dans ces Etats, qui pro-
duifit enfin une révolution falutaire.
C’eft fur-tout au Cardinal Bejfarion,
à Gémijle Piéton ôt à George de Tré-
bizonde qu’on en fut redevable. Gémijle
Piéton ouvrit la carrière par un
petit Ecrit Grec qu’il publia à Florence,
dans lequel, après avoir comparé
la Philofophie de Platon-à celle
d’AriJlote, il donnoit la préférence
à la première. George de Trébizond1
prit la défenfe d’AriJlote. Le Cardinal
Bejfarion entra dans cette dispute.
Comme il craignoit que les
Difciples de Piéton ne décréditaf-
fent la doctrine de Platon, dont il
faifoit un cas infini, il mit au jour
un Ouvrage en faveur de cette doctrine.
Ce qui le déterminoit à fe déclarer
pour ce Philofophe, c’eft que
fa Philofophie paro'iffoit plus conforme
au Chriftianifme. Les Ecclé-
fiaftiques croyoient y trouver le
Verbe ou la parole divine, parce
que Platon a dit » que Dieu eft un
•> Entendement qui eft Pere ôt Aut
e u r de cet Univers ; que fon idée
»‘eft la connoiffance qu’il a de foi-
» même, ôt le modèle du monde».
Us vouloient aulïi qu’il eût connoiffance
de la doctrine des Hébreux.
On ne trouvoit pas tout cela dans
les Ecrits d’Arijlote, ôt on favoit
que dans le Concile qui fut tenu à
Paris vers l’an 12op,ils avoient été
cenfurés comme des fources exécrables
de toutes fortes d’erreurs ôt
d’héréfies. C’en étoit bien afféz
pour qu’on l’eftimât moins que Platon.
Afin de ne pas tout perdre de
fa doflrine, on crut devoir la reôti-
fier.On ajouta de nouvelles opinions
aux fiennes, ôt on forma par ce
mélange une Science fi monftrueufe,
que la Logique, d’une obfcurité
inintelligible, n’étoit fondée que
fur dés idées purement abflraites ,
ôt fur des queftions abfolument frivoles
ôt ffdiçulçs. La Phyfiquç n’étort
m plus claire , ni plus inftructi-
ve. On expliquoit les caufes des effets
de lanature par des qualités occultes.
Ceux qui défigurèrent ainfi la
Philofophie d’Arijlote, font connus
fous le nom de Scholaftiques. Ils
ont eu pour chef Lanfranc, Arche-
vêcu? de Cantorbery. Comme ils
ne s’entendaient ni les uns ni les
au:res , ils fediviferent bientôt dans
leurs.difputes. Cetre divifion forma
deux partis,, l’un qu’on nomma Nominaux
, dont Rucelin fut le pere ,
ôc Occham, Cordelier Anglais, an-
tagonifte de Schot, le défenfeur (a).
Les Savans qui compofoient l’autre
parti, furent appellés Rcalijles. Schot
les foutenoit avec beaucoup d’ardeur.
La rivalité de ces deux partis
devint fi grande, qu’elle dégénéra
en querelle. On fe traita réciproquement
d’hérétiques en Logique,
ôt on terminoit ordinairementladif
pute à coups de poing. Le combat
étoit quelquefois fi fanglant, que
plufieurs portoient pendant le refte
de leurs jours les marques des bief
fures qu’ils avoient reçues, ôt que
d’autres y perdoient la vie.
Le fujet principal de leur querelle
rouloit furies cinq Univerfaux,
qui font le Genre, YEfpèce , la Différence,
le Propre ôc Y Accident, forte
de divifion des idées dont on ne fait
aujourd hui plus ufage. Les R éalif
tes foutenoient que ces cinq Univerfaux
étoient quelque chofe de
réellement exifiant. Les Nominaux,
qu on appelloit auili lerminijles, prd-
tendoient que ce n’étoient que des
noms, des termes qui ne fignifioient
que les diverfes maniérés dont la
Logique pouvoir envifager les objets
de la première opération de
l’efprit. Cela étoit’plus fenfé que ce
que difoient les Réaliftes. Cependant
ceux-ci obtinrent contre les
Nominaux un Edit de Louis XI, auffi
fanglant que s’il eût été queftion du
renverfement de l’Etat ôt de la Religion.
Malgré cet Edit, les nouveautés
introduites par l’un ôt l’autre parti ,
firent beaucoup plus de progrès
qu’on ne l’avoit cru. On continua à
ajouter à la doctrine d’Arijlote tant
d’abfutdités, qu’il n’étoit plus pofli-
ble d’y rien comprendre. On ne par-
loit que d’Entités modales, de Dijlinc-
fions du lieu interné & externe, à'Intentions
réflexes, de Parties entitatives,
d’EduSlion de formes matérielles, lire.
Cela paroiffoitfibeau, que les chefs
de chaque parti étoient honorés par
leurs fectateurs de titres également
pompeux ôt ridicules, comme le
Docleur profond, le Subtil, le Merveilleux
, le Séraphique, la Lumière
du Monde, le Très-Réfolu, Ylrréfra-
gable, Y Illuminé, le Famigératiffime
ou le Très - Renommé, tire. C’étoit
l’Univerfité de Paris qui étoit la
diftributrice de tous ces titres d hon-
[a] Morojii Poljihiflor. Tom. II»