tes de la part de fes amis, ne purent le gagner.
I l répondit à ceux qui fe mêloient
de cette affaire, qu’il s’étoit moqué fi
fouvent des dédicaces, qu’il ffoferoit s’ex-
pofer aux railleries qu’encouroient ceux
qui en faifoient. Ce n’étoit là qu’un prétexte.
L e véritable motif de ce refus eft
qu’il ne vouloit louer perfonne qui eût.
quelque rang à la Cour du Roi , dont il
avoit fujet de fe plaindre ; & le Duc de
Shretrsbury étoit alors dans le Miniftère.
Dans ce Dictionnaire, Bayle n’avoit
pas oublié les menées de M. Jurieu contre
lui. I l s’en venge un peu en relevant les
fautes qui font dans fes Ouvrages. De fon
c ô té , M. Jurieu ne perdit pas B a y l e
de vue. I l difoit que fes ennemis étoient
les ennemis de Dieu ; & à l’exemple de
Tartuffe, II couvroit toute l ’horreur de
& méchanceté fous le voile de la Religion.
Dans la Chaire de V é r ité, cet ennemi im-,
placable ofoit débiter les chofes les plus
odieufes, dès qu’elles favorifoient fa paf-
fïon. Tous les gens de bien furent furpris
d’entendre prêcher une morale fi fcanda-
leufe. Notre Philofophe la dénonça dans
\ine feuille volante intitulée : Nouvelle Hé-
réjie dans la Morale, touchant la haine du
prochain , prêchée par M. Jurieu dans IE -
glife IValloue de Rotterdam, dénoncée à toutes
les Eglifes réformées. Cette nouvelle,
querelle eut des fuites. Un Officier ami de
B ayle voulut la terminer par une récon- :
çiliation : mai? L a y i , e lui çn fit voir
l ’impoflibilité. S’il fe réconcilioit avec
m o i, dit-il, il faudroit qu’il fe reconnût
lui-même un infâme calomniateur ; & fi
je me réconciliois avec lu i, il faudroit que
je me reconnuffe coupable.
M. Jurieu qui épioit cependant toutes
jes occafions où il pourroit nuire à notre
Philofophe , en faifit une à laquelle le
Dictionnaire Hiftorique donna lieu. Les
Libraires de Pariç inftruits du cas qu’on
fiiifoit de ce Dictionnaire , voulurent le
faire imprimer- Ils en demandèrent la
permiflion à M. le Chancelier, qui commit
M. l’Abbé Renaudot pour l’examiner,
Gelvti-£i en porta u,n jugement fi cjéfavo-
* Voyez I,a Préfacé du JOifliormtfirf ffijloriqite & Çriti^
rable , que M. le Chancelier refufa la
permiflion qu’on demandoit. M. Jurieu fut
inftruit de ces démarches : il fe procura ce
jugement & le publia. M. de Saint-Evre-
monty répondit d’abord officieufement;
& B A y l e fe contenta de déclarer que 11
jamais il le réfutoit, ce ne feroit qu’après
s’être affuré que l’Auteur le reconnoîtroit
pour fien. Mais cette affaire étant devenue
plus férieufe qu’il ne l’avoit c r u , il fut
obligé de fe jùftifîer par un Ecrit public.
On répliqua : & l’éternel M. Jurieu qui
avoit juré la perte de notre Philofophe,
eut allez de crédit pour faire procéder le
Confifloire de l’E glife Wallone de Rotterdam
contre ce Dictionnaire. On trouve
dans VHiJloire de Bayle ïff de fes Ouvrages ,
page 3 3 , le détail de cette affaire, tiré
d’unë Lettre que B a Y L e fit imprimer en
i6jp8.
Ce ne furent pas là les feules tracafferies
qu’occafionna cet Ouvragé. Les Libraires
qui l’avoient fait imprimer en éprouvèrent
d'autres de la part de ceux de leurs confrères
qui avoient le privilège du Diélion»
naire de Moreru Ils prétendirent que le
nouveau Diélionnaire Hiflorique& Critique '
étoit femblable à celui-ci. Quelque mal
fondée que fût cette objeCtion., les Libraires
de B a y l e n’obtinrent un privilège
des Etats Généraux , qu’à condition que
l’Auteur fe nommerait dans le -titre. E t
c’eftici le premier Ouvrage où notre Phi--
lofophe ait rais fon nom, On va juger s’il
peut avoir quelque rapport avec Moreri,
que les Anglois nomment le Diélionnaire
Bourgeois, * par un précis de celui de
B a y l e .
On peut regarder ce Dictionnaire comme
divifé en deux parties. L ’une eft purement
hiftorique ; ôc l’autre eft un mélange
de preuves & de difcuflîons , en forme de
commentaire , mêlées de réflexions phi-
lofophiques.il y règne une variété infinie.
Dans le texte ou le corps des articles, l’A u teur
fait avec beaucoup d’exaCtitude & de
précifion l’hiftoire des perfonnes dont il
parle ; mais il fe dédommage dans les remarques
qui font au-deffous du texte, &
de M. Cba:ij[ipi(.
qui
.qui lui fervent de commentaire. I l donne
le caraCtère de ces perfonnes : il démêle
les circonftances de leur vie & les motifs
de leur conduite : il examine le jugement
qu’on en a fait & qu’on en peut faire. Il
traite des matières très - importantes de
Religion, de Morale & de Philo fophie.
I l femble même que le texte ait quelquefois
été fait pour les remarques. Les actions
ou les fentimens d’une perfonne obf-
cure & prefqu’inconnue, lui donnent oc-
cafion d’inftruire ou d’amufer agréablement
leLeCteur. Ainfî plufieurs articles qui
femblent ne rien promettre, font fouvent
accompagnés de chofes les plus curieufes.
I l fait par-tout la fonction d’un Hiftorien
exaCt, fidèle, defintereffé, & d’un Critique
modéré , pénétrant & judicieux. En
parlant des Philofophes , il s’attache à
découvrir leurs opinions , & à en faire
fêntir le fort & le foible.
Perfuadé que les difputes de R eligion,
qui ont caufé dès maux infinis dans le monde
, ne viennent que de la trop grande confiance
que les Théologiens de chaque parti
ont en leurs lumières, il prend à tâche de
les humilier, & de les rendre plus retenus
& plus modérés, en montrant qu’une Secte
auflï ridicule que celle des Machinéens
leur peut faire des objections fur l’origine
du mal & la permiflion du péché , qu’il
n’eft pas polfible de réfoudre. I l va même
plus loin. I l établit en général, que la
rai fon humaine eft plus capable de réfuter
& de détruire que de prouver & de bâtir;
qu’il n’y a point de matière théologique
ou philofophique, fur quoi elle ne forme
de très-grandes difficultés ; de manièreque
fi on vouloit la fuivre avec un efprit de
difpute auflï loin qu’elle peut aller, on fe
trouverait fouvent réduit à de fâcheux
embarras ; qu’il y a des doctrines certainement
véritables, qu’elle combat par des
objections infolubles ; qu’il faut alors n’a-
voir point d’égard à ces objections, mais
reconnoître les bornes étroites de l ’efprit
humain, l ’obliger elle-même à fe captiver
fous l ’obéiffancede la fo i, & qu’en cela la
raifon ne fe dément point, puïfqu’elle agit
conformément à des principes raifonna-
bles. I l donne en même temps plufieurs
exemples des difficultés que la raifon trouv
e dans la difcuflîon des fujetsles plus im-
portans , & le plus fouvent il le fait en
fimple rapporteur.
I l tâche d’infpirer la même retenue à
l’égard des matières hiftoriques. I l fait
voir que plufieurs faits qu’on n’avoit jamais
révoqué en doute, font très-incertains1,
ou même évidemment faux : d’où il
eft facile de conclure qu’il ne faut pas
croire légèrement les Hiftoriens, mais
plutôt s’en défier & fufpendre fon jugement,
jufqu’à ce qu’un examen rigoureux
nous ait affuré de la vérité de leur récit.
Voilà l’analyfe qu’a donnée M. des Mai-
féaux* du Dictionnaire de Bayle, & que
j’ai trouvé fi exa&e & fi jufte, que je n’ai
pas cru devoir y rien changer.
L e fuccès qu’eut cet Ouvrage fit un
honneur infini à notre Philofophe. I l en
reçut de toutes parts des témoignages de
confidération & d’eftime. En 1700 la
Princefle Sôphie , Eleôrice Douairière
d’Hanovre , & l’Ele&rice de Brandebourg
fa fille , depuis Reine de Pruffe,
voulurent voir la France & la Hollande.
Comme elles aimoient les Lettres, qu’elles
connoiffoient le mérite de B a y l e ,
& qu’elles l ’eftimoient, le defir de voir la
Hollande s’augmenta par le plaifir de
connoître perfonnellement un homme auflr
illuftre. A peine arrivées à Rotterdam ,
elles envoyèrent prier B A y L e de les venir
voir ; mais il étoit fort tard, & notre
Philofophe étoit au lit où une migraine le
retenoit : il ne put avoir cet honneur.
Ces Princeffes partirent le lendemain pour
la Haye , fans avoir vu B a y l e . M. le
Comte de Dhona, pour leur faire fa cour,'
fit connoître à M. Bafhage, qui étoit alors
dans cette V i lle , le defir qu’elles avoient
de le voir. M. Bafnage l’écrivit à B ayle ,
qui partit fur le champ pour la Haye. Il
fut reçu des deux Princeffes avec beaucoup
de diftinCtion. L a Princeffe Sophie;