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dévoient être réfervés qu’aux Minières.
Cette Hiftoire ne parut qu’après une fé-
vere revifion , où les Cenfeurs rayèrent
tout ce qu’ils jugèrent à propos. Ils ufe-
rent néanmoins de ménagement, en con-
fideration de l’Auteur ; & ce ménagement
fut tel qu’ il fallut y revenir lorfque
l ’Ouvrage fut rendu public. On y fit encore
des changemens, par lefquels on
fupprima des pages entières.
Notre Philofophe ne v it point la fin de
cette impreflïon. Un mal au pied qu’il
négligea , le mit au tombeau. C ’étoit
d’abord peu de chofe ; mais l’inflammation
s’y étant mife, la gangrené fuivit de
près. I l ne reftoit d’autre refîource pour
éviter les progrès de ce mal, que de lui
couper le pied. P ü f e n d o r f f ne
put fe réfoudre à y confentir. L ’Eleéteur
de Brandebourg qui vouloit lui fauver la
vie , à quelque prix que ce fû t, engagea
les Médecins & les Chirurgiens à mettre
tout en oeuvre pour le guérir. Les Médecins
crurent que la crainte des douleurs
de l’opération, l’emportoit fur la crainte
delà mort. Us imaginèrent de l’afioupir,
& de lui couper la jambe pendant l’aiïou-
piiTement. L ’opération fut faite avec fuc-
cès. Quand le malade fe* réveilla, il fe
trouva mieux. Mais lorfqu’il apprit ce
qui s’étoit paffé pendant £on fommeil,
il fe chagrina de telle forte, que la fièvre,
inféparable-de cette forte d’opération. ,
ayant augmenté , elle l’emporta dans peu
de temps. Il mourut le 2 6 Octobre i
âgé de 63 ans.
Morale & Principes de LégifLation de
P ü f e n d o r f f fur le Droit de
la Nature des Gens.
On définit la Morale la fcience dés
moeurs, ou l’art de diriger Sc de tempérer
la liberté des adions humaines , pour
régler convenablement notre vie. Ainfî
les adions morales regardent diredement
D o R F F.
l’ufage de notre raifon. Généralement
parlant, elles font bonnes, ces adions ,
quand la raifon les autorife : elles font
mauvaifes, quand elle les réprouve. I l
faut par conféquent que cette faculté de
l ’entendement connoifTe le bien & le m al,
pour qu’elle puiflè faire l ’un Sc éviter l’autre.
Afin de parvenir à cetteconnoiflance,
voici les préceptes généraux qu’elle doit
obferver.
i ° . Lorfque deux propositions font
appuyées également par de bonnes rai-
fons, il eft permis de choifir celle qu’on
veut*
2°» Lorfque de deux propofitions V
l ’une paroît plus probable, on doit choifir
celle-ci.
30. Dans les matières fur lefquelleson
efl: parfaitement inflruit, on doit fuivre
de deux avis différens , celui qui paroît le
plus probable , quand même la multitude
ne l’approuveroit pas, pourvu qu’en s’écartant
de l’opinion reçue, il n’en réfulte
aucun inconvénient. '
4.0. Quand on ne connoît point une
matière y on doit s’en rapporter aux per-;
fonnes éclairées.
y°. Lorfqu’une puiflance fupérieure
ordonne une chofe qu’on ne croit pas per-
mife, on doit obéir , quand même on
n’approuveroit pas intérieurement l’action
qu’elle demande, (a)
6°. Dans les chofes de peu d’importance
ou qui font urgentes, s’il y a de
part & d’autre la même probabilité, on
peut préférer celle qu’on veut.
7 0. Dans les chofes de grande confé-
quence ou fur lefquelles on a le temps de
délibérer , on doit choifir la plus certaine
, quand même on s’éloignerait
beaucoup du but qu’on fe propofe.
Ces principes pofés, il faut favoir que
les allions morales font néçeflaires ou
libres, bonnes ou mauvaifes, juftes ou
injuftes. Une adion nécefîaire efl celle
que la loi nous oblige de faire. L ’adion
00 Cette irçaxime eft vraie politiquement » mais
elle eft moralement fauffe. Toutes les puiffances du
monde n’ont pas droit d’exiger des chofes non peç-
niifes, comme l’injuftice. La loi naturelle défend
ces aftes , & cette loi eft au-deffus de toutes le*
puiffances. On doit fans doute plier à la force ;
mais cette force ne donne point .de droit à celui
qui l’emploie. C'eft une pure tiranniç.
eft
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eft libre quand elle n’eft commandée ni
par la loi divine, ni par la loi humaine,
ou qu’elle eft Amplement tolérée , la lo i
n’infligeant aucune peine à ceux qui la
commettent, & laiuant à l’honneur le
loin de la contenir ou de la permettre.
Dans le premier cas elle eft parfaitement
libre ; & elle l’eft imparfaitement dans
le fécond.
Une bonne adîori eft celle qui s’accorde
avec la loi , & une mauvaife action
, celle qui s’en écarte. Car la loi eft
la régie qui fert à juger des bonnes Sc des
mauvaifes adions. Enfin une adion eft
jufte, quand elle s’accorde avec les intérêts
des autrés hommes ; Sc elle eft in-
jufte , quand elle les contrarie. Mais fi la
loi eft la régie des adions morales , il eft
nécelfaire que cette loi foit didée par la
nature ; qu’elle foit l’ouvrage du Créateur
, Sc qu’elle en feigne à l’homme ce
qu’il doit faire Sc ce qu’il doit éviter. Sans
cela , que feroit-ceque la liberté, fi nous
étions également autorifés à faire des choies
, dont nous devons nous abftenir, Sc
a négliger celles que nous fommes obligés
de pratiquer ? Aufli cette loi porte-
t-elle tous les caraderes de la Divinité.
E lle prefcrit toutes les adions avanta-
geufes au genre humain, au bien de la
foc ié té , à la confervation de chaque individu,
telles que la bienfaifance, l ’humanité
, la miféri corde, la bonne fo i, la
gratitude , &c. ; Sc elle défend celles qui
lui font contraires, comme la perfidie ,
l ’ingratitude, &c.
D ’où il fuit qu’en obfervant la lo i , on
fait toujours de bonnes adions, Sc jamais
de mauvaifes. De là la tranquillité d’ef-
p r it , le témoignage infiniment agréable
d ’une bonne confciencë , Sc en général
tous les avantages qu’on peut fouhaiter'
pour l’ame Sc pour le corps. De-là la
bonne intelligence dans la fociété, une
douce concorde parmi les hommes , de*
bons offices réciproques , Sc des fecours
mutuels.
Par çè double avantage que procure
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la lo i, celui du particulier Sc celui du public
, on voit qu’elle a deux parties:
l’une qui regarde l’homme en lui-même,
qui eft diredement fuggérée par la nature,
Sc qu’on appelle pour cette raifon Droit
Naturel : l’autre qui concerne la fociété,
& qui eft une fuite & une dépendance de
c e lle -c i, Sc en quelque forte une application
de ce droit à la fociété, & qu’on
nomme ou Droit Civil, ou Droit des Gens.
Droit C i v i l , lorfqu’il n’eft queftion que
des membres d’une fociété ; Sc Droit des
G en s , quand il s’agit des intérêts de fociété
à fociété , comme des égards que
les Nations fe doivent, foit en paix, foit
en guerre.
Les obligations que leDroit Naturel im-
pofe à l’homme,font de veiller à fa confervation,&
de faire tous lès efforts pour bien
mériter de celui à qui il doit l’être , Sc de
ceux avec lefquels il vit , afin qu’il ne
foit pas un poids inutile fur la terre. Son
occupation doit donc confifter Sc à avoir
foin d efonco rps, Sc à fe rendre utile à
la fociété dans laquelle il eft. P ou r cela
il doit choifir un genre de vie honnête ,
profitable à la capacité , à fon éta t, à fa
fortune & à fes forces. Car non r feulement
ce n’eft pas vivre conformément à
la nature de ne vivoter que de rapines,
mais encore de ne point faire ufage des:
talens qu’on peut en avoir reçu. On doit
les facrifier au bien de fes concitoyens ,
quelque ingrats qu’ils puiflent être de
ce facrifice. Ce,, n’eft pas pour nous feuls
que nous vivons , mais pour Dieu Sc
pour la fociété ; de forte que fi notre
fang pouvoit être utile à la gloire Sc au
falut du genre humain , il faudrait fe hâter
de le répandre.
Concluons donc : i° . Qu’on ne doit,
offenfer perlonne ni lui cauler aucun préjudice
; Sc que dans le cas où l ’on aurait
le malheur de faire l’un ou l’autre, on
eft obligé de le réparer.S’emparer du bien
d’autrui Sc en faire fon bien propre, eft
encore plus contre nature, dit Cicéron, (a) :
que la mort Sc la douleur.
00 De Ojfuiii, Lib. III.
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