nomie annonçoit la candeur de fon ame.
I l fe mettoit à la vérité fort aifément en
colère ; mais il en revenoit facilement.
I l avoit l’air appliqué, la vue très-courte,
mais infatigable. Sa taille étoit médiocre.
Quoique d’une complexion vigoureufe,
n’ayant eu d’autre maladie que celle de
la goutte, il étoit aflez maigre. I l man-
geoit cependant beaucoup, mais il buvoit
peu, Sc jamais de vin fans eau. Les heures
de fes repas n’étoient marquées que
par la fin de fes études & fon appétit. I l
ne tenoit point de ménage, & envoyoit
chercher chez un Traiteur la première
chofe qu’on trouvoit. Quand il avoit
la goutte, il ne prenoit qu’un peu de lait
fur le midi ; mais il faifoit un grand fou-
per. I l ne fe couchoit ordinairement qu’à
une ou deux heures après minuit : fou-
vent aufli ne fe couchoit-il pas du tout.
I l dormoit aflis fur une chaife, & ne s’en
réveilloit pas moins frais à quatre heures
du matin. I l fe remettoit au travail fans
quitter le fiége ; & il lui arrivoit aflez
fréquemment d’y refter pendant des mois
entiers ; pratique fort bonne pour les
fatisfaérions de l’efprit, mais très-mau-
vaife pour la fanté du corps. Aufli lui
attira-t-elle une fluxion fur la jambe
droite avec un ulcère ouvert, qui l’obligea
long-temps à garder le lit.
Sa méthode étoit de faire des extraits
des livres qu’il lifoit ; & comme il lifoit
beaucoup, & que fa mémoire étoit pro-
digieufe, il y avoit très-peu de matière
qu’il ne connût. L e Roi d’Angleterre,
George I , l’appeloit fon Di&ionnaire v ivant.
Il favoit prefque toutes les langues,
& écrivoit très - purement en François.
Soit par modeflie, ou qu’il regardât tous
les titres comme un fafte que deyoit dédaigner
un Philofophe, il ne fe défignoit
jamais dans fes ouvrages , que par les
trois lettres initiales de fon nom, G .G .
L . Amplement ( dit M. de Jaucourt dans
fa vie ) ( n ) , modeftement & fenfément.
I l lui étoit effectivement bien inutile ,
ajoute .cet A uteur , » de fe parer de ces
» vains titres d’honneuf fl chers aux efprits
»du commun. Son nom feul (aifoit fon
» plus grand titre , & marquoit le prix
» de fes productions. Les anciens n’en
» ufoient pas autrement, Sc les gens
» fages d’entre les modernes n’ont point
» cru devoir enchérir fur leurs Maîtres ».
I l étoit en commerce de lettres avec
tous les Savans de l’Europe , & appre-
noit par eux tout ce qui fe pafloit dans
la République des Lettres. Son zèle
pour le progrès des Sciences étoit fi
grand, qu’il ne fe contentoit pas de travailler
fans relâche à contribuer à leur
avancement. Il provoquoit encore ceux
qui avoient allez de lumières pour y
concourir : il leur faifoit part de fes avis,
leur communiquoit fès remarques, content
de recueillir de fes libéralités le
plaifir fecret d’être utile au Public. Toutes
ces qualités lui avoient fait une fi
grande réputation , qu’il étoit connu &
eftimé dans toutes les Cours. L ’EleCteur
de Mayence, le Duc de Brunfwick-Lune-
bourg, Erneft-Augufîe fon fucceffeur , 1{
Roi de Prune, l’Empereur Jofeph, l’Em
pereur Charles V I , le Roi d’Angleterr
George I , & le Czar Pierre le Grand, lui
firent despréfens, des penfions,& le décorèrent
de titres fort honorables. Plu-
fieurs PrinceflTes lui -donnèrent fouvent
des témoignages de leur bienveillance.
Un Philofophe qu’on combloit de biens,
& qui en favoit fi peu faire ufage, par
fa façon de vivre fans fafle & fans lu x e ,
foit de meubles, foit de tab le , devoit
avoir beaucoup d’argent de refle. Aufli,
outre foixante mille écus qu’on trouva
dans fes coffres , on découvrit encore
une fomme très-confidérable qui étoit
cachée. A la vue de ce tré for , la femme
de fon héritier fut fi faifiede joie, qu’elle
en mourut Subitement.
I l femble qu’un Philofophe ne devoit
pas avoir de fi grandes richefles ; Sc delà
on peut conclure que celui dont j’écris
l’hifloire aimoit 'fargent ; fauffe conclu-
fion fans doute : car L eibnitz n’avoit
de pafîïort que pour l’étude & pour la
gloire. I l avoit un grand revenu par les
penfions que lui faifoient plufieur$ Souverains
, & il vivoit avec la même frugalité.
L ’argent s’accumuloit fans qu’il y
prit garde ; Sc comme il n’en faifoit pas
c a s , il oublioit fouvent où il l’a voit mis.
Une accufation plus grave & mieux fondée
, c’eft de n’avoir été qu’un grand Sc
rigide obfervateur de la Religion naturelle.
Ses Pafteurs lui en ont fait fouvent
des réprimandes publiques Sc inutiles :
ce font les termes de M. de Fontenelle.
Mauvaife voie pour convertir quelqu’un ;
des exhortations particulières Sc pathétique
s auroient eu plus de fuccès.
A l ’âge de cinquante ans, il avoit fongé
à fe marier. L a perfonne qu’il vouloit
ép ufer , demanda un délai pour faire
fès réflexions : cela lui donna le temps
de fa:re les fîennes, & élles le dégoûtèrent
de fa réfolution. Ses livres lui
tenoient lieu de fociété ; Sc livré plus que
jamais à fes méditations philofophiques ,
il avoit réfoltf de ne s’occuper que
du bonheur du genre humain. Voilà
pourquoi il cherchoit à éclairer du
flambeau de l’évidence les matières les
plus obfcures , perfuadé que l’évidence
tranquillife l’efprit, Sc le fatisfait. C ’eft
ce qui l ’avoit engagé à travailler à la Mé-
taphyfique, qui eft la fcience des idées.
I l vouloit fixer le fens de ces mots vagues
que nous ne pouvons définir ; tels que l’ef-
pace, le temps, le vuide, le naturel, le fur-
naturel, &c. Il prétendoit que l’efpacen’eft
autre chofe que l’ordre des chofes coexif-
tantes , Sc que le temps eft un être abftrait
qui n’eft rien hors de ces chôfes. Newton
fouttnoit que l’efpace eft le fenforium de
Dieu , c’eft-à-dire, par le moyen de
quoi Dieu eft préfent à toutes chofes.
Cette définition, toute incompréhenftble
qu’elle e f t , eut des Partifans; Sc Clarke,
pour la faire valoir, combattit celle de
L e i b n i t z . Notre Philofophe avoit re-
poufle cette attaque ; Sc les écrits fe multipliant
, la difpute étoit devenue trèSvive.
On fait que Clarke eft un des plus
profonds Métaphyficiens qui ayent paru
dans le monde ( 0 ) ; Sc voilà L e i b n
i t z aux prifes avec lu i , avec les plus
grands Mathématiciens pour les Mathématiques
, avec le fameux Bayle pour
la Logiqu e, Sc avec les plus favans
Hiftoriens pour l’Hiftoire. Quel homme !
Sc quelle perte ! 11 avoit promis un ouvrage
de la fcience de l’infini ; Sc fa tête
étoit encore pleine d’idées fublimes ,
quand la mort l’enleva. On a donné à la
fuite de fa vie ( imprimée dans le premier
volume de fes Ejfais de Théodicée déjà
cités ) une lifte Sc de fes ouvrages pofthu-
mes, Sc de ceux qu’il a publiés pendant
fa vie. Son portrait eft à la tête de cet
écrit ; & on lit au bas ces beaux vers de
M. de Voltaire, bien dignes d’être tran films
à la poftérité, & pour l’honneur du
Philofophe , & pour celui du Poète.
Il fut dans l’ Üriivers connu par fes ouvrages,
Et dans fon Pays même il fe fit rêfpe&er.
I l inftruilït les Rois, il dclâira les Sages:
Plus fages qu’eux, il fut douter.
L ’Optimifme , ou Syjlême de L eienitz
fur la bonté de Dieu l’état du monde.
» On a vu de tout temps que le com^
» mun des hommes a mis la dévotion
» dans les formalités : la folide piété, c’eft-
» à-dire, la lumière Sc la vertu, n’a jamais
» été le partage du grand nombre » (p ).
Cependant la véritable piété confifte
dans les fentimens Sc dans la pratique ; Sc
les formalités ne font ou que de pures;
cérémonies , ou que des formulaires de
croyance. Les cérémonies reffemblent aux
aérions vertueules , Sc les formulaires
font comme des ombres de la vérité-
Aufli celles-là ne font pas propres à entretenir
l’exercice de la vertu , Sc celles-
ci ne font pas fouvent bien lumineufes;.
Ceux qui s’en contentent pour rendre
à la Divinité l’hommage qui lui eft dû r.
s’imaginent être dévots fans aimer leur
( 0 ) Voyez l’Hiftoire
tp ) 1'J fais de Théodicée,.
de Clarke dans le premier volume de cette.Hiftoire des Philofiophes Moderner..