qui lui offroît fa maîfon à Louvain , &
tout ce qu’on peut attendre d’un véritable
ami. Mais M. du Maurier 8c le Préfî-
dent Jeannin lui ayant fait favoir qu’il
pouvoit compter fur la protection du
R o i, fur l’eftirae des perfonnes de la plus
grande confidération, & fur leur amitié ,
s’il vouloit venir à Paris, il prit ce dernier
parti. I l y arriva le 13 A v r il 16 2 1 .
M. BoiJJîre, qui avoit été Ambaffadeur
en Hollande dans le temps du procès
de M. de Rarnevelt, M .d e Hic & le Préfî-
dent Jeannin, le reçurent avec les plus
grandes démonftrations d’amitié, & lui
prefcrivirent la conduite qu’il devoit tenir
à la Cour. Les Savans & les. Minières
s’emprefferent à lui donner des marques
de la fatisfaftion qu’ils avaient de devoir
parmi eux. M. Ptirejc célébra fon arrivée
par deux épigrammes latines. , dont le
fens de l’une e f t , que les François en
l’enlevant aux Hollandois , ne faifoient
que fe dédommager du vol qu’ils leur
avoient fait jadis- du grand Scaliger. L e
Garde des Sceaux ( M. du Vair ) lui écriv
it une lettre pleine des fentimens de la
plus haute eftime & des affurances les plus,
fartes de fon amitié. C e ne fut point ici
un fimple compliment de Cour. I l réalifa
fes offres en employant tout fon crédit
pour engager le Roi à lui accorder une
gratification, en attendant qu’il lui donnât
une penfion. E t lorfque Sa Majefté
fut de retour dê Fontainebleau, où elle
étoit lors de l ’arrivée de G r o t i -u s à
Paris, M. du Vair\e lui préfenta conjointement
avec le Chancelier. L e R oi le
reçut avec la plus grande bonté, & lui
f it délivrer le brevet d’une penfion de
trois mille livres. Je ne dois pas oublier
que le Prince de Condé.fe fit un mérite de
leeonder dans cette occafion le Garde
des Sceaux. Pour donner des preuves encore
plus éclatantes de fa bienveillance
envers G r o t i-u s , Louis X l l l . protégea
en fa confidération ceux qui avoient été
perfécutésen Hollande ; & par des L e t tres
Patentes données; à Nantes le 22
A v r il 1 622., les,mit au rang de fes fujets
naturels..
Notre. Philofophe partageait, avec.
fon époufe le contentement que toutes
ces grâces, lui procuroient, 5c il y étoit
d’autant plus fenfible. Car Madame Grotius.
étoit arrivée à Paris peu. de temps.-
après fon mari. E t il y a tout lieu de
croire qu’il eût paffé le refie de fes jours
dans cette Capitale , fi fes ennemis,
avoient pu affez fe refpefter pour cacher,
leur haine envers un homme, qui. jouif-
foit dans toute l ’Europe de la confidération
la plus diftinguée. Les Etats Généraux
infîruits de l’accueil qu’on luifaifoit
en France, ordonnèrent à leurs Ambaffa-
deurs de lui rendre les. plus mauvais offices
; 8c ceux-ci exécutèrent cet ordre avec
la plus grande chaleur. G r o t i u s ne
fe vengea qu’en parlant de fa patrie en
bon citoyen , 5c en cherchant à la fervic
dans toutes les occafions : ce qui lui attira
des éloges du R o i , qui ne pouvoit felaffer
d’admirer la noblelfe de fes procédés.
Cette modération ne défarma point les
Etats Généraux. Ils travaillèrent lourdement
pour le priver de la penfion que le
Roi lui avoit accordée; & il ne faut pas
douter que ce ne fut par leur intrigue qu’on
en fufpendit le payement. Ils voulurent
encore rendre fa conduite fufpeéte a la
Cour de F rance. Toutes ces menées deve-
noient d’autant plusfëcheufes, que Grotius
venoit de perdre fon grand ami, le
Garde desSceaux.Dans cette conjoncture,
il crut qu’il étoit temps de fe juftifier,& de
mettre fous les yeux de l’Univers fon
innocence 8c l’iniquité de fes Juges. C ’eft
ce qu’il fit dans un Ouvrage qui parut
écrit en Hollandois-, & qui fut bientôt
traduit en Latin fous ce titre : Apologeti- -
eus eorum , qui Hollandice , IHefifrificcque.
vïcinis quibufdam Nationibùsex legibus-
preefuerunt ante mutationem , quee ev.enit
anno 1 6 1 3 , feriptus ab Hugone G r o t 10 9 .
Jurifconfulto , Grc. I l fait voir dans ce
livre , i ° . les défauts de formalité que
l’ôn commit en l’arrêtant ; 2°. que ceux
qui l’avoient fait arrêter n?en avoient pass
le droit; 30. que les Etats Généraux n’a -
voienfcpoint d’autorité fur ies fujets des
Provinces ; qu’il étoit membre des Etats
de Hollande, & qu’il avoit été arrêté dans
la Province de. Hollande., où les Etats.
'Généraux n’ ont point de Jurifdiétion ;
4.0. & i l détaille les irrégularités du jugement
rendu contre lui.
Cette Apologie fut envoyée en Hollande
dès qu’elle fut imprimée. Les Etats
•Généraux en furent d’autant plus indignés
, qu’il étoit comme impoflîble de la
■ réfuter. Auffi fe livrerent-ils fans réferve
■ •à ce mouvement d’indignation. Ils la
proferivirent 8c la condamnèrent comme
•calomnieufe & attentatoire à la fouveraine
autorité du gouvernement des Province
s , injurieufe envers le Prince d’Orange,
le s Etats des Provinces particulières 8c
'des Villes même. En conféquence de ces
qualifications, ils défendirent de la garder
Tous peine delà v ie ; & déclarèrent que
G r o t i u s feroit appréhendé au corps
■ en quelque lieu que ce fût. Cette Ordonnance
inquiéta avec jufte raifon notre
Philofophe. I l préfenta une Requête au
R o i , pour le fupplier de lui accorder fa
proteéHon contre l ’entreprife des Etats
Généraux. Sa Majefté eut égard à cette
Requête, & lui fît expédier le 2 6 Février
16 2 3 des Lettres qui portoient, qu’elle
îe prenoit fous fa protection fpéciale.
G r o t i u s fut infiniment fenfible à
*ce bienfait. I l réfolut de témoigner fa
gratitude à fon Protefteur, en publiant
Tes vertus. Dans cette vue , il forma le
projet de cet Ouvrage incomparable,
que M. Bayle appelle un chef- d’oeuvre.
Je.veux dire le Traité du Droit de la Paix
& de la Guerre, qu’il voulut dédier au
Roi. Afin d’y travailler avec plus de
recueillement, il crut devoir quitter le
tumulte de Paris. M. le Préfîdent de Mefme
lui offrit fa maifon de plaifance , près de
Senlis , connue fous le nom de Balagni , 5c il accepta cette offre.C’étoit M. Peyrefc
quL l ’avoit engagé à traiter ce fiijet; mais
cette invitation , quelque recommandable
qu’elle fû t , n’auroit pas eu fon effet,
fi le génie de notre Philofophe n’eût pas
été de la plus forte trempe. Il le fit bien
voir dans cette occafion, en réduifant en
fyftême une des plus belles & des plus
utiles de toutes les Iciences, c’eft-à-dire,
le Droit naturel. Auffi fon Traité eut un
foccès prodigieux, L e grand Gujiave le
f it traduire en Suédois ; Sc à fon exemple
toutes les Nations voulurent enfui te l’a-,
voir en leur langue. Ce livre effuya cependant
des critiques, tant il eft vrai que
les belles productions excitent toujours
l ’envie. Cette paffion s’empara même
a ce fu je t, d’un des plus favans hommes
du fiécle dernier. Saumaifi, ( c’eft
le nom de cet homme ) qui avoit été
l’admirateur de G R o T 1 u s , devint tout-
à-coup fon ennemi. I l ne put foutenir l’éclat
de ce nouvel Ouvrage. Son amour
propre en fut bleffé. L a jaloufîe piit chez
lui la place de l’eftime. 11 parla avec le
plus grand mépris du Traité du Droit de
la Guerre & de la Paix ; 8c il fe fit à ce
fujet tellement illufion, que dans ladif-
pute qu’il eut avec les Anglois fur le
droit des Rois , il copia , (ans s’en ap-
percevoir fans doute , des lambeaux de
ce Traité , lefquels formèrent la meilleure
partie de fa défenfe.
C e n’étoient pas néanmoins des enne*^
mis -dangereux que ceux qui écrivoient
^contre notre Philofophe. Les Ambaffa-
deurs de Hollande lui portoient fourde-
ment de plus terribles coups. Ils le calomniaient
fans pudeur 8c fans ménagement
; & ils ne trouvoient que trop à la
Cour des oreilles dociles. G k o t i u -S
reffentit l’effet de leur méchanceté par là
fufpenïïon de fa penfion. Pour comble de
calamité , M. d’A ligre, qui avoit les
Sceaux, fut difgraeié , 8c M .de Marillac9
ennemi. implacable des Proteftans , lui
fuccéda. Ce fut une autre raifon pour rebuter
G r o t i u s . Quoiqu’il aimât le
féjour de Paris & la fociétê qu’il y avoit
formée, il ne crut pas devoir y refter plus
long-temps. Il alla d’abord en Hollande,
où il efpéroit être bien reçu du nouveau
Stadhouder, le Prince Frédéric-Henri, qui
Paimoit beaucoup , ( le Prince Maurice
étant mort. ) Mais l’événement ne ré pondit
pas à fes efpérances. Tout ce que
purent faire fes amis, ce fut d’obtenir la
reftîtution de fes biens, qui étaient in-
faififfables , parce que G r o t i u s étoit
Bourgeois de D e lft , & qu’en cette qualité
il jouiffoit du droit inconteftable dont
cette Ville étoit depuis long-temps en