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demeurer fouvent dix à douze heures dans
fon lit. I l travaillait long-temps, & aimait
allez les exercices du corps. Il regar-
doit la lànté comme le principal des biens
de cette vie après la vertu. Après s’être
entièrement dégagé de cette chaleur de
fo ie , qui lui faîfoit aimer les armes‘dans
fa jeuneflè, il prit un train de vie lî égal
& fi uniforme, qu’il ne fut jamais malade
que de la caufe étrangère qui le fit mourir
. en Suède. Ses deux grands remedes étoient
la diète & la modération de fes exercices,
& il étoit extrêmement attentif à délivrer
fon arne des fortes pallions, comme la
colere ,- la crainte, &c. qui ont beaucoup
d’empire fur le corps.
I l avoir fix à fept mille livres de rente,
C ’en était bien allez pour un Philofophe.
Auffi s’eftimoit-il fort riche. Ses amis ne
penfoient pas comme lui là- deflus. Ils voulurent
plufieurs fois augmenter fon revenu;
mais il ne voulut jamais rien recevoir.
M. le Comte d’Avaux lui-avoir envoyé
une fomme d’argent très-confidérabie, &
il la refufa. M. de Montmor lui avoir offert
avec beaucoup d’inftance une maifon de
campagne de quatre mille livres de rente,
& i l le remercia. D’autres perfonnes dè la
première conlîdération lui avoient ouvert
leurs tréfors, & ce fut toujours fans fuc-
cès. Desc artes n’effimoit pas qu’il fût
honnête d’accepter quelque chofe de quelqu’un.
I l eonfidéroit un patrimoine légitime
comme un préfent de la nature plutôt
que de lafortune; & de tous-lps biens
qu’on peut acquérir dans le monde, il
n’en trouvoît point dont la polfeffion
fût plus innocente & plus dans l’ordre de
Dieu.
I l regardoit comme une choie très-
vaine , le défir de vouloir vivre dans l’efi-
prit d’autrui. Jamais Philofophe n’a fait
moins de cas que lui de la gloire. L ’habi- ,
tude de la méditation l’avoit rendu un peu
taciturne ; mais quoiqu’il parlât fobre-
ment, fes converfations éttüent toujours
ailées. I l evitoit lur-tout de paroître doéte
ou Philofophe. L ’amour qu’il, avoit :eu
toute fa vie pour la paix & le repos, l’a voit
fait réfoudre de bonne heure à mépri-'
lè t la calomnie, 6c a oublier les injures. I l
étoit naturellement ennemi de la difpute.
On prétend qu’il avoit du goût pour les
femmes, parce qu’en matière de Philofo,-
phie il les trouvoit plus patientes, plus
dociles, en un mot, plus vuides de préjugés
& dé fauffes doârines que beaucoup
d’hommes. I l n’étoit point abfolument
infenfibje à leurs charmes. Mais il paroît
qu il etoit plus affeété de la douceur
de leur caraélère que de leurs attraits,
C ’ell ce qu’on peut inférer de fes amours
avec Madame du Rofai, qu’il rechercha
dans le temps que fes parens fongepient à
le marier, & quil dilputa même l’épée à
la main contre un rival. D escartes difoit
des chofes obligeantes à cette Dame ; niais
dans fes excès de tendréffe, il lui âvouoit
fouvent qu’il ne trouvoit point de beauté
comparable a celle de la vérités
Quant à fes fentimens fur la Religion ,
il croyoit que la raifon étoit fort utile pour
l ’établiffement des maximes de la Religion;
& il étoit perfuadé que la Philofo-
phie bien employée eft d’un grand fecours
pour appuyer & junifier la foi dans un ef-
prit éclairé.
Descaktes a écrit fur les fujets les plu*
intéreffans, fur ceux qui forment principalement
le fond de toutes les çonnoiffan-
ceshumaines, ôc il a fait fur ces matières,
des découvertes furprenantes, I l s’agit de
les expofer actuellement.
Dans l’hiftoire de fa vie, j-’ai eu oecafion?
de développer fes grands principes de
Morale & de Logique qui compofent la
méthode. I l me refte à analyfer les ly llê -
mes fur la conftruélion du corps humain y
fur la formation du foetus, fur la Méta-
phylique, fur la Phylîque , & à donner
une idée de fes. découvertes mathématiques.
L ’Homme de D æ s c a r t -æs.
I l n’y a rien à quoi l’on puilïè s’appliquer
avec plus de fruit qu’à tâcher de fe
connoître loi-même, & cette eonnoif-
fance a pour objet l’efprit & le corps*
De ces deux fubftanees dont notre individu
eft eompofé, la derniere eft celle
qui nous eft plus, connue ; & c’eft par
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elle que nous comprenons l’exiftence de
l’autre. L e corps doit donc être notre première
étude. Or le moyen d’en dévoiler
avec facilité la conftruétion, c’eft de fup-
pofer que notre corps n’eft autre chofe
qu’une ftatue ou une machine de terre que
Dieu forme tout exprès pour la rendrè
plus femblable à nous qu’il eft pofîible :
en forte que non-feulement il lui donne
au-dehojs la couleur 6c la figure de tous
nos membres, mais aulïï qu’il met au-
dedans toutes les pièces nécefïaires pour
qu’elle marche, qu’elle mange, qu’elle ref-
pire, & enfin qu’elle imite toutes celles de
nos fonctions qui peuvent être imaginées
procéder de la matière, & ne dépendre
que de la difpofition des organes. O r voici
comment tout cela fe produit. Premièrement,
les alimens fe digèrent dans l’eftomac
de cette machine, par le moyen de certaines
liqueurs qui les font fermenter. *A me-
fure que ces alimens fe digèrent, ils def-
cendenf peu à peu vers un conduit par où
les parties plus groffieres fortent, tandis
que les parties les plus fubtiles & les plus
agitées s’échappent par une infinité de petits
trous par où elles s’écoulent dans les
rameaux d’une grande veine qui les porte
au foie , 6c dans d’autres qui les portent
ailleurs.
Les plus fubtiles parties compofent une
liqueur blanchâtre qu’on appelle chyle,
mais qui perd fa couleur en fe mêlant avec
la maffe du fang, laquelle eft contenue
dans les rameaux de la veine nommée
veine porte y qui reçoit cette liqueur des
inteftins ; dans ceux de la veine nommée
cave, qui la conduit vers le coeur, 6c dans le
foie, ainfi que dans un feul vaiffeau. L e foie
a des pores tellement difpofés, quelorfque
le chyle y entre, il s’y fubtilife, s’y élabore,
6c y prend la couleur 6c la forme du fang.
Or ce chyle devenu ainfi, fang, 6c contenu
dans les veines, n’a qu’un feul paf-
fage par où il puiffe fortir, favoir celui qui
le conduit dans la concavité droite du
coeur. C ’eft un vifeère qui a deux concavités
, & fi échauffé, qu’à mefure qu’il entre
du fang dans une de fes concavités, il s’y
enfle promptement &.s’y dilate. Enfuiteil
tombe goutte à goutte par un tuyau de la
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veine-cave dans la concavité de fon côté
droit, d’où il s’exhale dans le poumon ; 6c
de la veine du poumon, nommée Vartère-
veineufe, il paffe dans l’autre concavité
d’où il fe diftribue par-tout le corps.
L a chair du poumon eft fi rare 6c fi molle,
6c toujours tellement rafraîchie par l’air de
la refpiration, qu’à mefure que les vapeurs
du fang, qui fortent de la concavité droite
du coeur, y entrent par la veine artéreufe,
elles s’y épaiflïffent 6c fe convertiffent derechef
en fang. D e -là elles tombent goutte
à goutte dans la concavité gauche du coeur,
où , fi elles entroient fans être ainfi derechef
épaiflies, elles ne feroient pas fuffi-
fantes pour fervir de nourriture au feu qui
y eft. D e forte que la refpiration fert tout
à la fois 6c à épaiflïr les vapeurs, 6c à l ’entretien
de ce feu.
Onze petites peaux, qui, comme autant
de portes, ferment 6c ouvrent les entrées
des quatre vaiffeaux qui répondent aux
deux concavités du coeur, occafionnent
un mouvement de vibration dans des vaif-
feaux qu’on nomme artères : ce qui forme
le battement du pouls. Cela fe fait ainfi.
A u moment qu’un de ces battemens ceffe,
6c que l ’autre eft prêt à recommencer, celles
de ces petites portes qui fe trouvent
aux entrées de deux artères, fe trouvent
exâ&ement fermées, 6c celles qui font aux
entrées des deux veines., fe trouvent ouvertes
de façon qu’il tombe néceffairement
auflïtôt deux gouttes de fang par ces deux
v eines, une dans chaque concavité -du
coeur. L à , ces gouttes fe raréfiant extrêmement
, pouffent 6c ferment ces petites
portes qui font aux entrées des deux veines
, empêchant par ce moyen qu’il ne def-
cende davantage du fang dans le coeur ; &
pouffent 6c ouvrent celles des deux artères
par où elles entrent promptement 6c
avec effort, faifant ainfi enfler le coeur 6c
toutes les artères du corps en même temps*
Mais incontinent après, ce fang raréfié fe
condenfe derechef; & ainfi le eoeur & les
artères fe defenftent. Les petites portes qui
font aux entrées des artères fe referment,
6c celles qui font aux entrées des deux veines
fe rouvrent & donnent paffage à deux
autres gouttes de fang qui font derechef