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la réflexion que flous faifons fur nos idées,
quand nous les confîderons de fuite l une fe
fuccédant à l’autre , fans aucune inter-
îniflion.
Ce font là prefque les feules idees que
nous ayons, & dont notre efprit tire toutes
les autres connoiflànces. Nous les retenons
de deux maniérés ; la première, en
confervant l’idée qui a été introduite par
l ’e fp r it, aftuellément préfente pendant
quelque temps ; cé qu’on appelle attention
ou contemplation » l’autre maniéré, en rappelant
& ranimant, pour ainfi dire, dans
l’efprit ces idées , qui après y avoir été
imprimées, avoient difparu, & avoient été
entièrement éloignées de fa vuê.On donne
à cette fécondé faculté de l’entendement
le nom de répétition ou de rémimfience.
L ’attention & la répétition fervent beaucoup
à fixer les idees dans la mémoire £ &
comme celles qui font des impreflions plus
durables & plus profondes font plus aifées
à retenir,telles que celles qui font accom pagnées
de plaifîr ou de douleur, elles font
aülfi plus aifées arappeller. D où^il fuit
que quoique les idées qui ont été déjà imprimées
dans l’efprit ne lui foient pas confia
tamment préfentes , elles lui font pourtant
connues à l’aide de la reminifcence, com-
me y ayant été auparavant empreintes. ^
L ’efprit a une autre faculté qui confifte a
difcerner oudiftinguer fes differentes idees,
& par laquelle il juge de l’évidence & de
la certitude de plufieurs propofitions, de
celles-là même qui font les plus générales
; de forte qu’il apperçoit que deux idées
font fémblables ou différentes entr’elles.
Cela s’opère par plufieurs aétes qui forment
d’autres idées tirées des idées firtiples
qu’il a reçues, & qui font les matériaux &
les fondemens de toutes fes penfées. Ces
aéles confiftent principalement, i A combiner
plufieurs idées fimples en une feule;
& par ce moyen décompofer toutes les
idées complexes qui font formées de plufieurs
idées fimples mifes enfemble, comme
une Armée, VUnivers, &c. 2 ° . A joindre
deux idées enfemble, tant fimples que
complexes ,& à les placer l’une près de
l’autre, enforte qu’on les voie tout a la fois
fan? le? combiner çn une feule i$ée : c’eft
K E.
par-là que l’efprit fe forme toutes les idées
de relation. 30. E t à féparer des idées d’avec
toutes les autres qui exiftent actuellement
avec elles : c’eft ce qu’on nomme
abftraftion ; & c’eft par cette voie que l’ef»
prit forme toutes fes idées générales.
Par cette faculté que l’efprit a de répéter
& de joindre enfemble des idées, il peut
varier & multiplier à l’infini les objets de
fes penfées au-delà de ce qu’il reçoit par
fenfation ou par réflexion : mais ces idées
fe réduifent toujours à ces idées fimples
que l’efprit a reçues de ces deux fources ,
& qui font les matériaux auxquels fe ré-'
folvent enfin toutes les comportions qu’il
peut faire, comme on va le voir.
Les principales idées fimples font celles
du plaifir & de la douleur : je l’ai déjà dit.
O r toutes les chofes font bonnes ou mau-
vaifes relativement à ces deux fentimens
d’où découlent toutes les idées du bien &
du mal. En effet nous nommons bien ,
tout ce qui eft propre à produire & à augmenter
le plaifir en nous, ou à diminuer.Or à abréger
la douleur ; ou bien à nous procurer ou
conferver la po[JeJJion de tout autre bien en Vab-
fence de quelque mal que ce fait. A u contraire
nous nommons mal , ce qui eft propre à produire
ou augmenter en nous quelque douleur ,
ou à diminuer quelque plaifir que cefoit ; ou
bien à nous caufer du mal, ou à nous priver de
quelque bien que ce foit.
Ces deux fentimens font les pivots fur
lefquels roulent toutes nos paflïons. En
réfléchiffant fur le plaifir qu’une chofe ab-
fente ou pré fente peut produire en nous y
nous avons l’idée que nous appelions
Amour» A u contraire la réflexion du defa-
grément ou^de la douleur qu’une chofe
préfente ouabfente peut produire en nous,
nous donne l’idée de ce que nous nommons
Haine. L ’inquiétude que nous ref-
fentons pour une chofe qui donneroit du
plaifir fi elle étoit préfente, c’eft ce qu’on
nomme Defir , lequel eft plus ou moins
grand, lorfque dette inquiétude eft plus ou
moins ardente.
Lajoie eft un plaifir que l’ame reflent ;
lorfqu’elle confidère la pofleflïon d’un bien
prêtent ou futur comme aflurée ; & nous
fommes en poffçffion d’un bien,lorfqu’il eft
l o r e .
de telle forte en notre pouvoir que nous
pouvons en jouir quand nous voulons. L a
TrfteJJe eft une inquiétude de l ’ame, lorfqu’elle
penfe à un bien perdu , dont elle
auroit pu jouir plus long-temps, ou quand
elle eft tourmentée d’un mal actuellement
préfent. UEfpèrance eft ce contentement de
l ’ame que nous trouvons en nous-mêmes ,
lorfque nous penfons à la jouiflance qu’elle
doit probablement avoir d’une chofe qui
eft propre à lui donner du plaifir. L a
Crainte eft une inquiétude que nous reflen-
tons, quand nous penfons à un mal futur
qui peut nous arriver. L e Defefpoir eft la
penfée qu’on a qu’un bien ne peut être obtenu
: penfée qui agit différemment dans
notre efprit ; car quelquefois elle y produit
l’inquiétude & l’affliCtion , & quelquefois
le repos & l’indolence. La Colère
eft cette inquiétude ou ce défordre que
nous reflentons après avoir reçu quelque
injure , & qui eft accompagnée d’un defir
de nous venger. Enfin VEnvie eft une inquiétude
de l’ame caufée par la confidéra-
tion d’un bien que nous defirons, lequel
eft pofledé par une autre perfonne , que
nous eftimons ne l’avoir pas fi bien mérité
que nous.
Ces deux dernières paflïons ne font pas
Amplement produites en elles-mêmes par
la douleur ou par le plaifir, mais elles renferment
certaines confédérations de nous-
mêmes & des autres jointes enfemble. Et
comme tous les hommes n’ont pas de l’ef-
time de leur propre mérite , ou le defir de
la vengeance, qui font les mobiles de ces
deux paflïons,elles ne fe trouvent pas chez
tous les hommes. A l’égard des autres qui
fe terminent purement à la douleur & au
plaifir, tout le monde les reffent. Car nous
aimons, nous defirons, nous nous réjouiffons,
nous efpérons feulement par rapport au
plaifir. A u contraire, c’eft uniquement en
vue de la douleur que nous haïjjons , que
nous craignons, & que nous nous affligeons.
Concluons donc que nous n’avons d’autre
objet de nos penfées & de nos raifonne-
mens que nos propres idées, qui font la
feule chofe que nous contemplions ou que
nous puiflïons contempler, & que par confisquent
c’eft fur ces idées que roule çoute
notre connoiffance. On donne fe fcom de
connoissj4nce à la perception fie la liaifon
Or convenance, ou de Voppojition Ov difçonve-
nance qui fe trouvent entre deux de nos idées.
Cette convenance ou difconvenance fe réduit
à quatre efpèces, qui font : 1. Identité
ou Diverjitê. 2 . Relation. 3. Coexiftence
ou Connexion néceffaire. 4. Exiftence réelle.
L ’Identité & la Diverfité font un afte
de l’efprit par lequel il apperçoit les idées
qu’il a ; voit ce que chacune eft en elle-
même ; diftingue leur différence, de comment
chacune n’eft pas l ’autre. L a R e lation
eft la perception du rapport qui eft
entre deux idées de quelque efpèce qu’elles
foient, fubftances, modes ou autres. L a
troifîéme efpèce de convenance ou de d ifconvenance
qu’on peut trouver dans nos
idées, & fur laquelle s’exerce l’efprit dans
la Coexiftence ou la Non-coexiftence,c’eft
le même fujet : ce qui regarde particulièrement
les fubftances. Enfin la dernière e f pèce
de convenance, c’eft celle d’une E x i f
tence a&uelle & ré e lle , qui convient à
quelque chofe dont nous avons l ’idée
dans l’efprit.
Les idées qu’on fait intervenir pour
montrer la convenance de deux autres ,
on les nomme des Preuves. E t lorfque par
le moyen de ces preuves on vient à ap-
p.ercevoir la convenance ou la difconvenance
des idées que l’on confidère , on a
une Démonftration , par laquelle l’efprit
voit clairement que la chofe eft ainfi &
non autrement. On donne le nom de Sagacité
à la difpofition que l ’efprit a de
trouver ces idées moyennes, qui montrent
la convenance ou la difconvenance de
quelqu’autre idé e, & à les appliquer comme
il faut.
On appelle cette connoiflance connoiffance
démonftrative, pour la diftinguer de
la connoiflance de fîmple v u e , qu’on nomme
intuitive. Cette dernière eft plus parfaite
que l’autre, parce que l’efprit apperçoit
la vérité dès qu’elle eft tournée vers
lui , comme l’oeil voit la lumière à l’inf-
tant que la vue eft dirigée vers un corps
lumineux : au lieu que dans une démonf*
tration ce n’eft point par une feule vue
paffagere qu^onpeutla découvrir, mais en