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des amis communs autant fatigues que
P u f e n d o r f f de cette guerre littéraire
, s’employèrent à la terminer. Ils y
parvinrent, ôc les deux combattans mirent
bais les armes. I l s’agiffoit dans cette
difpute de favoir , fi le Droit naturel fe
doit tirer de la nature avant ou après là
chute de l’homnie, dans l’état du péché
ou dans celui d’innocence : queftion purement
théologique, ôc qu’on auroit pû
écarter d’un Ouvrage philofophique.
Cette querelle étoit à peine terminée,
que MM. Beckman Ôc Schwartq recommencèrent
la leur. L e premier au défef-
poir de s’être perdu en voulant nuire a
notre Philofophe, ne longea dans Ton exil
qu’à le venger. I l commença par publier
une pièce contre lui très-fatirique, ou il le
traite de diable incarné. L e titre feul de
cette pièce porte l’empreinte de la rage
la plus effrénée. (# ) Après cette belle
(ortie , M. Beckman Voulut l’attaquer
perfonnellement. I l l’appella en d ue l, ôc
lui écrivit de Copenhague oh il étoit >
qu’il défïroit avoir raifon de Tes procédés
par la voie des armes. I l lui marquoit
l’êndroit où il devoit fe rendre pour fe
battre avec lu i , & le menaçoit de le poursuivre
par tout où il feroit, s’il manquoit
au rendez-vous. Notre Philofophe ne fit
aucun cas de cette lettre ; & fans daigner
y répondre , il l’envoya au Confîffoire
de l’A cadémiè, qui procéda contre Beck-
tnan. Cettré conduite porta la colere de
celui-ci à fon comble. I l fongea à faire
affaflîner fon adverfaire , mais il échoua
heüreufement dans fon deffein. L a feule
jefTource qui lui reftoit, c’étoit de répandre
fa bile fur le papier. C ’eft auffi le
parti qu’il prit. I l tâcha de rendre P u -
ÏEND o r FF odieux par des écrits multipliés
, qui furent réfutés par P U f É h-
d o r F f lui-même ou par fes amis.
A Beckman fe joignit Schirartf. Pendant
le temps du procès de fon confrère,
il avoit gardé un fîlence prudent ; & il
fe comporta avec la même circonfpeétion,
jufqu’à ce qu’il fe fut ménagé unpofte
ailleurs. Mais lorfqu’il eut obtenu ce
qu’il fouhaitoit, il quitta fa Chaire qu’il
avoit à Lunden, ôc fe rendit en Dane-
marck. Ce fut là que fous le nom de Se*
vérin IVildfchultq , dont il avoit époufé
la mere, il publia un E crit intitulé : D if-
cujjions des calomnies indignement avancées
dans l’Eris Sandica de Samuel Pufen-
dorff, contre un homme vénérable , fous
prétexte d’une lifte de fes erreurs , &c. P u -
F e n d o r f f excédé de ces fortes
d’hoftilités, ne jugea pas à propos de
faire à cëtte DifcuJJîon une réponfe fé-
rieufe. I l fe contenta de la réfuter par
une L e ttre , qu’il fuppofe écrite par Jofué
Schivartq à fon beau-fils Severin Wild-
fchyjjîus. I l donne exprès une terminai-
fon fale à fon nom, pour marquer le mépris
qu’il faifoit de fa perfonne ; & fe
borne dans cette Lettre , à tourner l ’un
& l’autre en ridicule.
I l parut d’autres écrits fatyriques contre
notre Philofophe : (b) mais il ne fe
donna pas la peine d’y répondre. Une
occupation plus importante difpôfbit de
fon temps : c ’étoit l’abrégé de fon Traité
du Droit de la Nature & dès Gens , qu’ il
publia en 1673 fous le titre De Offtcio
hominis £r civis, juxta legem naturalem
libri duo ; ôc d’une lntroduêlion à l’H iftoire
générale & politique de l’Univers ,
qui parut en 16 82 . I l avoit compris què
le Droit de la Nature ôc des Gens ne
pouvoit fe paffer de l’Hiftoire ; que fans
(«) On verra, je penfe, avec plaiiîr,le titre fingulier
de cette pièce ; le voic i. Nicolai Eeckmanni légitima
defenjio contra Mogifiri Samuelis Pufendorfii execro-
bilesfiSlitias calumnias, quibus ilium contra omnem verita-
ftm & juftitiam ut camatus Diabolus & fingularis menda-
çiorum artifex fer ficlitia fua eptia moralia ( Diabolica
futo ) toti bonefto ac erudito mtilitiofe exponere volait.
Naruralis five brutalis & gentilit Pufendorfii ffiritus ufigue
adeo en or mi ter fe exerit & ferverfe operatur , ut net
diabolum rtec infernum nec vitam aternam dari impie
eredat , & dum omnsm aftioactn humanam fiatuit effe indifferenfem
boni at mftli pratniutn me panam futuram ,
hie tauten pro fatyrico fuo ingento f i r mirer credit, f i viris
bonefiis & proximo fuo audatler & mtilitiofe calumpictur ,
quoi femper aliquid facis fiVc mendaçii in animis legenttum
hartnt 1677.
£ fi.) On trouve dans les Mémoires du P. Nicer on.,
Tom. XVIII. le titre des réponfes de Pufendorff
& de quelques .autres Ouvrages peu importans ,
q u i ne font pas dignes aujourd'hui de Ta curip'ûte
du Lefteur.
e lfe , ü nfeft plus qu’ une fpéculation ab-
ftraite Ôc fuje.tte à porter à faux. C et O uvrage
avoit encore fon utilité propre ,
indépendamment de toute autre confédération.
Dans les abrégés d’Hiftoire publiés
avant fon introduction , on avoit
négligé de remonter aux principes généraux
qui font communs a toutes les fo-
çiétés humaines, quoiqu’il ,y en ait de
particuliers , qui font tellement effentiefe
à tel ou tel peuple, qu’il ne peut les abandonner
fans péril. Ces principes dépendent
de la fituation du pays ; des moeurs
& du génie des Habitans ; du pouvoir
plus ou moins grand de fes voifins ; de
tes propres forces, qui ne font pas toujours
dans le même dégré, ôc de mille
autres conjonctures. Dans fon Introduction
, notre Philofophe eut égard à. tout
cela ; Ôc tous les Sayans fentirent le prix
de cet O uv ra g e , ôc s’emprefferent à le
répandre dans ' tout l’Univers , par les
traductions qu’ils en firent en differentes
langues.
Pendant qu?il tâchoit d’être utile aux
hommes dans la folitude de fon cabinet,
des troubles s’élevèrent dans la Province
de Schonen, ou il étoit. Le fteau de la
guerre affligeoit alors la Suede, ôc Schonen
en devint le théâtre. Pufendorff
partit alors de Lunden ôc fe retira à
Stokholm. La Cour le reçut avec la plus
grande diftinétion. On l ’honora du titre
de Secrétaire du R oi & de celui d’Hifto-
riographe. Ce fut en cette qualité qu’il
écrivit fa belle Hiftoire de Suede en
X X V i livres. Elle commence à l’arrivée
de Guflave-Adolphe en Allemagne , ôc
finit à l’abdication de Chriftine. C ’eft, dit
l ’Auteur de l’éloge hiftorique de P uf
e n d o r f f * (a) la plus belle Hiftoire
que nous ayons de cette fameufe guerre ,
qui a défoïé l’Allemagne durant trente
ans. Ce bel Ouvrage parut en 1 686. Son
Auteur travailla à fa continuation, ôc
compofa la vie de Charles-Guflave, Roi
de Suede & fucceffeur de Chriftine, qui
ne fut publiée que long-temps après*
Dans cet intervalle , il fit imprimer ( c ’ell
en 16 8 7 ) un petit Traité fur les rapports
de la Religion avec la vie civile 9
intitulé : De habitu Religionis Chriftianct
ad vitam civilem , liber fingularis. L e but
de cet Ouvrage eft de mettre de juftes
bornes entre la puiffance eccléfiaftique &
la puiffance c iv ile , pour établir la tranquillité
publique. I l y ajouta enfuite un
Appendix, où il réfute les principes d’A drien
Houtin touchant le pouvoir de»
Souverains fur ce qui concerne laReii-,
gion.
Tous ces Ouvrages , Ôc fur-tout fa
grande Hiftoire de Suede, lui acquirent
une réputation fi brillante , que les Souverains
briguèrent à l’envi l’avantage der
laiffer à la poftérité l’Hiftoire de leur régne
écrite par une plume fi applaudie*
Frederic-Guillaume , Electeur de Brandebourg
, l’attira à B erlin, ôc le nomma fon
Hiftoriographe. I l fut invité prefqu’en
même temps de la part de l’Empereur
Léopold, d’écrire l’H iftoire de fon régne*
Des raifons particulières ne lui permirent
pas de fe rendre à cette invitation. I l refta
à la Cour de Brandebourg, qui pour fe
l’attacher toujours plus , le décora de la
dignité de Confeiller privé. L ’Empereur
bien loin de lui (avoir mauvais gré de la
préférence , lui donna une marque éclatante
de fon eftime , en lui conférant la
qualité de Baron du Saint Empire. Notre
Philofophe fut remëreier l’Empereur de
cette grâce comme il convenoit ; mais il
ne crut pas devoir interrompre l’Hiftoire de
l’Eleëleur Frédéric Guillaume le Grand,qu’il
avoit commencée. Il la finit fous les yeux
de Frédéric I I I . Electeur de Brandebourg
, premier Roi de Pruffe. Toujours
ami du v ra i, il avoit écrit avec plus de
fincéritéque la Cour de Berlin n’en avoit
exigé de lui. Il s’étoit fervi libéralement
des Archives de la Maifon de Brandebourg.
I l en avoit tiré un grand nombre
de myfieres, dont la publication parut
dangereufe. On crut qu’il étoit de la prudence
de ne pas révéler des fecrets qui ne
(«) Page XLy.