le foir. De forte qu’il ne fe fervoit de
fes gens que pour faire fa cuilîne, pour
aller en ville, & pour les autres chofes
qu’il ne pouvoit abfolument faire lui-
même. 11 n’y avoit guère dans la chambre
que des chaifes, une table, un lit
ÔC des livres. On n’y voyoït ni tapifle-
rie , ni rideaux, ni le moindre, ornement.
Cela n’empêchoit pas qu’il ne reçût quelquefois
des vifites ; & quand on paroilfoit
furpris de le voir ainfî fans meubles, il di-
foit qu’il avoit ce qui étoit nécelîaire, &
que le refte étoit une fuperfluité indigne
d’un fage. I l employoit fon temps à la
priere & à la leéture de l’Ecriture Sainte ;
& il metroit par écrit les peiifées que
cette leéture lui faifoit naître. Quoique fes
infirmités continuelles 1 obligeallent à fe
nourrir allez délicatement, 8c que fes do-
meftiques filfent tout leur poflible pour
ne lui rien donner que d’excellent, il ne
goûtoit jamais ce qu’il mangeoit, & ne
prenoit pas garde, fi ce qu’on lui fervoit
étoit bon ou mauvais. Loi fqu’on lui pré-
fentoit quelque choie de nouveau, félon
la faifon , & qu’on lui demandoit après le
repas s’il l’avoit trouvé bon, il répondoit :
il falloit m’en avertir avant, Of j ’y aurois
pris garde. Son indifférence étoit fi grande
à cet égard, que quoiqu’il n’eût pas le goût
dépravé , il défendoit qu’on lui fît aucune
fauce, ni aucun ragoût, qui pût exciter
l ’appétit. II prenoit fans répugnance toutes
lés médecines qu’on lui donnoit pour
rétablir fa fanté , fans témoigner le moindre
dégoût ; 8c lorfque Madame Perler
fa foeur lui en marquoit fon étonnement
, il difoit qu’il ne pouvoit pas comprendre
comment on pouvoit avoir de la
répugnance à prendre une médecine volontairement
après avoir été averti qu’elle
étoit mauvaife, & ajoutoit qu’il n’y avoit
que la violence ou la furprife qui dufîent
produire cet effet.
Pour n’être pas feul dans fa maifon, il
avoit retiré chez lui un homme avec fa
femme 8c tout fon ménage, à qui il fournif-
f >it tout ce qui lui étoit nécelfaire pour
vivre lui 8c fa famille. Cet homme avoit
un fils qui tomba malade de la petite v é role.
Cette maladie contagieufe lui fît
craindre que fa foeur n’ofàt venir chez lui
à caufe de fes enfans. Il fongea donc à fe
fçparer de ce malade ; mais comme il ap-
préhendoit qu’il n’y eût du danger à le
tranfporter hors de fa maifon, il aima'
mieux en fortir lui-même, quoiqu'il fût
déjà fort mal, difant : il y a moins de danger
pour moi dans ce changement de demeure .*
c’efi pourquoi il faut que ce Joit moi qui qu itte•
I l fortit ainfï de fa maifon pour aller demeurer
chez Madame Périer.
J ’aime la pauvreté, difoit-il, parce que
Jefus-Chrijl l’a aimée ; j’aime les biens, parce
qu’ils donnent moyen d’en ajjifier Us mifé-
rables. Je garde fidélité à totit le monde. Je ne
rends pas le mal à ceux qui m’en font ; mais
je leur fouhaite une condition pareille à la
mienne , où. l’on ne reçoit pas le mal ni le bien
de la plupart des hommes. J ’eJJàye d’être toujours
véritable, fincere Or fidèlleàtous les hommes
, j ’ai une tendrejjè de coeur pour ceux
que Dieu m’a unis plus étroitement ; Or J'oit
que je fois feul ou à la vue des hommes , j ’ai
en toutes mes allions la vue de Dieu, qui les
doit juger, Or à qui je les ai toutes confacrées.
Voilà quels font mes fentimens , Or je bénis
tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui
les a mis en moi, Or qui d’un homme plein de
fôiblefje, de mijere , de conrupijcence, d’orgueil
Or d’ambition, a fait un homme exempt
de tous ces maux, par la force de la grâce à
laquelle tout en ejî du, n’ayant de moi que la
mijere Or l’horreur.
Cependant fon mal continuoit 8c empirait
tous les jours fans aucune altération
ni apparence de fièvre. Il ne ceffoit de
dire que fa fin étoit fort proche . quoique
les Médecins aftüraflent » qu’il n’y avoit
» pas la moindre ombre de danger ». Mais
fans compter fur ces paroles, il voulût
mettre ordre à fes affaires. 11 fît fon tefîa-
ment, dans lequel les pauvres ne furent
pas oubliés. Il leur auroit même laiffé tout
fon bien, s’il n’avoit point eu de parens.
I l difoit à fa foeur : D ’où vient que je n’ai
rien fait pour les pauvres , quoique j'aie toujours
eu un f i grand amour pour eux ? C ’eft,
lui répondit Madame Périer , que vous
n’avez pas eu a fiez de biens pour leur donner
de grandes aflîftances. C ’efi à quoi j ’ai
failli j répliqua-t-il; Or Ji les Médecins difent
vrai, Or f i Dieu permet que je réleve de cette
maladie, je fiuis rèfiolu de n avoir point d’autre
emploi, ni point d’autre occupation, tout
le rfie de ma vie, que leJèrvice des pauvres. Ceux qui s’affligeoient de lorfquil éprouvoit des doulleeu vros ifro frot uvifvfreisr,, il les confoloit par ces paroles : Ne me
plaigne% point ; la maladie efi l’état naturel
des Chrétiens,’ parce qu’on efi par là comme
on devroit toujours être dans la Joujfrance des
maux , dans La privation de tous Les biens Or
de tous les plaifiirs des Jens, exempt de toutes
les paffîons qui travaillent pendant tout le
cours da la vie, fans ambition, fans avance
dans l’attente continuelle de la mort. en Cpr’eofnt odnaçnasn tc ecse sfe mntoimts ens qu’il mourut, ; (pue Dieu ne m’abandonne
jamais. Il expira le ip d’Août
t1r6en6t2e-,n àe uuf nane s h&eu dree udxu m moiast. inI.,l âfugté idne
dheurmriéè ràe Sle. EMtaieîtnrnee A duut eMl. oOnnt, gfraa pvaar fouirft fea, tombe cette belle épitaphe.
NobiliJJîmi Scutarii Blajii P a s c a l i s ,.tjimulus. D. O. M. Blafius PaschaliS,
Scutarius nobilis, hlcjacet. Pietas f i non mo-
ritur, oeternum vivet. Vir conjugii nejcius 3
Religione fand us , V irtute clarus, Dodrinâ
Celebris, Ingenio acutus, Sanguine Or Animo,
pariter illufiris, Dodus non Dodor, Æqui-
tatis amator, Heritatls defenfor, Virginum
ultor, Chrifiianoe Moralis corruptorum acerr-
rimus hoftis. Hunç Rhetores amant foecun-
dum ; Hune Sçriptores norunt elegantem ,*
Hune Mathematici fiupent profundum ;
Hune Philfiophi queerunt fapientem ; Hune
Dodores laudant theologum ; Hune Pii vene-
rantur aufierum ; Hune omnes mïrantur-;
Omnibus ignotum 3 Omnibus licèt notum.CQaulide pmlu. ra Eiator , quâm perdidimus Pas-
Is Ludov. erat Montaltius. Heu J
fatis dixi ; Urgent lacrymce ,Jileo. Et qui benè
precaberis , benè tibi eveniet, Of vivo Of
mortuo. guoDieenutx qualités très-eftimables diftin- P a s c a l toient une converfadtiaonnsa ilfaé ef,o acgiértééa b: lec ’é&- - inftru&i ve, 8c une grande modeftie. Il
avoit une éloquence naturelle, fondée fur
ddees l apqriuneclilpee isl qduif’iol iat vnooint -ffaeiutsl,e pmaern let mtoouyt ecne
qu’il vouloit, mais encore il le difoit de la
maniéré qu’il vouloit*, 8c fon difeours faifoit
l’effet qu’il s’étoit propofé de produire.
A l’égard de fa modeftie, elle con-
fiftoit en cette politefte ÔC ces égards qu’on
doit aux autres , en entrant dans leurs fentimens
& dans leurs vues, fans prendre
jamais un ton de fupériorité, quelque rai-
fon que l’on ait. Il évitoit fur-tout de fe
nommer, 8c même de fe fervir des mots
je 8c moi ; 8c il avoit coutume de dire fur
ce fujet1 que la piété chrétienne anéantit
le moi humain, 8c que la civilité humaine
le cache 8c le fupprime. » Le moi eft
» haïflable, dit-il dans fes Penfées ; ainfî
»ceux qui ne l’ôtent pas, 8c qui fe con-
» tentent feulement de le couvrir, font
» toujours haïffables. Point du tout, direz-
» vous; car en agiflant comme nous fai-
» fons, obligeamment pour tout le monde,
»» vorna in, ’afi lp’oasn nfuej ehta ïdlfeo into duasn hs alïer . Cela eft' moi que le
»déplaifir qui nous en revient. Mais je le
»hais, parce qu il eftinjufte,& qu’il fe
» fait centre de tout : je le haïrai toujours.
» En un mot, le moi a deux qualités : il eft
»injufte en foi, en ce qu’il fe fait centre
»» dene cteo uqut:’ iill leesf t vienucto mafmlèordveir ;acuaxr achuatrqeuse,
» moi eft l’ehnemi, 8c voudroit être le ty-
» ran de tous les autres. Vous en ôtez l’in-
». commodité , mais non pas l’injuftice :
» ainfî vous ne le rendez pas aimable à ceux
» qui enhaïffent l’injuftifce: vous ne le ren-
» dez aimable qu’aux injuries qui n’y trou-
» vent plus leur ennemi : ainfî vous demeu-
» rez injuftes , 8c ne pouvez plaire qu’aux
» injuftes.(Æ) »* On lit dans les Mélanges de Vigneul de
Marville (b), que » M. Pafcal difoit de ces
» Auteurs > qui en parlant de leurs Ouvra-
»ges, difent, mon Livreçmon Commentaire,
nmonHifioire, Ofc. qu’ils fentent leurs bour-
» geois qui ont pignon fur rue , 8c toujours
»un chei moi à la bouche. Ils feraient'
C«] Penfees de M. Pafcal. Edition de 1678. pag. 275. tfc] Tom. II. pag. aoo. Edit, de Roterdam, i7«X.
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