vous étourdiffentfieleur noMeffe. Ils vous
Étalent les portraits & les figures de leurs
ancêtres. Ils (onttoujoursfurleurs aïeux,
fur les lignés directes & collatérales de
leur arbre généalogique j ils vous citent
à. tout moment les noms 8c les lurnoms de
leurs peres ; & avec leurs titres enfumés
ou déchirés, toujours pleins de leur naif-
fance , quoique fats , ils ne laiffent pas
d’avoir une haute idée de leur perfonne,
8c de vivre contens.
Près de ceux-ci, on voit ordinairement
des efpèces d’automates qu’on appelle Petits
Maîtres , qui idolâtrent leur petit mérite
, & qui adonifés comme des poupées,
céderoient plutôt tout leur patrimoine,
qui d’ordinaire eft fort léger, que de rabattre
, en faveur de qui que ce Ibit, de la
bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes. I l
n’y a que les pédans qui ofent leur difpu-
ter. Enorgueillis de leur érudition, ils ne
fément ordinairement que des impertinences
& des fotifes. Ils font tellement préve--
nüs de leur habileté, qu’ils méprifent ceux
de leur ordre qui ont le plus de réputation
; & ce qu’il y a de plus plaifant, c’eft
qu’ils fe rendent réciproquement louange
pour louange , admiration pour admiration,
gratterie pour gratterie.
. Qu’arrive-t-il de là ? C ’eft qu’il n’y a
qu’un très-petit nombre de gens de goût
fu r , & que les bons Ecrivains n’ont que
fort peudeLe&eurs. Ainfi s’ils prennent
beaucoup de peine pour faire un bon ouvrage
, ils en font très-mal récompenfés.
ILji’y a que la vue de palier a la pofterite,
qui puiffe les engager dans un travail pénible
, qui ruine leur fanté, les rend pâles,
maigres , & quelquefois aveugles , leur
attire beaucoup d’envieux , fans les tirer
de la pauvreté , 8c avance leur vieillelfe
8c leur mort. C ’eft fans doute acheter bien
cher une gloire dont on ne doit pas jouir.
iAuflï ceux qui connoiffent les hommes,
ont recours à un moyen de s’attirer de
la confidération par une voie plus aifée :
elle confifte à s’approprier les ouvrages
des autres. I l eft vrai qu’on découvre tôt
ou tard leur brigandage ; mais ils jouifïent
toujours pendant quelque temps; & fouvent
même à force d’intrigues , ils profitent
toute leur vie de leur plagiat. Beaucoup
d’impudence, d’effronterie & de manège
fuffiîent pour cela.
C e font là des moyens avec lefquels on
fait bien des chofes dans ce monde. Des
Moines ignorans en impotent ainfi au
peuple. Des Eccléfiaftiques du premier
ordre jouilTent aufli de cette maniéré ,
fans crainte de blâme , de richeffes im-
menfes, d’une vafte domination, des distinctions
mondaines, de charges, de dignités
, d’un luxe indécent, d’une fuite nom-
breufe de domeftiques, & de toute forte
de délices & de plaifirs, & concilient cela
avec tout ce qu’ils ne pratiquent pas , la.
pauvreté , l’humilité, 8c la vie dure de Je-
fus-Chrifi, dont ils fe difent les Miniftres.
» De forte que les Officiers du Sanétuai-
»- re fe déchargent par modeftie furie peu-
» pie du fardeau de la dévotion 8c de la
» piété : le peuple le renvoyé à ceux qu’il
» nomme Gens (CEglife ,* comme l î , a titre
» de Chrétien, la morale évangélique ne
» le regardoit p as , ou comme fi les voeux
» du Baptême n’étoient pour lui qu’une
» chanfon. De plus , les Prêtres , qui fe.
» qualifient du nom de Séculiers, comme.
» s’ils étoient initiés au monde , non à
» J. C . laiflent aux Réguliers l’ouvrage
» difficile de la piété. Les Réguliers en
» font l’occupation des Moines. L e s Moi-
» nés relâchés s’en repofent fur les Réfor-’
» més. Tous prétendent d’un commua
» accord que la dévotion n’appartient
» qu’aux Mendians ; & les Mendians ren-,
» voyent la balle aux Chartreux , chez,
» qui l’on peut dire en effet que la piété
» eft enfevelie, tant ils ont foin de fo ca-,
» cher au monde. Telle eft aufiî la con-
» duite des Généraux dans la Milice Clé-
» ricale. Les Papes, gens attifs 8c infati-
» gables à moiffonner l’or 8c l’argent, fe
» déchargient fur les Evêques de ce qu’il y
» a de rude dans l’Apoftolat; les Evêques.
» fur les Curés ; les Curés fur les Vieai-
» res ; les Vicaires fur les Prêtres Men-
» dians ; & les Mendians ren voyent l’éteuf
» aux Bergers fpirituels, qui favent bien
» tondre les brebis & profiter de la laine. *,
■ * -Eloge dt là F olie, pag. & 183 de l'Edition de 1753.
I l en eft à peu près de même des Souverains
y car qui voudroit autrement etre
R oi? Lorfqu’on réfléchit attentivement
fur les devoirs d’un bon Monarque , loin
de chercher à fe procurer un fardeau fi
pèfant, on trembleroit à là vue d’une
Couronne. Tels font en effet les engage-
mens d’un homme qui commande à toute
une Nation. » Travailler jour & nuit pour
» le bien commun, & ne jouir jamais de
» foi - même ; ne s’écarter en rien des
» Loix ; connoître ou par foi - même,
» ou par des yeux biens fûrs, l’intégrité
» des Officiers & des Magiftrats ; fe fou-
» venir qu’on eft en fpe&acle au-dedans
» & au-dehors ; & q u e , comme un aftre
» falu taire, on peut par des moeurs bien
» réglées influer utilement lur celles des
* hommes,& faire le bonheur des peuples ;
» o u , comme une comète funefte, caufer
» les plus grands maux du monde : n’ou-
» blier jamais que les vices 8c les crimes
» des Sujets font infiniment moins con-
» tagieux que ceux du Maître : fe redire
» chaque jour, que le Prince eft dans une
» élévation o ù , s’il donne mauvais exem-
» pie , fa conduite eft un mal qui fe com-
» munique : faire réflexion, que la fortu-
» ne d’un Monarque l’expofe continueller
» ment aux occafions de quitter le fentier
» des vertus ; qu’il a les délices, l’impunité,
» la flaterie, le luxe à combattre, 8c qu’il
» ne fauroit trop veiller ni trop feroidir
» contre tout ce qui peut le féduire : en-
» fin fe rappeller fouvent, qu’outre les
» pièges, le* haines, les craintes, lesdan-
» gers , auxquels le Prince eft à tout mo?
» ment expofé de la part de fes Sujets, il
» doit tôt ou tard comparoître devant le
» Roi des R o is , qui lui demandera un
» compte exaét de toute fa conduite , 8c
» avec une rigueur proportionnée à l’é-
» tendue de fa domination. *
Audi les Rois tâchent-ils de s’étourdir
fur tout cela. Ils font admirablement
fécondés par ceux qui les environnent,
nommés Courtifans , lefquels font très-
attentifs à leur déguifer la vérité , 8c à
leur faire oublier leur devoir. Bas & rem-
pans auprès de leur Maître , ou devant
lui » ils en font plus infolens à l ’égard des
autres mortels. Eh ! comment vivent-ils ?
A peine Monfeigneur eft-il éveillé , que
fon Chapelain qui épioit ce moment, lui
dit en polie une Mefle bien dépêchée. On
déjeune enfuite; on étale fa fuffifance de
fon orgueil, Ôc le dîner fuit. A u fortir de
table viennent les jeux , les filoux , les
bouffons, les courtilànes , les mauvai-
fes plaifanteries, 8c tous les autres palïe-
temps appelles plaifirs. Ces exercices ne
fe font pas làns quelque intermède de
friandife. On foupe 8c on pafle la nuit à
boire. A infi fans s’appercevoir de fon existence
, la vie s’envole rapidement, 8c on
meurt dans ce cercle d’illufions.
Un dernier coup de pinceau va nous
convaincre que tous les hommes font
foux. L ’un aime éperdument furie: femmelette
, 8c moins il eft aim é , plus l ’amour
le tourmente 8c le rend furieux.
L ’autre époufe la dot & non pas la fille.
Celui-là proftitue fon époufe. Celui-ci
poffédé du démon de la jaloufie , n’a
point affez d’yeux pour garder le filence.
Quelles fotifes ne dit-on point 8c ne fait-
on point dans le deuil ? Beaucoup de
joie dans le coeur , & de douleur fur le
vifage. L ’un ramaffànt de tout côté de
quoi fatisfaire fa gourmandife, donne
tout à fon ventre , au rifque de mourir
de faim après s’être contenté. L ’autre
met fon bonheur à dormir & à ne rien
faire. I l y en a q u i, toujours aftifs pour
les affaires d’autrui, négligent les leurs.
.On en voit qui empruntent pour s’acquitter
, 8c qui fe trouvent abîmés de dettes
, lorfqu’ils fe croyent riches. C e t
avare, qui v it pauvrement,, ne conçoit
pas un plus grand bonheur que d’enrichir
fon héritier. C et affamé de biens court
les mers pour un profit léger 8c fort incertain
, abandonnant aux vagues 8c aux
vents une vie qu’il ne peut racheter de
tout l’or du monde. E t ce Guerrier qui
pourroit jouir chez lui d’un for 8c agréa-
Elogt de la F o lit , pag. 167 & 168.