
i°4 C O L L I N S . rions nous empêcher de faire fans nous
mentir à nous-mêmes , c’eft-à-dire fans
faire une chofe impoffible.
5. On appelle V o u lo i r l’exercice de la
volonté. Et on définit la V o lo n t é le pouvoir
que l’homme a de fe déterminer a
commencer ou à s’abflenir de faire une
aétion, à la continuer ou à la finir. Cela
pofé, il s’agit de favoir fi l’homme eft libre
de vouloir chu de ne pas vouloir. La
réponfe à cette queftion eft qu’il n’a pas
cette liberté. En effet il ne peut pas relter
dans l’incertitude fans produire un acte de
volonté pour cette fufpenfion. Il veut
donc : il n’eft donc pas libre de vouloir ou
de ne pas vouloir. Ainfi toutes les rois
quion nous propofe quelque chofe à faire,
il faut néceflàirement que nous produirons,
quelqu'une de volonté ; & nous nefom-
mes pas moins déterminés à vouloir , parce
que nous fufpendons notre volonté ou
notre choix, puifque la fufpenfion de la
volonté eft elle-même un aéte de la volonté.
Mais cette fufpenfion ou cet a3 e , par
lequel nous voulons préférer, une cliofeà
une autre, faire celle-ci ou celle-là, n’eft-
elie point une liberté? Non fans doute.
Çar de plufieurs objets entre lefquels nous
voudrons choifir , nous appercevrons
quelque différence ; de forte que l’un, a
tout prendre, nous paroitra meilleur ou
moins majuvais que les autres. a
V o u lo i r ou P r é fé r e r fera donc la meme
çhbfe par rapport au bien & au mal, que juger
par rapport au vrai ou au faux. Ce qui
fignifie que nous jugerons qu’une chofe
eft meilleure ou moins mauvaife qu’une
autre, avant que de produire un aéte de la
volonté. Ç’eft pourquoi, comme nous jugeons
du vrai & du faux par les apparences
, il faut auffi que nous voulions ou que
iious préférions les choies fuivant ce qu elles
nous paroiflent être, à moins que nous
puilfions nous mentir à nous-mêmes, c eft-
à-dire croire que la même chofe que nous
croyons la meilleure eft la plus mauvaife.
Suppofer qu’un être doué de fentiment eft
capable de vouloir ou de préférer le mal
pour le bjen, c’eft nier que cet être foit
véritablement doué de fentiment. Çar tous
les hommes, tant qu’ils ont l’ufage de la?
raifon, cherchent le.plaiflr &.la félicité»
& évitent la douleur & le malheur, & cela
dans le temps même que leur volonté
les porte à des aétions qu’ils croyent devoir
être fuivies des confequences les plus,
terribles.
On demandera peut-être fi nous n a-,
vons pas la liberté du choix entre des
chofes indifférentes ou femblables, Premièrement
fi l’homme n’eft libre qu’alors »
il eft prefque toujours n é c e jjité ; car de tous
les objets de la volonté, il n’en eft qu un
très-petit nombre qui foient parfaitement
femblables. Ainfi l’homme eft un agent
néceflaire dans tous les cas ou il y a une
différence fenfible entre les objets, & par
conféquent dans tous les cas qui regardent
la Morale. Voilà donc la liberté réduite a
rien, ou du moins à très-peu de chofe.
En fécond lieu, lorfqu’on fait un choix ,;
il ne peut y avoir une égalité de circonf-
tances qui le précédé. Il ne fuffit pas pour
rendre les chofes égales à la volonté qu elles
(oient femblables , ou qu’il y ait de la
reffemblance entr’elles. Toutes les dine-
rehtes modifications de l’homme f fes opinions
, fes préjugés , fon tempérament,
fes habitudes, & la Situation oh il fe trouve
, ont part à fon choix, & n’en font pas
moins les caufes que les objets extérieurs
entre lefquels il choifit. Et ces chofes^ la
feront toujours pancher fa volonté, la détermineront
, *Sc lui rendront le choix qu il
fait préférable à tout autre , quelque reffemblance
qu’il puifle y avoir entre les
objets qu’il cfioifit.
Enfin fi l’on fuppofe abfolument une
véritable & parfaite égalité ou indifférence,
on ne pourra faire aucun choix.
pour faire un choix , il faut un motif 5 il
faut avoir la volonté de choifir : autrement
on ne choifiroit point. Il eft donc impoffible
qu’on faffe un choix dans une véritable
égalité de çirconftances. D’où il faut
conclure que la volonté de l’homme eft
toujours déterminée néceflàirement.
4. Lorfque la volonté eft formée, Vact
io n doit fuivre néceflàirement , parce
que nous ne voulons que pour executer.
Et s’il arrive que nous changions de volonté
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lontê après avoir commencé l’aftion ,
nous fommes portés néceflàirement à ne
pas continuer de la faire., & à fuivre
la nouvelle volonté que nous avons de ne
pas agir. Pour être convaincu que l’homme
eft un agent néceflaire , il n’y a qu’à
faire attention que toutes fes aétions ont
un commencement : or ce qui a un commencement
doit avoir une caufe, & toute
caufe eft néceflaire. Donc la liberté de
pouvoir agi? ou de n’agir pas, ou de faire
des actions différentes ou oppofées en vertu
des mêmes caufes, eft une liberté im-
poflïble. Et cette conféquence eft très-
conforme à la raifon*
Un être raifonnable, tel que l’homme,
doit être nécessairement déterminé par ce
qui lui paroît évident, probable ou improbable.
Qu’y a-t-il en effet ,de plus dé-
raifonnable & ;de plus'contradictoire que
d’être capable de regarder comme vrai ce
qui nous paroît évidemment faux , & de
regarder comme faux ce qui nous paroît
évidemment vrai ; c’eft-à-dire de donner
un démenti à nos propres lumières ?
D’ailleurs fi l’homme n’agiffoit pas néceflàirement
, s’il n’étoit pas néceflàirement
déterminé par la douleur ou par le
.plaifir , il n’auroit aucune idée du bien
moral,& delà vertu, ni aucun motif pour
s’y attacher. Ce feroit inutilement que
dans la foçiété on propoferoit des récom-
penfes ,qui en font la bafe & le foutien. A
quoi ferviroient les loix, fi le plaifir & la
douleur n’étoient pas des caufes qui puf-
fent déterminer fa volonté ? S’il pouvoit
choifir la douleur comme douleur, & éviter
le plaifir confideré comme tel, les ré-
compenfes 8c les châtimens ne fauroient
lui fournir des motifs pour faire une action
ou pour s’en abftenir. Mais fi l’efpé-
rance du plaifir & la crainte de la douleur
agiflent néceflàirement fur les hommes,
& qu’il leur foit impoffible de ne pas choifir
ce qui leur paroît bon , & de ne pas
éviter ce qui leur femble mauvais, les châtimens
6c les récompenfes font des chofes
néceflàires.
Cela étant , on pourra demander de
quelle utilité peuvent être les châtimens,
puifque les hommes font des agen$ nécef-
fairesf N’eft-il pas injufte de les punir pour
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des chofes qu’ils ont été forcés de faire ?
Non fans doute. Ce n’eft point comme
agent libre qu’on punit un homme qui a
commis quelque crime , mais comme
agent voLontaire. Les loix , conformément
à la juftice & à la raifon, ne regardent
que la volonté. Elles n’ont aucun
égard aux autres caufes qui ont précédé
l’a&ion. C’eft la crainte de la douleur ,
6c l’efpérance du plaifir que promettent ces
loix, qui a dû former la volonté. Si cela
n’a pas fuffi, & que parla force delà tentation
, par de mauvaifes habitudes ou par
d’autres caufes , il n’a pûéviter de faire le
crime qu’il a commis , il n’eft pas moins
puni avec juftice , puifqu’il n’y a que le
châtiment qui puifle lui faire connoître la
douleur, & que l’idée de l’éprouver n’eft
pas afîez puiflànte pour déterminer fa
volonté*
Ce châtiment eft encore utile à ceux
qui en font témoins , puifque la vue du
châtiment leur fait toujours plus connoître
le mal , & contribue à former la volonté
de l’éviter.
Il en eft de même des menaces qu’on
fait aux hommes, pour les empêcher de
violer les loix 5 car ces menaces font des
caufes qui peuvent déterminer à fe conformer
aux loix : & elles font par confé-
quent utiles à tous ceux dont elles déterminent
la volonté. Ceci s’applique auftï
aux confeils, qui font des caufes néceflàires
, lefquels portent la volonté de certaines
perfonnes à faire néceflàirement ce
que nous fouhaitons. D’où il fuit que ces
confeils font utiles par l’impreflion qu’ils
font fur des êtres néceflàires, qu’ils déterminent
néceflài renient à agir : au lieu
qu’ils ne feroient d’aucun ufage , fi Itfs
hommes étoient libres , ou s’ils n’étoient
point capables de former leur volonté. -
Et tout ceci eft toujours fondé fur
cette volonté, laquelle dépend des fen-
fafions & des perceptions des idées qui
font involontaires , & dès qu’elle eft
formée , l’homme agit néceflàirement.
Donc i l n 'y a p o in t'd e lib e r té e x em p te d e n é-
c e f jité . La feule liberté que l’homme a ,
confifte, comme on vient de voir, à faire
ce qu’il veut ou ce qu’il lui plaît. C’en eft
aflez pour qu’il puifle 3c doive répondre
O