des perfonnes de la plus haute confîdéra-
tion. Louis X I I I voulut même reconnoî-
tre publiquement fon mérite en le fixant
en France j mais les plus fortes follicita-
tions ne purent l'engager à fortir de fa retraite.
Il regardoit les délices de la Cour,
Sc les occupations les plus glorieufes des
premières charges de l’Etat, comme préjudiciables
au repos & au loifir dont il avoit
befoin pour perfectionner les lumières de
l’entendement humain. E t faifant infiniment
plus de cas des bontés & de l ’eftime de
fon Roi que de tous les honneurs & de toutes
les richeffes dont il avoit voulu le combler
, il aima mieux vivre feul & content,
Sc vieillir fans emploi, que de s’expofer au
hafard de perdre les avantages de fa Phi-
lofophie, pour foutenir le poids de ces
honneurs, Sc juftifier le choix de ce Prince.
Depuis dix ans il étoit occupé d’un Ouvrage
fur la Métaphysique, dans lequel il
traitoit de la diftinétion de l’efprit & du
corps ; de la meilleure maniéré de conduire
fon efprit pour connoître la vérité Sc
de l’exiftence de Dieu. Il l ’envoya manuscrit
au Pere Merfenne dès qu’il l’eut fini,
fans lui donner aucun titre, afin que ce Pere
en fût le parrein. I l lui marqua cependant
qu’il croyoit qu’on pouvoir l’intituler ainfi:
Meditationes de prima Philofophiâ. Le Pere
Merfenne n’eut pas plutôt reçu ce Manuf-
c r it, qu’il s’empreffa de le communiquer à
un grand nombre de Savans dans tous les
genres à qui il l’avoit promis. Ori lui env
o y a de toutes parts des remarques Sc des
objeClions fur cet Ouvrage. Prefque tous
voulurent faire voir par-là avec quelle attention
ils l’avoient lu. Parmi ces Savans
on diftingue MM. Hobbes, Gajfendi Sc A r naud.
L e Pere Merjenne, à mefure qu’il
recevoit ces objections, en faifoit part à
D escartes,qui y répondoit fur le champ.
Cette controverfe parut trop intéreffante
à ce célèbre Minime pour ne pas la rendre
publique. I l la publia fous le titre d’Ob-
îeCtions faites par divers Théologiens ,
Philofophes Sc Géomètres.
Pendant que notre Philolbphe étoit occupé
de fes réponfes aux objections qu’on
faifoit à fes Méditations Métaphyfiques,
Voetius travailloit toujours avec chaleur à
foulever le parti qu’il avoit commencé à
émouvoir contre fa Philofophie. Julques--
là il n’a voit agi qu’en répandant des bruits
odieux fur fa perfonne, Sc en diftribuant
différens libelles. Mais lorfqu’en 164.1
il fut ReCteur de l’Univerfité, & prefque
revêtu de toute l’autorité nécefîàire pour
l’exécution de fes mauvais deffeins, il ne
fongea plus qu’à le perdre abfolument,
M. Regius qui vit l’orage fe former, vou-,
lut en. prévenir l’effet. A cette fin, il dér
clara au nouveau ReCteur qu’il le regarde-
roit déformais comme la lumière de l ’Uni-
verfité, Sc fournit à fa cenfure les thèfes
qu’il vouloir lourenir.Cette attention flatta
fi fort Voetius, que non-feulement il y laiiïa
quelques opinions cartéfiennes : il permit
encore que le nom de Descartes parût à
la tê;e des thèfes. Ce Miniftre ne croyoit
pas que fes opinions fiflènt fortune ; mais
M. Regius qui préfidoit aux thèfes , Sc
M. Raey qui répondoit, les produifirent
avec tant d’avantages, que le ReCteur fe
repentit de toutes fes condefcendances.
Les Profeffeurs Péripatéticiens, ou les
partions de la Philofophie ancienne, honteux
de leur défaite, firent fîfHer les thèfes
par leurs écoliers, Sc excitèrent un tumulte
dont Voetius crut devoir tirer parti,
Sc pour déplacer Regius, & pour éclater
contre D escartes. Avant que de fe déterminer
à lui déclarer une guerre ouverte
, il crut devoir s’informer du Pere
Merfenne, s’il fongeoit à attaquer notre
Philofophe, comme il lui avoit fait efpé-
rer ; Sc ce Minime lui fit une réponfe qui
l’indifpofa beaucoup. » Je vous avoue,
»lui écrivit le Pere Merfenne} que j’avois
» toujours eu une grande idée de fa Philo-
» fophie ; mais depuis que j’avois vu fes
» Méditations avec les réponfes qu’il a fai-
» tes aux objections qui lui avoient été pro-
3opofées, j’ai cru que Dieu avoit verfé
» dans ce grand homme des lumières tou-
» tes particulières pour nous découvrir
» les vérités naturelles... Attendons, Mon- 3ofieur (a joute -t-il) qu’il ait mis cette
30 Philofophie au jour ; autrement nous au-
» rions mauvaife grâce de porter notre
s» jugement
» jagement d’une chofe que nous ne con-
» noiffons point (à) ».
Ce confeil étoit très-fage ; mais Voetius
étoit trop aigri pour le fuivre. Aucune
confidération ne le contenant plus, il ne
fongea qu’à mettre fes mauvais deffeins à
exécution. Il commença par faire imprimer
des thèfes, où il dénonça en quelque
forte Regius comme hérétique, parce que
fa Philofophie n’étoit pas conforme avec
la Phyfique de Moyfe, ni avec tout ce
que nous, enfeigne l’Ecriture. Son deffein
étoit de les faire ligner aux Profeffeurs de
Théo logie, 8c même à tous les Théologiens
qui étoient Miniftres ou Prédicateurs
, afin que Regius fe trouvât ainfi condamné
par une efpèce de confiftoire, Sc
que par ce moyen le Magiftrat ne pût fe
difpenfer honnêtement de lui ôter fa chaire.
M. Regius fut inftruit de ce projet. I l alla
s’en plaindre à M. Vander Hoolck, l ’un des
Confuls qui le protégeoit, Sc qui étoit intime
ami de notre Philofophe. Ce Conful
fit dire auflîtôt à l’Imprimeur de lui apporter
les thèfes. I l manda enfuite Voetius qui
devoit y préfider, lui ordonna de les corriger
, d’en ôter le titre Sc ce qui pouvoit
intéreffer la réputation de M. Regius, Sc
lui défendit d’abufer publiquement de fa
qualité Sc de l’autorité de la Faculté de
Théologie, pour fatisfaire fa paillon particulière^
Vxtius fut allez étourdi de ce coup ;
mais le Magiftrat n’ayant réformé que les
corollaires de fes thèfes, dans lefquels cet
implacable ennemi de Descartes avoit
diftillé tout fon venin, il crut pouvoir
tirer parti du texte pour couvrir fa défo-
béiffance. Il fit foutenir fes thèfes. Le R épondant
Sc le Préfident fe fignalerent également
par la chaleur avec laquelle ils
défendirent les opinions anciennes contre
les attaques des Argumentans ou Oppo-
fans, qui étoient prefque tous des écoliers
de Regius. Pour embarraffer l’un d’eux ,
Voetius lui propofa une queftion très-difficile
à réfoudre ; Sc comme celui-ci fe
mettoit en état de le fatisfaire, en fuivant
les principes de la nouvelle Philofophie
le Préfident l ’interrompit brufquement,
pour dire que ceux qui ne s’accommodoiei t
pas de la maniéré ordinaire de philofopher,
en attendoient une autre de Descartes ,
comme les Juifs attendent leur E lie, qui doit
leur apprendre toute vérité.
L e Reéteur parut triompher de la Philofophie
Cartéfienne. M. Regius voulut
rabattre cette fauffe gloire. I l fit part à
D escartes de fon deffein Sc de fes motifs.
Notre Philofophe lui dreffa un projet de
réponfe rempli de termes obligeans pour
Voetius. Il lui fournit des formules d’eftime
pour les autres, Sc de modeftie pour lui-
même. I l lui marqua diverfes maniérés in-
finuantes pour fe faire lire avec plaifir, &
faire écouter fes raifons, Sc fur-tout il lui
recommanda de fe garder de l’ironie dans
le tour qu’il falloit donner aux éloges de
fes adverfaires. C e modèle de réponfe,
avec les matières, les raifons Sc les moyens
de la remplir, paffe pour un des plus beaux
monumens de la douceur & de la prudence
humaines. Cette réponfe fut imprimée
avec ce titre : Refporifîo feu notce in appen-
dicem ad corollaria Theologico-Ph'dofophica ,
&c. Mais quoique Voetius y foit traité
d’homme favant Sc célèbre, d’homme de
bien Sc ennemi de la médifance,celui-ci crut
que Regius en publiant cet écrit lui avoit
fait une injure irrémiffible, parce qu’il l’avoit
vaincu par le nombre & la force des
raifons qui découvroierit beaucoup mieux
fon ignorance & Ion animofité , que n’au-
roient pu faire les termes les plus véhé-
mèns Sc les plus aigres. Les fuites de cet
écrit lui parurent fi fâcheufes, qu’il réfolut
de l’étouffer. A cet effet, prenant pour
prétexte qu’il avoit été imprimé fans ordre
du Magiftrat, que l’Imprimeur étoit un
Catholique Sc le Libraire un Remontrant,
il convoqua l’affemblée générale de l’Uni-
verfité, Sc y dénonça la réponfe de Regius
comme un libelle injurieux à fa perfonne ,
à la dignité rectorale , à l’honneur des
Profeffeurs de toute l’Univerfité. Il en demanda
la fupprelfion, Sc en même temps
£4] Lettres de Defeartes , TornC II.
L