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S y jU m t d e CÔLLINS f u r V u fa g e d e la
r a i fo n , d am les p r o p o r t io n s d o n t l ’ év iden ce
d ép en d d u tém o ig n a g e h um a in .
La raifon eft cette faculté del’ame par
laquelle elle reconnoît la vérité ou la
fàuffeté, la probabilité ou l’improbabilité
d’une proposition. Cette faculté tient fà
partie fur toutes fortes de proportions,
& fon acquiefcement eft proportionné au
ùepré d’évidence de chaque proportion.Le
témoignage peut produire cet acquiefcement
; mais il faut que les témoins foient
dignes de foi, & que les chofes qu’ils rapportent
foient croyables. Les témoins font
dignes de fo i, lorfqu’ils ont eu les moyens
d’être in(lruits;qu’ils font doués de la capacité
néceifaire pour comprendre, & qu’ils
ont de laprobité & du âéfintereffement.Les
chofes font croyables, t “.lorfque les termes
dont on fe fert répondent à des idées connues
, ou à des idées que nous pouvons
former ; 2°. que les termes répondent aux
idées auxquelles l’ufage ordinaire du langage
les a appropriés; & 3°. que ces
idées ne fe combattent pas mifes en contradition,
& qu’elles né font point contraires
à ce què nous connoilïbns pour vrai
par l’ufage de nos facultés.
Ainfi quand même une propofîtiop fe-
roit abfolument improbable, fi elle vient
d’une perfonne digne de foi, de qu’elle ne
contredire point une autre proportion évidente
par elle-même, ou reçue, ou dont
les idées s’accordent par le moyen dune
idée moyenne, on peut l’admettre comme
une vérité.
Voilà ce qui rend un fait croyable, quel
que foit le témoignage fur lequel il eft
fondé.
Tout ceci ne regarde que les proportions
dont l’évidence dépend du témoignage
humain. Mais il eft encore d’autres
proportions où l’on doit faire un autre
ufage de la raifon : ce font celles qui regardent
les chofes qu’on fuppofe , purement
fur le témoignage humain, venir de
Dieu. Cet ufage confifte à trouver dans
une révélation un fens conforme aux pr-in-
cipes de la raifon , quoiqu’ils paroilfent
d’abord contraires à la raifon , & -en oppofition
les uns avec les autres. Il faut
donc, pour qu’une révélation foit utile
& croyable, que le fens littéral foit faux >
mais que le fens réel foit conforme aux
notions les plus juftes de la raifon. On
doit donc examiner fl les termes font fuf-
ceptibles d’une manière ou d’autre d’un
fens raifonnable.
Ce n’eft point encore aflez de donner
un fens vrai à des termes , qui pris a la
lettre, expriment une chofe fauffe : on doit
encore avoir cet égard pour des Ecrits
qu’on fuppofe, fur le témoignage humain,
venir de Dieu, de ne pas rejetter le tout a
caufe de quelques paflages, qu’on ne peut
fuppofer qu’ils viennent de Dieu ; mais il
faut plutôt préfumer qu’ils ont été ajoutés
au texte dans quelque vue particulière,
& pour quelque deffein : au lieu qu’on
peut fort bien rejetter des Ecrits purement
humains , ou nier qu’ils foient des
Auteurs dont ils portent le nom, fl l’on
y trouve diverfes chofes incompatibles
avec le caradère des Auteurs, ou qui ne _
conviennent pas au temps dans lequel ils
ont vécu ; parce qu’il n’y a point de raifon
qui puifle engager des gens zélés ou
entreprenant à faire des additions à des
Livres , qu’on ne regarde point comme
néceffaires pour régler nos fentimens ÔC
notre conduite.
De-là il fuit qu’on doit bien diftinguer
entre les chofes qui font au-deflùs de la
raifon, & celles qui font contraires à la
raifon, afin d’être bien convaincu qu’on
peut croire des chofes qu’on ne peut comprendre.
Et voici comment.
Il y a deux fortes de propofitions ; les
unes où nous acquiefçons ; les autres que
nous ne pouvons admettre. Or les propo*
Étions , de quelque façon qu’elles nous
foient énoncées, confift ant en des termes
qui répondent à des idées & à leurs rela*
tions-, nous y acquiefçons lorfque les rela>-
tions , entre les idées jointes enfemble ,
font conformes à la raifon, & nous les
rejettons quand elles y font contraires.
Ainfi l’acquiefeement.fuit la perception de
-l’-accord des idées, comme la rejedion eft
une fuite de celle de l’oppofition des idees.
Cela pofé ., fl l’on voit une démonflra-
C O L
tîon de la vérité d’une propofîtion , &
qu’on découvre d’un autre côté des abfur-
dités ou des paradoxes qui découlent de
la chofe démontrée, on doit fufpendre fon
jugement, parce qu’il y a égalité d’évidence.
Car l’abfurdité ou la contradiction
renfermée dans une propofttion, eft une
démonftration aufli évidente de la faufleté
de cette propofîtion, qu’aucune preuve à
p r io r i le peut être de fa vérité ; parce que la
perception de l’oppofition de nos idées eft
aufli claire que celle de leur convenance.
Tel eft précifément le cas où fe trouvent
lesEcrits de la révélation,auxquels nous devons
par cojiféquent notre acquiefcëmen t,
parce que le fens réel eft conforme à notre
raifon, quoique le fens littéral foit faux.
En un mot, lorfque nous avons aflez
de capacité pour appercevoir la vérité
d’une proposition , nous en avons aufli
aflez pour découvrir qu’il n’y a point d’op-
pofîtion entre cette propofîtion & une autre
qui eft véritable.
' S y f t êm e d e C o l l i n s f u r l a lib e r té .
On définit la liberté le pouvoir de
faire en tout temps des chofes différentes
ou oppofées. Ainfi l’homn^e eft libre
, s’il n’eft pas toujours invinciblement
déterminé à chaque inftantparlescirconf-
tances ou il fe trouve, & par les caufes
qjii le meuvent , à faire précifément l’action
qu’il fait, & à ne pouvoir pas en
faire une autre. Au contraire il eft un
agent néeeflaire, fl toutes fes adions font
tellement déterminées-par les caufes qui
lës précédent , qu’il foit impoflîble qu’il
puifle ne pas les faire. La liberté ne confifte
donc pas à faire ce qu’on veut , de
telle forte que fl on ne vouloir pas, onfe-
roit même toute autre chofe ; ou bien elle
n’eft pas le pouvoir de faire ou de ne pas
faire une adion , fuivant la détermination
ou la penfée de notre efprit, par laquelle
l>u.n eft préféré à l’autre : car la liberté eft
prife ici pour une exemption des empê*
chemens extérieurs qui peuvent s’oppofer
a; une adion, & ne convient nullement à
l i n s . ä
la liberté proprement dite, qui eft exempte
de toute néedfité.
Pour mettre ceci dans le plus grand jour,
il faut examiner les adions de l’homme ,
qui caraderifent en quelque forte là véritable
liberté. Or ces adions font : i°. la
perception des idées : 2 0. le jugement
qu’on fait des propofitions : 30. la volonté
: 40. l’exécution de cette volonté.
1. La perception des idées eft une action
néeeflaire à l’homme. En effet les
idées d e f e n fa t io n & de r e ß e x io n * fê pré-
fentent à nous , foit que nous le voulions
ou que nous ne le voulions pas, & nous
nefaurions les rejetter. Lorfque nous fom-
mes éveillés , les objets font impreffion
fur nos fens malgré nous , & par-là les
idees de fenfation font néceflaires.
Quand nous penfons, nous ne pouvons
point ne pas fentir que nous penfons ; par
conféquent nos idées de réflexion font
neceflaires. Or fl ces idées nous viennent
néceflairement, chaque idée eft néceflai-
rement ce qu’elle eft dans_ notre efprit ; car
il n’eft pas poffîble qu’une chofe foit différente
d’elle-même.
Cette première adion néeeflaire (la perception
) eft donc le fondement ôc la caufe
de toutes les autres adions intelligentes de
1 homme, & les rend aufli néceffaires.-
2* La fécondé adion de l’homme par
rapport à la liberté, eft de juger des propofitions.
Mais toute propofîtion doit paraître
ou évidente par elle-même, ou évidente
par preuves,ou probable ou improba-
ble, ou douteufe ou fauffe. Ce font là les
differentes apparences félon lefquelles el-
les fe préfentent à notre efprit; & comme
elles font fondées fur notre capacité & fur
le degré de lumières que ces propofitions
renferment par rapport à nous, nous ne
fommes pas plus les maîtres de changer ces
apparences, que nous le fommes de changer
1 idée qu’une couleur produit en nous.
Nous ne pouvons pas non plus juger d’une
maniéré contrairé à ces apparences : car
qU eft-ce que juger d’une propofîtion, fl ce
n elt JuSer qu’une propofîtion paroît être
ce qu elle paroît être : ce que nous ne fa»-
n"tel“Se“î* t e a à . V f e z h tÿtùme de ta de rWtaaatt.