cipîes, & de le gratifier en cette qualité
d’une chaire, lui donnoit le droit de le remercier
de l’obligation qu’il lui en avoit ;
de le conjurer de ne point abandonner fort
propre ouvrage, & de le prier de lui accorder
les fecours qui lui étoient néceflaires.
pour foutenir cette première réputation.
I l terminoit fa lettre par l’aflurer qu’il fe-
roit tout ce qui dépendroit de lui pour
mériter de plus en plus la qualité de fon
difciple, qu’il préférait à tous les avantages
de la vie. M. Regius regardoit Descartes
comme extraordinairement fufcité
pour conduire la raifon des autres hommes, &
les tirer de leurs anciennes erreurs. Notre Phi-
lofophe répondit à toutes ces honnêtetés
le plus obligeamment du monde. Afin de
féconder même avec plus de fuccès les
vues de fon nouveau difciple , il compofa
un abrégé de Médecine. C e travail lui fit
faire des. réflexions fur l’importance de
conferver fa fanté, qu’il exprime ainfi dans
une de fes lettres au Pere Merfenne. » Je
» n’ai jamais eu tant de fain de me eonfer-
» v e r , dit-il, que maintenant; & au lieu
»que je penfois autrefois que la mort ne
» pût m’ô ter que 3oou4oanstoutauplus,
» elle ne fauroit déformais me furprendre
=» fans qu’elle m’ôte l ’efpérance de plus
» d’un fiècle ; car il me femble voir évidemment
que fi nous, nous gardions
» feulement de certaines fautes que nous
»avons coutume de commettre au régime
» de notre v ie , nous pourrions, fans autre
» invention, parvenir à une vieilleffe beauc
o u p plus longue & plus, heureufe que
» nous ne faifons (<2) ».
Cependant M. Reneri, enhardi par cet
accueil qu’onfaifoit aux difciplesde laPhi-
lofophie de D e s c a r t e s , redoubla d’ardeur,
afin de s’étendre davantage; & fes
fuccès répondirent à fon zèle & à fes travaux.
C e ProfefTeur ne pouvoit fe 1 aller
d’admirer notre Philofophe. Il écrivoit au
Pere Merfenne qu’il étoit fa lumière, fon
fbleil ôc fon dieu : Is ejlmea lux, meus fo l,
«rit ille mihifemper Deus. Mais fi fon efprit
fe nourrifioit avec des fatisfaCtions infinies
des productions de ce grand génie, fa fanté
étoit épuifée par les longues veilles que
ces fatisfaCtions occafionnoient. Son fang
s’alluma, & la fièvre étant furvenue, elle
l ’emporta dans peu de jours. L ’Univerfité
fit rendre à M. Reneri les derniers devoirs
avec la plus grande pompe. M.Emilius,
ProfefTeur d’Eloquenee,prononça fon orai-
fon funèbre ; & comme c’étoit celle d’un
Cartéfien, notre Philofophe y fut loué de
la maniéré la plus noble, la plus touchante
& la plus diftinguée. Les Magiftrats, après
avoir approuvé publiquement ce difcours,
ordonnèrent qu’il fût imprimé & difîribué
fous leur autorité, tant pour honorer la
mémoire de leur ProfefTeur , que pour
donner des marques éclatantes de la recon-
noifiance qu’ils avoient du fervice important
que leur avoit rendu D e s c a r t e s en
formant un tel difciple. M. Regius voulut
remplacer M. Reneri dans l’efprit de notre
Philofophe. Il le fupplia par écrit de lui
permettre qu’il l’allât voir pour obtenir
auprès de lui la place du défunt, ajoutant
ques’il le lui accordoit, » ils’eftimeroitaufÏÏ
»heureux que s’il étoit élevé au troifiéme
»ciel«?..
Tous les Bons efprits de PUniverfité fe
réunirent pour applaudir aux élogesqu’on
donnoit à D escartes , & y joindre les
leurs. Mais il fé'trouva parmi eux de ces
hommes fuflrfans extrêmement prévenus
en leur faveur, & très-jaloux du mérite des
autres. I l s’éleva nommément contre lui
un perfonnage très-important en apparence,
& très-petit en réalité. I l s ’appel-
loit Gißert Vxtius. Il étoit le principal
Miniftre- du Temple, & le premier des
Profefleurs en Théologie. Il portoit par-
toutcet air triomphant qu’il avoit rapporté
du Synode de D o r t, où il s’êtoit trouvé
du côté des vi&orieux, c’eft-à-dire, de
ceux qui, afliftés de l’épée & du crédit du
Prince d’Orange, étoient venus à bout de
condamner le parti des Remontrans (b), &
il s’étoit acquis, une forte d’autorité fur
U]i Eettres dt De/barits , Tom. II.
Làj C ’d l i c i l'affaire de MAI. de Barntvtlt $c Grossste, Voyez I’Hïftoire de Grotius dans.le fécond Volume de
cet Ouvrage.
prefque tous les efprits, par je ne fai quelle
réputation de gravité Ôc de fuffifance. Tou-
tes ces qualités étoient foutenues par beaucoup
d’amour propre pour fa perfonne,
accompagné d’un mépris intérieur pour
toutes celles qu’il n’avoit pas.
T e l étoit l’homme qui fe déclara l’ennemi
de D e s c a r t e s . I l commença d’abord
par inquiéter M. Regius ; déclama en
même temps contre la Philofophie Carté-
fienne;& lorfqu’il fut ReCteur d e l’Uni-
verfité, il publia plufieurs libelles diffamatoires
contre lui. En attendant, ce Minif-
tre travailloit fourdement à le perdre de
réputation , & le décrioit copime un ennemi
de la Religion en général, ôc des
EglifesProteftantesen particulier. Dans le
deflein de faire changer les bonnes difpo-
fitions des Magiftrats, il fit foutenir des
thèfes dans lefquelles on le traita d’athée.
I l chercha aufli à nuire à M. Regius. Il examina
les opinions nouvelles ( qui étoient
celles de D e s c a r t e s ) qu’il enfeignoit,
& lui fit un crime devant fes collègues de
tout ce qui ne fe trouvoit pas conforme
aux maximes des anciens Médecins & Phi-
lofophes,établies ôc reçues dans lesUni-
verfités de Hollande. Cela fe pafloit dans
le particulier. Mais fa colere s’étant allumée
par le mépris que faifoit M. Regius de
fes emportemens-, il éclata le 6 Juin 1640
par une thèfe qu’il fit foutenir contre la circulation
du fang ; doftrine qu’enfeignoit
M. Regius d’après D e s c a r t e s (a)., & qui
pafloit pour une héréfie parmi les igno-
rans ôc les entêtés. Enfin Voetius parvint
par fes intrigues à faire révolter la plupart
des Profefleurs contre ce fentiment. De
forte que le ReCteur de l’Univerfité, quoi-
qu’ami de notre Philofophe & de fon nouveau
difciple, ne put rêfifter auxinftances
que lui firent les autres Profefleurs de Philofophie
ôc de Médecine, pour défendre à
M. Regius d’enfeigner de pareilles nouveautés.
Ce Cartéfien eut beau repréfenter
combien il étoit ridicule de rejetter les v é rités
fous prétexte qu’elles étoient nouvelles
; toute la grâce qu’il obtint, ce fut
que s’il foutenoit déformais la circulation
du fang, il ne pourroit le faire que par maniéré
de corollaire avec la formule ordinaire
: exercicii caufa defendimus. Cela n’empêcha
pas M. Regius de faire imprimer Tes
thèfes à ce fujet, fans aucune permiflîon ôc
fans aucun égard à cette défenfe. Cette
liberté fut prife pour un attentat à l’autorité
de PUniverfité, à qui il appartenoit
de droit d’ordonner l’impreflîon des thèfes.
On députa vers le Magiftrat pour s’en
plaindre; & le Magiftrat.répondit qu’on
pafteroit celles-ci, puifqu’elles étoient imprimées
; mais qu’à l’avenir il ne s’en im-
primeroit plus {ans l’ordre du ReCteur de
l ’Univerfité.
Cette réponfe n’apporta aucun remede
au mal que cette impreflîon devoit produire
fuivant M. Voetius. I l s’en plaignit à
plufieurs Profefleurs, ôc excita des troubles
que les Curateurs de l’Univerfité d’U -
trecht crurent devoir appaifer. Dans cette
v u e , ils publièrent une Ordonnance portant
défenfe d’introduire des nouveautés ou
des maximes contraires aux Statuts de l’U niverfité.
L a chofe étoit affez équivoque.
D e s c a r t e s crut qu’il convenoit d’expliquer
cette Ordonnance pour fixer l’efprit
des Profefleurs. C ’eft ce qu’il fit en forme
de réponfe, qui fut jugée très-belle ôc très-
judieieufe. Elle avoit pour but de laifler
- la liberté à M. Regius d’enfeigner la Philofophie
nouvelle, en fe contentant de modérer
fon z è le , ôc de tempérer ce qu’il y
avoit de trop hardi- dans fes opinions.
Pendant que lesCartéfîens éprouvoient
des contradictions, leur Maître tâchoit de
fe confoler de leurs afflictions dans les bras
de l’amour. Une Demoifelle aimable (b)
avec laquelle il vivoit depuis environ
1 6 3 4 , lui faifoit quelquefois oublier les
charmes de la Philofophie. Quoique fon
efprit fût fublime ôc é le v é , il tenoit encore
aux fens, & éprouvoit leur pouvoir
la] On attribue avec raifon la de'couverte de la circulation
du fang à Harvée i mais on ne peut difeon-
venit que Desc&rtes ne fo itle fauteur de- cette découverte..
[£] On ne fait point ce que o'e'toit que cette Demoifelle,
comment D e scarte s en fit là connoil-
fance ,.ni ce qu’elle devint après avoir mis une fille;
au mondes