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2°. Qu’un homme doit traiter un autre
homme comme fon égal , c’eft-à-dire ,
comme homme , ôc par conféquent lui
rendre tous les fervices dont il peut être
capable. Car tous les hommes font frères
, 6c il n’y a naturellement d’autre différence
entr’eux que celle de l’âge. Dans
les fervices qu’il rend, il ne doit avoir
en vue que la feule fatisfaétion d’avoir
pû. être utile, fans aucun mélange d’intérêt
particulier ; parce que ce font-là
les véritables bienfaits & les feuls qui
foient dignes d’eftime. (b) T ou t le refte
n’eft que jaCtance 6c vaine gloire.
C e n’eft point allez de faire connoître
aux hommes ce qu’ils fe doivent réciproquement
pour qu’ils l’obfervent. Tous
les efprits ne font pas également portés:
à la vertu. I l eft des âmes viles qui ne
connoiffent que leur intérêt, 6c qui font
abfolument infenfibles- au plaifir d’obliger.
D ’ailleurs il feroit trop humiliant
d’attendre 6c de devoir fon état 6c la fortune
à la charité de nos femblables. I l
faut donc qu’il y ait une loi de pratiquer
ces allions , pour fortifier encore ce que
le droit naturel prefcrit.. 6c pour y fup-
pléer. E t c’eft ce qui forme le Droit
C ivil.
I l y a deux fortes- d’obligations, une
naturelle, Ôc l’autre civile. L ’obligation
naturelle nous prefcrit tout ce qui eft
bien , quand même il ne feroit pas de
devoir. C ’eft la pratique du Droit Naturel.
L ’obligation civile eft celle qui eft
ordonnée par le D roit Civil.
On divife encore l’obligation en trois,
en naturelle, en civile 6c en mixte. L a
première eft diCtée par la. feule équité naturelle.
L a fécondé, par la procédure ou
le jugement de ceux qui font prépofés
pour l’adminiftration de la. juftice. E l'
l’obligation mixte eft formée par l’autorité
de là civile. Ainfr l ’obligation natu*-
relle eft la loi même de la nature. L ’obligation
civile eft la bafe des loix d’une
fociété. E t l’obligation mixte eft lafou-
milfion à l’autorité qui foutient l ’une par
D O R F F.
l ’autre. De -là découlent deux grandes
vérités , qui conftituent tout le Droit
Civil. L a première , que nous devons
obéir aux lo ix , qui font fondées fur l ’obligation
naturelle. L a fécondé, que nous
fommes tenus de remplir les engagemens
que nous avons contractés, & par l’obligation
naturelle, ôc par l’obligation
civile.
Refte à expofer le Droit des Gens :
mais ce Droit eft fi développé dans les
principes de Grotius Xur le Droit de la
Guerre 6c de la Paix, que je crois devoir
y renvoyer le Leéteur.
Principes de Légijlation de PtJFENDORFÏf
fiir les devoirs de VHomme
& du Citoyen.
Une aétron humaine exactement eon^
forme aux: loix qui en- impofent l’obligation
, c’eft ce qu’on appelle un Devoir*
On entend par Attion humaine, un aCle-
qui a pour principe les lumières de l ’entendement
& la-détermination de la vo lonté.
Ces lumières font communes à tous
les hommes ; ôc avec un peu d’attention, il-
n’ÿ a perforine qui nefoit en état de comprendre
dü moins les principes>& lès préceptes
généraux qui conftituent une vie-
honnête ôc tranquille, 6c d’appercevoir-
en même temps leur conformité avec la-
conftitution de la- nature humaine.
Lorfqu’on eft bien inftruit de ce qu’il
faut faire ou ne pas faire , en forte qu’on
puiffe rendre rai fon de fes fentimens p ar
des preuves certaines 6c indubitables,
on a la- confidence droite. Si étant au fond*
dans des fentimens véritables fur ce qu’il'
faut faire ou ne pas faire, on ne voit point*
d*ailleurs aucune bonne raifon de donner-
la préférence aux fentimens oppofés, &
qu’on n’ait point des principes par-lefquels
on puiffe fe- déterminer;, on a dans cette
fituation une confiietiee probable. C ’eft par
elle que fe conduifent la plupart des homr
mes ; car il y en a fort peu qui foiertt en»
état de connoître les. chofes par réglas..
P) Vo y ez la D o û i in ^ d c Sbtiptjpuri fm le naliUc~& Ix v er ts.
P U F E N
Etffin quand par le conflit des raifons
qu’on voit de part & d’autre, fur-tout à
Il’égard des cas particuliers, 6c qu’on n’a
ni allez de pénétration , ni affez de lumières
pour diftinguer clairement & distinctement
lefquelles de ces raifons font
les plus fortes , on aune confcience doit-
teufe. Dans ce cas-là , on doit fufpendre
toute aCtion ; car on ne doit point agir fi
l ’on ne fait pas fi on fait bien ou mal.
En agiffant, on.peut prendre le faux
pour le vrai ; 6c on eft alors dans Verreur.
J 1 y a deux fortes d’erreurs. L ’ une eft
celle où l’on auroit pû s’empêcher de tomber
, fi on eût pris tôus les foins convenables
& apporté toute l’attention nécef-
faire ; & on l’appelle erreur vincible ou fur-
montable. L ’autre, qu’on nomme erreur invincible
, eft celle dont on ne fauroit fe
garantir avec tous les foins moralement
polfibles , félon la conftitution des chofes
humaines 6c de la vie commune. Cette
dernière n’a point lieu ordinairement en
L matière de préceptes généraux de la vie
humaine ; mais feulement par rapport aux
' affaires ôc aux particuliers, du moins à
l ’égard des perfonnes un peu inftruites.
O n peut encore fe tromper lorfqu’on
manque de certaines connoiffances qui ont
rapport à l’aCtion qu’on aura faite ou
omife; 6c cette efpece d’erreur s’appelle
ignorance. On la diftingue en ignorance
efficace, & en ignorance concomitante, ou
qui accompagne Amplement l’aCtion.
Celle-là confifte dans le défaut d’une
connoiffance qui auroit empêché d’agir,
fi on l’avoit eue ; 6c celle-ci fuppofe la privation
d’une connoiffance qui n’auroit
point empêché d’agir , quand même on
auroit fu ce que l’on ignore.
L ’ignorance peut être encore ou volontaire,
ou involontaire. L ’ignorance volontaire
eft ou contractée par pure négligence
, ou affèCtée, c’eft-à-dire, produite
par un mépris direCt & formel des moyens
que l’on avoit de s’inftruire de ce qu’on
pouvoit 6c devoit favoir. L ’ignorance involontaire
confifte à n’être pas inftruit
des chofes que l’on ne pouvoit ni ne de-
voit favoir.
Ces chofes bien diftinguées, il faut que
D O R F F.
l ’homme fe détermine à agir pai* un mouvement
propre 6c intérieur, pour qu’il
puiffe répondre de fes aCtions ; je veux
dire qu’il ait la volonté de faire ou de ne
pas faire une chofe. Cette volonté fuppofe
ou renferme la fpontanéité 6c la fi-
berté : la fpontanéité , afin que l’homme
fe détermine de fon bon g r é , fans aucune
néceflïté interne 6c phyfique ; & la liberté ,
afin qu’il foit le maître d’agir ou de ne
pas agir.
Lorfqu’on a cette volonté 6c qu’on agit
volontairement, on eft réputé Vauteur de
fes propres allions. L a volonté n’eft pas cé-
pendant toujours dans un parfait équili-;
b re , de maniéré que dans chaque aCtion
elle fe détermine d’un ou d’autre côté ,
uniquement par un mouvement intérieur,
produit en conféquence d’un mur examen
de tout ce qu’il y avoit à confidérer.
I l arrive très-fouvent qu’elle eft déterminée
par divers poids extérieurs. Le
penchant qu’on a pour certaines chofes,
& l’averfion pour d’autres ; la difpofition
particulière du naturel, la conformation
des organes, les pallions, 6c fur-tout l’habitude
contractée par des aCtes réitérés ,
ou par une fréquente pratique des mêmes
chofes, entraînent l’ame comme malgré
elle,& tirannifent la volonté.Malgré cela,
on eft refponfable dé toutes les aCtions qui
font produites 6c dirigées par l ’entendement
& par la volonté, de quelque maniéré
qu’elles le foient. Car la raifon :1a
plus forte & la plus prochaine qui auto-
rifeà attribuer une aCtion à celui qui l’a
fa ite , c’eft qu’il l’a produite lui-même le
•fâchant 6c le voulant d’une maniéré médiate
ou immédiate. On doit donc admettre
pour principe confiant : Qu'on efl
refponfable de toute aüion qu'il a été en
notre pouvoir de faire ou de ne pas faire.
Voici les conféquences qui fuivent de
ce principe.
i° . Les aftions d’autrui, les opérations
des autres caufes antérieures, & les évé-
nemens , quels qu’ils foient, ne peuvent
être imputés à perfonne , qu’autant qu’on
pouvoit & qu’on devoit les diriger.
2°. Les qualités perfonnelles & les au-
. très chofes qui fe trouvent ou ne fe trou-
H ij