rit de l’ambition par l’ambition ’même. -Il
tend à de fi grandes chofes, qu’il méprife
ce qu’on appelle tréfors, pofte, fortune,
faveur. I l ne voit rien dans de fi foibles
avantages , qui foit aflez bon & aflez fo-.
lide pour remplir fon coeur, & pour mériter
fes foins & fes défirs. Il a même be-
foin d’efforts pour ne pas trop les dédai-A
gner. Le feul bien capable de le tenter,
eft cette forte de gloire , qui devroit naître
de la vertu toute pure 8c toute fimple ;
mais les hommes ne l’accordent gueres
& il s’en pafle. I l fe paye par fes mains
de l’application qu’il a à fon d evoir, par
le plaifir qu’il fent à le faire ; & fe défin-
téreffe fur les éloges , l’eftime 8c la re-
connoiflance qui lui manquent quelquefois.
Semblable à un couvreur , il ne
cherche ni à expofer fa v ie , ni nefe détourne
à la vue du péril. L a mort eft
pour lui un inconvénient 8c jamais un ©b-
ftacle. I l ne regarde dans fes amis que la
feule vertu , qui les attache à lu i, fans
aucun examende leur bonne ou mauvaife
fortune. J1 eft peu touché des chofes rares,
mais il l’eft beaucoup de la vertu. I l
confume fa vie à ob fer ver les hommes y
.8c il ufe fes efprits à en démêler les vices.
& les ridicules pour les rendre meilleurs.
I l ne prétend point ramener les.
autres à fon goût & à fes fentimens : il
cherche feulement à penfer & à parler
jufte.
S ’il croit devoir mettçè au Jour 1«
fruit de fes veilles , il a foin de lire fon
Ouvrage à ceux qui en favent affez pour
ralifte. Dès-lors le Public eut les yeux
fixés fur lui. I l l’élut lui-même membre
de l’Académie Françoife ; mais cette
élection ne fut pas fitôt confirmée par
cette illuftre Compagnie. L e grand Roi
qui gouvernoit alors la France, & auquel
les Lettres font fi redevables , s’étonna
de cet oubli. I l n’en fallut pas davantage
pour procurer à L a B r u i e r e la
première place vacante. I l fut reçu le i y
Juin de l’année ié p y j ^ la place de M.
de la Chambre.
C ’étoit-là là feule chofe qu’il pouvoit
ambitionner. Content déformais de mener
une vie tranquille , 8c dégoûté en
Philofophe de toutes les futilités qui
amufent le grand monde, il ne fongea
plus qu’à jouir de lui-même & de fes
amis. Pour écarter l’ennui que le défaut
d’occupation auroit pû amener , il jetta
fur le papier des idées particulières qu’il
avoit fur le Quiétifme ; & il fongeoit à
les mettre au jour , * lorfqu’il s’apper-
çut, étant à Paris en compagnie, qu’il de-
venoit entièrement fourd, fans cependant
reflentir aucune douleur. Il retourna fur
le chanfp à Verfailles à l’Hôtel de Condé
où il avoit fon logement ; & quatre jours
après cet accident, il eut une attaque
d’apoplexie d’un quart d’heure qui le mit
au tombeau. I l expira le i o Mai i6 y 6 ,
âgé de j"2 ans.
Morale ou DoClrine de L a B r u i e r e
fur les Moeurs 6* les Caractères.
I l n’y a point de maxime qui convienne le corriger de. l’eftimer. Car il n’ignore
mieux à tous les hommes & qui leur foit pas que ne vouloir être ni confeillé ni
plus utile, que celle qui nous fait con-
soître notre inutilité dans le monde, quel-
qu’élevé que nous y foyons , 8c quelque
mérite que nous puiflîons avoir, en nous
apprenant qu’on ne s’apperçoit pas de
notre exiftence lorfque nous mourons , &
qu’il fe trouve un nombre infini de per-
fonneç pour nous remplacer. Aufli le Sage,
qui voit le néant de toutes les grandeurs ,
ne cherche point à fe faire valoir. 11 guécorrigé,
eft un pédantifme. Aufiî reçoit-
il avec une égale modeftie les éloges 8c
la critique qu’on fait de fes productions.,
L a même juftefle d’efprit , qui lui fait
écrire de bonnes chofes , lui fait appréhender
qu’elles ne le foient pas aflez:
pour mériter d’être lues. Sa docilité à
l’égard des Juges de fes Ecrits, n’eftee-.
pendant pas te lle , qu’il adhéré aveuglément
à tout ce qu’ils trouvent de repré-
? Ççt Ouvrage a été publié en r$ss par M. Dn(in, feus le titre de Dialogttis for le Stuitüfn**,
henfiblé. I l n’y a point d’Ouvrage fi accompli
, qui ne fondît tout entier au milieu
de la critique, fi fon Auteur vouloit
en croire tous les Cenfeurs, qui ôtent
chacun l’endroit qui leur plaît le moins.
L a réglé pQJîL juSer d’un ^vre de ^ o -
raie ou de Littérature , eft de faire attention
s’il éleve l’efp rit, 8c s’il infpire
des fentimens nobles & courageux. Son
but n’eft point d’exciter par fes Ouvrages
d’admiration.; parce que l’admiration
eft toujours le.partage des fots: les gens
d ’efprit admirent rarement, mais ils approuvent.
S’il é c r i t , il n’écrit pas feulement
pour être entendu ; mais il tâche
en écrivant de faire entendre de belles
chofes. Son attention dans fon ftile, eft
que fa diélion foit pure, & que les termes
dont il fe fe r t, ex priment, des pen-
fées nobles, v ive s, folides, & qui renferment
un très-beau fens. Enfin il n’a
aucun égard au goût de fon fiécle ; mais
il tend à la perfection, 8c fait fe confoler
fi fes contemporains ne lui rendent pas
juftice. Perfuadé qu’il n’y a point au
monde un fi pénible métier que de fe
faire un grand nom, il renonce volontiers
à ce glorieux avantage. Sans que
fon ambition en fouffre, il fait fe palier
des charges 8c des emplois, 8c il confient
volontiers à demeurer tranquille chez lui
& à ne rien faire. Cela paroît blâmable
aux yeux du vulgaire ; car très-peu de
perfonnes ont aftez de mérite pour jouer
ce rôle avec dignité , ni aftez de fond
pour remplir levuide du temps , fans ce.
qu’on appelle affaires. I l ne manque cependant
à l’oifiveté du Sage qu’un meilleur
nom, 8c que méditer, parler, lire
8c être tranquille, s’appellât travailler.
Dans la fociété il eft uni , agréable ,
fans prétention. S ’il s’entretient avec
quelques perfonnes, il tâche bien moins à
montrer de l’efprit qu’à en faire trouver
aux autres. En effet celui qui eft content de
foi 8c de fonefprit, l ’eft toujours de vous,
parfaitement. Les hommes n’aiment point
à vous admirer : ils veulent plaire. Ils,,
ne cherchent pas tant à être inftruits 8c
même réjouis , qu’à être goûtés 8c applaudis
; & le plailir le plus délicat eft.
de faire celui d’autrui. L ’imagination ne
domine ni dans lès converfations ni dans
fes écrits 5 parce que cette faculté de**
l’entendement ne produit fouvent que des
idées vaines 8c puériles, qui ne fervent
point à perfectionner le goût 8c à nous rendre
meilleurs. C ’eft le jugement qui doit
produire nos penfées. Lorfqu’il prononce
fur quelque chofe , il dit modeftement
qu’elle eft bonne ou mauvaife & les rai-
fons pourquoi elle l’eft , au lieu de décider
d’un ton impérieux 8c qui emporte la
preuve de ce qu’on avance, ou qu’elle
eft exécrable, ou qu’elle eft miraculeufe..
Sur les queftions qu’on lui fait, il nie ou
affirme Amplement, c’eft-à-dire , oui ou
non, 8c il mérite d’être cru. Son caraCter©
Jure pour lui ; donne créance à fes paroles
, 8c lui attire toute forte de confiance.
Cependant avec de la vertu, de la cap
a c ité^ une bonne conduite , on peut
encore non-feulement ne pas plaire, mais
auflï être infupportable. Les maniérés
que l ’on néglige comme de petites chofes
, font fouvent ce qui fait que les hommes
décident de vous en bien ou en mal*
C ’eft donc une attention importante ,
quoiqu’elle doive être légère , que de les
avoir douces 8c polies pour prévenir les
mauvais jugemens. I l ne faut prefque
rien pour être cru fier , in c iv il, mépri-
fan t, défobligeant : il faut encore moins
pour être eftimé tout le contraire. V é ritablement
la politefte n’infpire pas toujours
la bonté , l’équité, la complaifance,.
la gratitude , mais elle en donne les apparences
, 8c fait paroître l’homme au-
dehors , comme il devroit être intérieurement.
Les maniérés polies donnent cours
au mérite 8c le rendent agréable. I l faut
avoir des qualités bien éminentes pour
fe foutenir fans la politefte. On peut la.
définir une eerta’me attention à faire que
par nos. paroles 8c par nos maniérés, le s
autres foient çontens de nous- 8c d’eux-
mêmes. C ’efl par exemple une foute contre
la politefte, que de louer, immodérément
en préfence de ceux.que vous faites
chanter ou toucher un infiniment , l'uel-. qu’autre perforine qui a ces mêmes talens^