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naturelle Veut que le fort en décide ? 6c
qu’on s’en tienne à fa décifion ; à moins
qu’un des contendans ne foit déjà en pof-
feflïon, ou qu’il n’occupe le premier ; car la
treiziéme L o i naturelle le maintient dans
ia pofleflïon.
Malgré toutes ces précautions , il eft
des cas où les Parties ne conviennent point
entr’elles de leur droit réciproque. O r il
faut alors qu’elles fe rapportent à des arbitres
fur le fujet de leurs difputes ; que
les arbitres ne foient point intéreffés dans
l ’objet de la conteftation, parce que per-
fonne ne peut être Juge dans fa propre cau-
f e ;& que ces Parties ou Juges n’efpèrent
point de récompenfe d’une des Parties
contendantes : ce qui fait le fujet de trois
L o ix particulières.
Dans l’examen de la caufe,les Juges doivent
faire attention li les contendans conviennent
des faits, & s’en rapporter a dès
témoins lorfqu’ils ne s’accordent pas : dix-
feptiéme Loi naturelle. L e Juge eft encore
obligé de ne rien faire qui puilfe déterminer
fa volonté & troubler fon Jugement.
Ainfi il eft obligé de vivre avec tempérance
, & d’éviter toutes fortes de débauchés.
Toutes ces Lo ix forment la L o i naturelle
proprement dite , qui eft la meme
que la L o i morale. En effet le but unique
de cette L o i eft de maintenir la paix ; &
comme tous les moyens qui peuvent la
rendre bonne & confiante font utiles a
cette fin, il fuit que lamodeftie, l’équité,
la probité, l’humanité, 6c en général toutes
les vertus font renfermées dans cette
L o i. Or une L o i qui fuppofeles'vertus,
favorife les bonnes moeurs. Donc la Loi
naturelle eft la même que la Loi morale.
I l refteroit à faire voir que cette L o i eft
la même que la L o i divine, pour démontrer
la néceflïté de la fiiivre. Mais ne fait-
on pas que la Religion renferme la morale
la plus pure ? E t puifque la Loi naturelle
eft fondée fur la morale , elle eft
conforme à la L o i divine. ( H o b b e s
prouve cette conformité par une multitude
de partages tirés de l’Ecriture Sainte. )
Concluons donc que la L o i naturèlle
rigoureufement obfervée, doit contribuer
au bonheur des humains, Mais cette Loi
B ES.
eft naturellement muette ; elle n’a point de
pouvoir, fur-tout contre la violence. T ou t
le monde fait cet axiome de politique -:
Les Loix fe taifent au milieu des armes ;
(inter armajilere leges. ) I l s’agit donc de
les faire parler en tout temps. Cela ne peut
avoir lieu qu’en oppofant une force fupé-
rieure àcelle de ceux qui refufent de l’en-
ten dre. I l faut par conféquent que ceux qui
veulent la paix foient en plus grand nombre
que les autres qui demandent la guerre.
De -là l’origine de VUnion ou de la Société
civile , qui ne peut fubfifter fans la concorde.
Car les hommes n’ont pas les mêmes
avantages que les brutes, qui n’ont d’autre
caufe de divifion que leur propre appétit
; au lieu que les hommes ont des paf-
fions terribles, telles que la haine & la
jaloufîe, qui les divifent perpétuellement.
Ainfi cette concorde ne peut avoir lieu
que l ’accord de leur Société n’ait un lien ;
c’eft-à-dire que leur paéte ou convention
ne foit entre les mains d’une Perfonne civile,
( repréfentée par un ou plufieurs particuliers
) qui puiffe faire ufage de la force
commune pour la tranquillité ôc la propre
sûreté des Membres qui la composent
; de forte qu’il eft de l’intérêt de
chacun de ces Membres de remettre ]leur
droit entre les mains de cette Perfonne en
qui réfide en quelque manière tout le pouvoir
des autres.
L a Société étant formée, il eft évident
que nul homme ne peut s’arroger aucun
droit, à moins que ce droit ne fut pas compris
dans la ceflion de ceux dont on s’eft
dépouillé envers la Perfonne civile. I l eft
auffi.manifefte que dans une délibération,
la queftion doit être décidée à la pluralité
des voix , 6c que la moindre partie doit
céder à la plus nombreufe. C ’eft pourquoi
fi quelqu’un refufoit d’adhérer à la délibération
prife de cette manière, il doit être
exclus de la Société.
Les chofes réglées ainfi, il faut encore
que chaque particulier foit protégé contre
la violence des autres, afin qu’il puifle
vivre en fureté ; car ce n’eft qu’à cette
condition qu’il s’eft défifté de fes droits.
I l eft donc néceffaire que la Perfonne civile
ait le pouvoir de châtier ceux qui
H O B B E S .
inquiéteroîent quelque Citoyen. E t comme
lès motifs de cette diffenfion ne peuvent
venir que de ce que l’un vou-
droit ce que l ’autre diroit lui appartenir
, ou fur leur différente idée de jujie &
d'injajle, d'utile 6c d’inutile, de bon 6c de
mauvais , d’honnête 6c de deshonnête, 6cc.
il eft convenable que la Perfonne civile
aflîgne ce qui appartient à chacun ;
défini fie ce que c’eft que jufte,injufte,honnête
, deshonnête, b on, mauvais, &c. 6c
défende les chofes mauvaifes, comme le
v o l , l’homicide, l’adultère , 6c généralement
toutes les injures; c’eft-à-dire qu’elle
prefcrive ce qu’il faut faire 6c ce qu’il
faut éviter ; en un mot qu’elle farte des
Loix civiles.
Outre c e la , comme il eft impoflible
qu’une feule Perfonne ou qu’une même
affemblée de Citoyens puiffe fubvenir aux
affaires intérieures 6c extérieures de la Société
, pour conferver la paix au dedans
& au dehors, il faut divifer Tes Perfon-
nes prépofées au gouvernement des C itoyens
en deux claffes, l’une pour l’exécution
des Lo ix civiles, l’autre pour re-
pQuffer ceux qui voudroient faire la
guerre à la Société.
Ces Perfonnes une fois établies, on doit
foufcrire à tout ce qu’elles auront fa it, 6c
parce qu’on ne pourroit les punir de leurs
fautes, puifqu’ils ont la force en main , 6c
afin qu’ils agiffent fans crainte dans les
différentes occafîons. I l eftauflî néceffaire
que ces Perfonnes ayent le pouvoir abfolu
pour qu’elles puiffent agir efficacement ;
que chaque Membre de la Société foit
tenu de leur o b é ir , & qu’ elles ayent le
droit de punir de mort ceux qui refufe-
roient de le faire. D ’où il fuit que qui que
ce foit ne peut fe rien arroger lui-même, &
qu’il n’y a que la Perfonne civile qui doive
lui adjuger ce qu’il demande, fuivant ce
que prefcrivent les Loix.
' I l s’agit de favoir maintenant par qui la
Perfonne civile peut être repréfentée, foit
par une feule tê te , ou par t’aflèmblée de
la Société , ou par une Cour que des
Perfonnes choifies formeront , afin que
les Perfonnes prépofées au maintien de la
paix intérieure ou extérieurede la Société,
puiffent s’y réunir éômme à un centre
commun, 6c qu’elles en reçoivent le pouvoir
de leurs exercices. Si c’eft le Peuple
affemblé qui nomme à la Magiftrature &
aux Charges M ilitaires, le gouvernement
de ia Société s’appelle Démocratique. Lorf-
que ce font des Perfonnes choifies qui
ont ce pouvoir, le gouvernement eft Arifi
tocratique ; ôc quand c’eft une feule Perfonne
qui en difpofe , on le nomme Monarchique.
Dans le premier le Peuple décide
: dans le fécond ce font les Grands :
& dans le troifiéme c’eft le Monarque ou
le Roi.
L e premier gouvernement eft établi
fur un commun engagement de chaque
Particulier. Le gouvernement Ariftocra-
tique tire fon origine de celui-ci. C ’eft
une ceflion de ce contrat ou engagement
à des Perfonnes choifies parmi les Membres
de la Société. E t le gouvernement
Monarchique a auflï la même fource, puisque
c’eft un tranfport des droits du Peuple
à un feul Chef.
Lorfque cette ceflion eft faite , la Société
eft formée , & chaque Membre efl
fujet de la Perfonne civile, en laquelle ré-
fîde le pouvoir fuprême , foit que cette
Perfonne foit repréfentée par le Peuple ,
ou pat les Grands, ou par le Monarque,
I l n’y a que trois cas où il peut recouvrer-
la liberté ; i ° . par l’abdication volontaire
de la Perfonne civile ; 2°. par la défunion
de la Société par des ennemis qui s’en
font rendus maîtres ; 3 ° . Ôç dans la Monarchie,
par la mort du Monarque , lorf-
qu’il ne paroît point de Succeffeur.
Telles font l ’origine 6c la conftitution
de tous les Gouvernemens , d’où découlent
la diftinétion & la prééminence des
Etats. C ’eft la Nation qui a fait les Grands ;
6c cette fierté qui les accompagne ordinairement
, eft l’ouvrage du Peuple. Mais
qu’eft-ce qui a aflïgné des rangs 6c des
propriétés à chaque Particulier ? Pourquoi
celui-ci eft-il dans l’opulence , celui
là dans la médiocrité , 6c ce dernier
dans l’indigence ? Par quel pouvoir ce
Particulier eft-il maître, cet autre valet *
6c ce troifiéme efclâve ? P a rla méchanceté
des hommes. Pour le comprendre , fup