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rendre juflice. Cette querelle s’étant
très-échauffee , la Société Royale crut
devoir la terminer en la foumettant à fa
décilion. Elle chargea plufieurs membres
de la Société, foit Anglois, ou Etrangers
qui fe trouvoièntà Londres , d’examiner
les Lettres des différens Mathématiciens,
qui avoient quelque rapport à cette matière.
Ces CommifTaires firent un recueil
des Lettres qu’ils trouvèrent, & terminèrent
leur rapport par cette conclufion :
que Newton étoit le premier inventeur,
& que M. Keil en le foutenant, dedans
ce qu’il avoit d it , n’avoit pas calomnié
L eibnitz. L a Société Royale fît imprimer
ce recueil de Lettres avec le rapport
des CommifTaires fous le titre de
Çommercium Epijîolicum.
Notre Philosophe apprit à V ienne, où
il étoit alors, tout ce qui s’étoit pafle à
Londres , avant qu’il eût reçu un exemplaire
de cet Ouvrage ; & ayant fu qu’on
çn avoit envoyé un à Jean Bernoulli, il
lui écrivit pour le prier de lui en dire
fbn fentiment. Ce grand Mathématicien
lui fît une réponfe le 7 Juin 17 13 , qui
courut bientôt dans le Public. Dans cette
Lettre Bernoulli prétend que le calcul
des fluxions n’a pas été inventé avant le
calcul différentiel. i ° . » Parce que dans
3? le commerce de Lettres deM. Collins,
» d’où les Anglois tirent leurs argu-
* mens, on ne trouve pas le moindre in-
» dice d x qu d’y marqué par un , deux
» ou trois dcc. points, que M. Newton
» emploie à préfent pour marquer dx ,
» ddx , d 3 x , &c. ce ( Ce font des expref-
fjons du calcul de L eibnitz. ) » On ne
» trouve pas non plus aucune de ces
a? marques dans les Principes de Philofo-
a phie de M. Newton ; de il n’y efl: pas
fait la moindre mention de fon calcul
a» des fluxions , quoiqu’il eût un grand
»? nombre d’occafions de s’en fervir. Tout
cet Ouvrage efl fans analyfe : la mé-
» thoae que luit l’Auteur ne lui efl pas
» particulière. M. Huygens, de même au-
* paravant Torieelli, Roberval, Cavalerïus,
» de d’autres, s’en étoient quelquefois
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» fervis. Ce n’eft que dans le troîfièmé
» Tome des OEuvres de Wallis, que l ’on
30 a vu pour la première fois ces Lettres
a» marquées de points , long-temps après
» que le calcul des différences étoit déjà
» commun.. . .
2 0. » Parce qu’on voit par 1 es Principes
* de M. Newton, qu’il ne favoit pas en-
» core alors a ( dans le temps de l’invention
du calcul différentiel ) » la véritable
» manière de prendre les fluxions des flu-
*xions ,®c’efl-à-d:re , de différentier les
» différentielles. Non-feulement il nomme
» 0 à la manière ordinaire l’augmentation
» confiante dur, ce qui fait perdre tout
» l’avantage du calcul différentiel ; il a
» même donné une règle fauffe pour les
s» dégrés plus élevés................Quoi qu’il
» en foit, on voit que M. Newton n’a pas
» fu la véritable manière de différentier
» les différences, long-temps après qu’elle
a étoit familière à d’autres » ( k ).
Cette Lettre fît beaucoup de bruit,
M. Keill y répondit avec aigreur ; 8c comme
cette querelle dégénéroit en animo-
fîté , plufieurs perfonnes touchées de cette
rupture, voulurent réconcilier Newton
avec notre Philofophe. M. Chamberlaine
8c M. l’Abbé Conti offrirent fucceflîve-
ment leur médiation à cet effet. D ’abord
M.Chamberlaine écrivit à L eibnitz,pour
lui témoigner le chagrin qu’il aurait de
ne pas le voir en bonne intelligence avec
Newton, & combien il défîroit pouvoir
contribuer à leur réconciliation. Notre
Philofophe répondit obligeamment à cette
Lettre. I l lui marqua que ce n’étoit pas
lui qui avoit rompu cette bonne intelligence
, qu’il en avoit toujours ufé le plus
honnêtement du monde envers Newton 9
8c que bien loin de lui avoir rendu la
pareille, lui de concert avec la Société
Fvoyale, avoient prononcé un jugement
contre lui , fans 1’enfendre , fans favoir
s’il reconnoifloit la compétence de ce
Tribunal, 8c s’il ne tenoit aucun des Juges
pour fufpeét. M. Chamberlaine communiqua
cette Lettre à Newton, qui y
fît une courte réponfe adreflee à M.
( k j Journal Lm , année 17^$ , mois de Novembre & Peccipbre , pag. 4^0
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Chafnberlaine même, dans laquelle il mar-
quoit qu’il ne croyoit point avoir offenfé
L e i e n i t z ; mais qu’il ne pouvoit pas
rétraCter des chofes qu’il favoit être v é ritables
, & qu’il penfoit que le Comité
de la Société Royale ne lui avoit fait
aucun tort dans le jugement qu’elle avoit
porté. Peu content de cette réponfe ,
M. Chamberlaine obtint de la Société
Royale une déclaration qu’elle fit le 20
Mai 1714, de ne point adopter comme
une décifion de fa part, le rapport des
CommifTaires fur l’invention du calcul
de l’infini. I l joignit cette déclaration à
la Lettre de Newton, 8c inféra encore
dans fon paquet la réponfe que M. Keill
avoit faite à la Lettre anonyme de Bernoulli.
Notre Philofophe n’approuva de cet
envoi que la déclaration de la Société ,
8c il rendit des a étions de grâces à M.
Chamberlaine de la peine qu’il avoit prife
à cet égard. I l lui marqua que, quant à
la lettre peu polie, d it- il, de Newton , il
la tenoit pour non écrite (pro non feripta),
de même que l’imprimé de M. Keill. Et
comme il vouloit avoir rai fon de tous
ces procédés , il pria fon officieux médiateur
de demander à la Société les
lettres qui le regardoient parmi celles de
MM. Oldenbourg8c Collins, qui n’avoient
pas été publiées, 8c de les lui envoyer,
parce qu’il vouloit publier de fon côté
un Commerce épiflolaire , où il ne donnerait
pas moins les lettres qu’on pouvoit
alléguer contre lui , que celles qui le
favorifoient, afin de mettre le Public en
état de porter un jugement équitable.
Cette lettre ayant , été lue à la Société
Royale , on la trouva injurieufe aux
CommifTaires qu’elle avoit nommés, puif-
qu’elle fuppofoit qu’on n’avoit point fait
un choix impartial des pièces qu’elle
avoit ordonné de recueillir. On obferva
auffi que Newton n’ayant pas donné lui-
même le Çommercium epiflolicum, il n’étoit
pas jufle que L eibnitz en publiât un de
fa façon ; 8c on convint néanmoins d’offrir
à L eibnitz des copies des lettres de
MM. Oldembourg 8c Collins.
Notre Philofophe n’appfit point fans
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douleur tout ce qui s’étoit pafle à la Société
Royale. Piqué autant qu’un Philofophe
peut l’être , il fît éclater fon dépit
dans J’apoflille d’une lettre qu’il écrivit
à M. l’Abbé Conti, favant Vénitien, nouvellement
arrivé à Londres, 8c avec le quel
il entretenoit depuis long-temps une
correfpondance. Dans cette apoflille, il fe
plaint d’abord de ce que les Partifans de
Newton ont attaqué fa candeur , de ce
qu’ils n’ont point donné dans le Com-
mercium epiflolicum les lettres entières ,
comme l’a fait M. Wallis dans fes oeuvres*
8c qu’ils n’ont publié de ces lettres que ce
qu’ils ont cru fufceptible de mauvaifes interprétations.
Sa colère éclate enfuite. I l
fraite la Mathématique des Anglois de
commune 8c de fuperficielle , leur Méta-
phyfîque de bornée ; 8c attaquant particulièrement
la Philofophie de Newton *
il Te moque de fes fentimens fur la grav
ité , fur le vuide, fur l ’intervention de
Dieu pour la confervation des créatures;
8c finit par l’acculer de ramener les qualités
occultes des Scholafliques, 8c de
fuppofer perpétuellement des miracles.
Enfin il défie les Géomètres Anglois de
réfoudre le fameux problème des tra-
jeftoires.
Cette lettre étoit trop vive pour
qu’elle dût voir le jour. Cependant M,
l ’Abbé Conti, fans faire réflexion fur les
troubles qu’elle pouvoit caufer,ne fit point
difficulté de la communiquer aux Savans
qu’il voyoit. Ceux - ci la répandirent
dans Londres, 8c elle excita des clameurs
fi grandes, qu’elles parvinrent juf-
qu au trône. Le R o i , qui connoifToit parfaitement
les deux illuflres rivaux, voulut
prendre part à cette affaire : il s’en fit
rendre compte par le do&e Vénitien , 8c
lui demanda fi Newton ne répondroit
point. C ’étoit fignifier par-là un ordre
à ce grand homme de défendre ouvertement
fa propre caufe : auffi le fit-il par
une lettre très-détaillée à l’apoflille de
L eibnitz qu’il lui adrefïa directement.
Les raifons ne manquent pas à Newton 5 ^
mais elles font affaifonnées d’un fiel qui les
déprime. O n y voit un Auteur piqué, qui
n’eft point afïez en garde contre l’amour