dien. M. R e g i s , (avant Phyfîcien , attaqua
cette opinion* Le P. Malebran—
CHE répondit , & réduifît la queftion h
favoit fi la grandeur apparente d’un objet
dépend uniquement de la grandeur de fou
image, &du jugement naturel que Pâme-
porte de fon éloignement ; de forte que
tout le refte étant égal, elle doive le voir
d’autant plus grand qu’elle le juge plus
éloigné. M. R e g i s avoit pris le premier
parti, <Sc notr çPhilofophe le fécond. Ainfi;
il foutenoit qu’un Géant fîx fois plus haut
qu’un Nain, & placé à douze pieds de dif-
tance, ne laidoit pas de paroître plus haut
que le Nain placé à deux pieds, malgré l’égalité
des images qu’ils formoient dans
l’oeil ; & cela, parce qu’on voyoit le
Géant plus éloigné , à caufe de l’interpo-
fition de différens objets. M. R é g i s ne fe
rendit pas à ces raifons; & pour terminer
la difpute, il fournit fon fentiment à quatre
Géomètres des plus fameux, lefquels
déclarèrent que » les preuves qu’il appor-
» toit de fon fentiment étoient démonftra-
tives Sc clairement déduites de l’Opti-
» que «. * Ces Géomètres étoient M. le
Marquis d e V H o p i t a l , M. l’Abbé C a t e la n ,
M. S a u v e u r , Sc M. V a r ig n o n .
M. R e g i s attaqua auffi la fécondé quef-
t'ion; mais elle devint fi métaphyfique,
que perfonne n’ofa fe porter pour Médiateur.
Il s’agiffoit de favoir fi le plaifir
nous rend heureux. Ma l e b r a n ch e
difoit qu’oüi, & M. R e g i s prétendoit le
contraire. M. A r n a u d Sc M. B a y le fe mêlèrent
de cette difpute. Le premier prit le
parti de M. R e g i s , & le dernier celui du
P. Ma le b r anche. (Voyez ci-après
rH i f t o i r e de B a y le . )
Pendant que cette difpute s’échauffoit,
h \ . A r n a u d m o u r u t (en i épq.) Sc on s’at-
tendoit qu’elle feroit terminée; mais elle
renaquit en quelque forte de fes cendres ,
par deux Lettres pofthumes de ce Docteur
fur les idées & les plaifirs. Notre Phi-
lofophe y répondit, Sc ajouta à fa réponfe
un petit T r a i t é contr e la p r é v e n tio n , dans
lequel il prétend prouver que M. A r n a u d
p’eft point l’Auteur des Ecrits qui ont paru
contre lui.
Dans ce temps-là l’Académîe Royald
des Sciences fut renouvellée, & on penfa.
à donner au P. M a l e b r a n c h e une
place d’Honoraire. Ce n’étoit point (à
qualité de Métaphyficien qui lui valut
cette diftin&ion. Cet illuftre Oratorien.
étoit encore Phyfîcien ; & on vouloit re-
connoître particulièrement ce mérite. Pour
répondre à cette idée qu’on avoit de lui ,
il étudia les phénomènes de la nature. A
l’aide des tourbillons de D e f c a r t e s , il voulut
expliquer la dureté des corps, leur ref-
fort, leur pefanteur, la génération du feu r
la caufe des couleurs, &e. & tout cela d’après
cette liypothèfe, que la matière fub-
tile répandue dans notre tourbillon eft
divifée en uneinfinité de petits tourbillons
prefqu’infîniment petits , dont la vîtelîe
eft fort grande. C’étoit alors le règne des
tourbillons ; & le mérite du P. Malebranche
donnoit du poids à cette explir
cation.
Pendant qu’il étoit ainfi occupé à faire
un fyftême général de l’Univers, il reçut
une Lettre de l’Evêque de Rofalie qui
étoit à la Chine, & qui lui marquoit que
fa Philofophie y étoit fi goûtée, que les
Chinois defiroient qu’il voulût bien com-
pofer quelqu’écrit qui pût contribuer à
leur inftruâion particulière. Ce travail
n’étoit pas fort attrayant; car quelle gloire
à acquérir pour des peuples qu’on ne
connoît pas ? Mais l’eftime qu’on faifoit de
lui, & la condition qu’on s’étoit impofée
de ne recevoir perfonne à la Chine, qui ne
fût les Mathématiques & fa do&rine, exi-
geoient de fa part quelque marque de re-
connoifiance. Ces confidérations l’obligèrent
à compofer un petit Dialogue , qu’il
intitula ; E n t r e t i e n d ’ u n P h ilo fo p h e C h r é t ie n
Gr d 'u n P h ilo fo p h e C h in o is f u r la n a tu r e de
D i e u .
L?ardeur infatigable de notre Philofo-*'
phe pour l’étude,& fon zèle pour la vérité,
ne lui permettoient pas de prendre quelque
repos, fur-tout quand il étoit queftion de
défendre cette vérité. Un Livre devenu
fameux fous le nom D e l ’a f l io n de D i e u f u r
le s C r é a tu r e s ( par M. B o u r f ie r ) faifoit
beaucoup de bruit. On y traitoit de la préfiijioire
du re^quveÛerncnt dp l’Academie Royale de: Soientfs. Eloge deM, Régit,
motion phyfique, c’eft-à-dire de lafcience
qui eft en Dieu; Sc en confervant le nom
de liberté , on l’anéantiffoit. Le fyftême
qu’on établiffoit à cette fin, ne fut pas
goûté par le P. M A L e B r A N c h e. Il le
crut faux. Dans cette perfuafion, il publia
contre cet Ouvrage des R é f le x io n s f u r la
p r ém o t io n p h y f iq u e . Ce fut là fa dernière
produébkm. Elle parut en 1715“ ; & cette
même année il fut attaqué d’une maladie
dont il mourut. Une défaillance de coeur,
fans fluxion , mais accompagnée de vives
douleurs , le conduifit dans quatre
mois au tombeau. Son corps s’affoiblit peu
à peu & fe deffécha , jufqu’à n’être plus
qu’un vrai fquelette ; & quoiqu’il fût réduit
à très-peu de chofe , fon elprit confer va
néanmoins toute fa vigueur. Il fut ainfi
tranquille fpeétateur de fon agonie : il
en vit approcher le dernier moment, qui
arriva le 13 Octobre, avec une fi grande
tranquillité, qu’il étoit déjà mort qu’on le
croyoit encore en vie.
Peu de Savans ont été tant en vénération
que le P. Malebranche. M. d e F o n -
te n e lle rapporte dans l’éloge de ce grand
Homme, » qu’il ne venoit prefque point
» de Savans étrangers, qui ne lui rendiffent
» leurs hommages. On dit que des Princes
» Allemands y font venus exprès pour lui ;
» & je fai ( c’eft M. d e F o n ten eU e qui parle )
» que dans la Guerre du Roi G u i l la u m e ,
y» un Officier Anglois prifonnier fe con-
» foloit de venir ici ( à Paris ) parce qu’auf-
» fi-bien il avoit envie de voir L o u i s XIV
» & M. Malebranche. Il a eu l’hon-
» neur de recevoir une vifîte de J a c q u e s II
» Roi d’Angleterre ( a ) .
Les Savans du premier ordre , ceux
dont le fuffrage eft de fi grand poids, parce
qu’il eft toujours éclairé , faifoient un cas
infini du P. M A L E B R A N c H E. M. J a c qu
es B e r n o u lli fe félicitoit de s’être rencontré
avec lui dans fon explication de la
dureté des corps ( b ) . L’Auteur ingénieux
de l ’ A n a l y f e des J e u x d e h a fa r d ( M. de
M o n m a u r t ) dans une Lettre adreffée à M.
N i c o la s B e r n o u l l i , S c imprimée à la fin de
la fécondé édition de cet Ouvrage, parle
en ces ternies de la Recherche de la Vérité
& de l’Auteur : » Vous verrez que ce
» grand Homme a porté dansçes matières
» cette netteté d’idées, cette fublimité de
» génie & d’invention, qui brillent avec
» tant d’éclat dans fes Traités de Mé-
» taphyfique «. M. L o k e appelle le P.
Ma l e b r an che Auteur fubtil &
favant; & il donne les plus grands éloges
à la Recherche de la Vérité, quoiqu’il cen-
fure fortement cette opinion ., que nous
voyons toutes chofos en Dieu , & que
Dieu nous montre les idées en lui-même à
l’occafion de la préfence des corps à nos
fens. Cela eft avancé, félon M. L o k e ,
fort gratuitement. Car pourquoi Dieu ne
fera-t-il pas appercevoir des idées quand
il lui plaît, fans qu’il y ait aucun des corps
préfens aux yeux f M. L o k e prouve que
cette opinion peut auffi-bien fe foutenir
que celle du P. Malebranche. Quoi
qu’il en foit, rien n’eft fi beau que le fyftême
de ce Philofophe pour connoître la
vérité. On en va juger par l’analyfe fuivie
que je vais en faire.
S y f iêm e d e M a l e b r a n c h e p o u r
c o n n o ît r e la v é r ité .
L’erreur eft l’origine de la misère des
hommes. Elle eft le principe de tous les
maux qui nous affligent ; & nous ne pouvons
efperer de bonheur folide & véritable
, qu’en travaillant fans ceffe à l’éviter.
Pour cela,on ne doit jamais donner de con-
fentement entier aux propofitions qui pa-
roiffent fi évidemment vraies , qu’on ne
puifie le leur refufer, fans fentir une peine
intérieure, Sc des reproches fecrets de la
raifon ; c’eft-à-dire fans connoître clairement
qu’on feroit mauvais ufage de fa
liberté, fi on vouloit étendre fon pouvoir
fur des chofes fur lefquelles elle n’en a plus.
Voilà pour les Sciences. A l’égard de la
Morale,on ne doit jamais aimer abfolur
(/>) Eloge de M. Bernoulli , TOJU. II de VHiJloirt
du renouvellement de l'Academie.