L E I B N I T Z H
LE s plaifîrs de l’efprit font les plus
purs & les plus utiles pour faire durer
la joie (« ) . Cardan y déjà vieillard ,
étoit fi content de fon état, qu’il pro-
tefta avec ferment qu’il ne le change-
roit pas contre celui d’un jeune homme
très-riche , mais ignorant. L e favoir a
en effet des charmes qui ne fauroient être
connus par ceux qui ne les ont pas goû-
tés. La connoiffance de la vérité répand
dans l ’ame une fatisfa&ion d’autant plus
exquife, que l’amour-propre y a beaucoup
de part. Quoi de plus agréable que d’être
content de Dieu ôc de l’Univers , de ne
point craindre ce qui nous eft deftiné, ôc
d’éprouver fans fe plaindre les différens
accidens auxquels nous fommes expofés !
On voit tout fans s’émouvoir, lorfqu’on
a des principes qui donnent une connoif
fan ce de toutes chofes. Les écarts des
hommes en particulier , ôc de la fociété
en général, les phénomènes finguliers de
la Nature, les événemens les plus extraordinaires,
rien n’étonne celui qui fait un
ufage continuel de fa raifon. I l jouit
d’une tranquillité permanente au milieu
des plus grands troubles ; ôc cette douceur
fait fans doute la plus grande félicité
de la vie : Jifraftus illabatur orbis,
impavidum ferient ruinoe.
C ’eft ainfi que penfoit le contemporain
du grand Newton. Auffî mit-il tout en
ufage pour acquérir cette perfection fi
néceffaire au bonheur de l ’homme. I l
commença d’abord par rechercher quels
dévoient être les attributs de la Divinité.
D e cette connoiffance, il pafla à celle
de l’Univers. De la fagefle & de la bonté
du Créateur , il conclut que le bien &
le mal moral entroient néceffairement
* Hifloire du renouvellement de l'Académie Royale des
Sciences, Eloge de Leibnitz.. Alla rruditorum 1717. Journal
des Savant , 1717. Europe favante , 17x8. La Vie de
M . Leibnitz- , par M . le Chevalier de- Jaucourt. Jacobi
m m Hißoria critica Rhilofophia, Tome IY* Tart
dans la compofition du meilleur des
mondes. I l apprit par-là à fe foumettre
aux décrets de la Providence, ôc à voir
d’un oeil fec tous les malheurs qui pou-
voient lui arriver.Délivré de toute crainte,
il ne penfa plus qu’à jouir des plaifîrs de
l’efprit, que procure le favoir. Convaincu
que ces plaifîrs confiftent en des découvertes
de chofes cachées, dont la connoiffance
intéreffe, & qu’on éprouve dans
cette efpéce de victoire fur les fecrets de
la Nature , unfentiment très-vif de contentement
ôc de fatisfa&ion , il fe livra
fans réferve à toute étude qui pouvoit
le mettre en état de l’éprouver fouvent.
Son efprit s’éleva dans fes méditations.
Il embraffa également les vérités abstraites
ôc les vérités fenfibles, ôc devint
ainfi le conquérant du monde moral ôc
phyfique. L ’Univers admira fes conquêtes.
Mais l’envie qui naît prefque toujours
du fein de la gloire , flétriflant par
fon fiel les lauriers dont on le cou-
ronnoit, mêla quelque amertume aux
douceurs de fa vie. Quoique le Philo-
fophe fût homme, il vit fans aigreur ces
injuftices. Les études qu’il avoit faites
dès fa première jeunefle Ôc l ’exemple de
fes parens le rendoient prefque invulnérable.
Son frere , Frédéric Leibnit%, Pro-
feffeur de Morale, ôc Greffier de l’Uni-
verfité de Le ipfîck, lui avoit laifle une
Bibliothèque confidérable de Livres bien
choifîs , qu’il avoit lus avec ordre ; ÔC
fon grand oncle, nommé Paul Leibnit%,
ennobli en 1600 pour fes fervices militaires
par l’Empereur Rodolphe I I , lui
avoit en quelque forte tranfmis une no-
bleffe d’ame, qui le mettoit fort au-def-
fus de l’envie. I l faut convenir auflî que
altéra. Diélionnaire hijlorique & critiqi e de M. Chauffe-
pie', art. L eibnitz. Ses Lettres , & les autres Ouvrages.
( a ) Ejfais de Théodicée , Tomç I I , page 21 9>