vit point fans émotion tous ces fuccès.
Son frère fur-tout , qui avoit treize
ans plus que lui , & que la nature
avoit formé dès fa naifïance grand Mathématicien
, démêla bientôt toute fa fa-
gacité. I l jetta alors un dévolu fur lu i,
pour le féconder à perfectionner une
. fcience qui faifoit fes délices. Dans cette
vu e , il lui confeilla d’étudier les Mathématiques
,1 & s’offrit à lui fervir de
guide. L e jeune frère reçut cette proportion
avec joie. I l lut les ouvrages les
plus difficiles fur cette fcience avec une
facilité incroyable. C ’étoit pour lui un
jeu ou amufement, plutôt qu’une application
pénible.
Pendant que B e r n o u l l i approfon-
difïoit les queftions les plus abftraites
des Mathématiques , Leibnitz publioit
dans les A êtes de Leipfick quelques efïàis
du calcul différentiel, dont il cachoit la
méthode 6c l’analyfe. Cela formoit une
efpèce d’énigme, qu’aucun Mathématicien
ne cherchoit à deviner, tant elle pa-
roifloit enveloppée. Les deux illuftres
frères prirent à tâche d’en venir à bout.
Ils n’en pénétrèrent pas feulement le fe-
cret ; ils enchérirent encore tellement
fur cette admirable invention , que Leibnitz
fe fît un devoir de déclarer publiquement
qu’ils méritoient d’en partager
la gloire. Notre Philofophe alla
même plus loin. Après avoir imaginé
en quelque forte le calcul différentiel, il
trouva les premiers principes du calcul
intégral , qui eft le calcul différentiel
renverfé (a').
B e r n o u l l i n’avoit cependant encore
que dix-huit ans. Les progrès qu’il faifoit
dans les Mathématiques 6c dans la Phy-
fîque, étoient allez extraordinaires. Il ne
les étudioit prefque plus pour apprendre
de nouvelles choies, mais pour en découvrir.
Son imagination extrêmement
aétive fecondoit parfaitement fes vues.
Frappé des effets de la fermentation ,
il chercha à en affigner la caufe. L e fyf-
tême le plus reçu étoit que cette caufe
dépend du mélange de l’acide Sc de
l ’alkali, deux fortes de molécules, dont
la première a beaucoup de folidité & plu-
fieurs angles aigus, Sc l’autre une grande
quantité de pores, Sc qui en fe pénétrant
l’un Sc l’autre, mettent un obftacle au
cours de la matière éthérée, laquelle, pour
fe faire jou r, les agite dans tous les fens.
Peu fatisfait de ce fyftême, notre Phi-
lofophe, après avoir admis des molécules
a peu près femblables aux acides 6c aux
alkalis, fuppofe dans chacune d’elles un
air condenfé. Cela pofé, lorlqueces molécules
fe mêlent, ils s’infînuent les uns
dans les autres, & fe divifent par leur
poids. Alors l’air qui étoit condenfé dans
chaque molécule, fe dilate, & fe mani-
fefte à la fuperfïcie de la liqueur par un
nombre infini de bulles. Cette nouvelle
explication lui parut fi bien répondre à
tous les phénomènes de la fermentation
& de Peffervefcence, qu’il en fit le fujet
d’un a&e public qu’il foutint au mois de
Septembre i6 p o . I l la publia enfuite
fous ce titre : Differtatio de ejfervefcentiâ
& fermentatione novâ hypothefi fundata ,
quam publicè difcutiendam exhibuit, Joan-
nes B ernoulli. Bajil. AuBor,&c. Dans le
temps qu’ elle étoit fous preffe, & qu’il
réfléchiffoit fur ce mélange de l’acide 6c
de l’alkali, il lui vint en penfee que fi
on avoit deux liqueurs de différentes
pefanteurs qui puffent fe mêler, & un
filtre pour les féparer, on auroit le mouvement
perpétuel ; parce-que ce filtre en
ne laiffant paffer que la liqueur la plus
légère dans le tube ou vafe qui contiendrait
les deux liqueurs, empêcherait que
l ’équilibre ne s’établît jamais entre elles.
En effet, la plus légère s’éléveroit au-
deffus du niveau pour fe mettre en équilibre
avec la plus pefante. Elle fortiroit
par ce moyen du tube , & viendrait fe
mêler de nouveau avec l’autre liqueur.
E t comme l’équilibre ne pourrait pas
fubfifter, le tube étant trop pour! pour
que la liqueur montât affez hau t, l’écoulement
ferait continuel. I l écrivit fur le
l * ) Voyez ci-dcTant l’Hiûoire de Leibnitz,,
champ tout ce procédé , & l’envoya à
l ’Imprimeur, pour le joindre à fa differ-
tation en forme à’appendix.
Pendant qu’il étoit occupé de ces fpé-
culations phyfiques, M. Jacques Bernoulli
fon frère travailloit à connoître les
avantages du nouveau calcul. I l admirait
tous les jours les merveilles qu’il prod
u is it entre fes mains. Mais ce qui l ’étonna
fur-tout, ce fut la folution qu’il lui
fournit d’un problème que depuis Galilée
tous les Mathématiciens avoient effayé
vainement de réfoudre. I l s’agiffoit de
déterminer la courbe que forme une
chaîne, confîdérée comme un fil extrêmement
flexible , chargé d’une infinité
de petits poids, 6c attaché fixement par
fes deux extrémités. Ce problème étoit
connu fous le nom de la Chaînette. M.
Jacques Bernoulli fut fi flatté de la folution
qu’il en trouva , qu’il ne voulut point en
gratifier le Public , fans favoir auparavant
s’il y avoit aétuellement des Géomètres
affez habiles pour faire à cet
égard une nouvelle tentative avec fuccès.
I l le propofa donc dans les Journaux.
Notre Philofophe v it à peine l’annonce
de ce problème , qu’il le réfolut , en
déterminant la nature de la courbe de
la Chaînette. Huguens 6c Leibnitz en donnèrent
auffi une folution ; Sc cette concurrence
de B e r n o u l l i avec les deux plus
grands Mathématiciens de l’Europe, lui
fit une réputation auffi brillante qu’étendue.
I l crut devoir faifir cette circonf-
tance pour fe faire connoître perfonnelle-
ment des Savans , 6c pour profiter en
même-temps de leurs lumières. Dans
cette v u e , il forma le projet de voyager-
Il partit de Bâle en 1 6 p o , 6c fe rendit à
Genève, ou il vit M.. le Clerc , Auteur
célèbre de l’Hiftoire de la Médecine ,
6c M. Fado de Duillier, Mathématicien
habile. Celui - ci ignorait cependant les
miftères du calcul de l’infini- Il follicita
beaucoup notre Philofophe de les lui expliquer
, & il en reçut les inftruétions
les plus étendues, dont il ne fut peutêtre
pas toujours reconnoiflant (£ ).
De Genève B e r n o u l l i vint à Paris-
I l y fit connoiffanee avec le P. Male-
branche, MM. CaJJini, la Hire, Varignon,
6c le Marquis de Lhopital. Ces Savans
l ’accueillirent comme il méritoit de l’être ;
mais le Marquis de Lhopital qui défîroit
beaucoup connoître le calcul différentiel,
l’emmena dans fes terres , où ils s’occupèrent
pendant quatre mois à propofer
& à réfoudre des problèmes géométriques
très - difficiles. Dans cet exercice
notre Philofophe mania avec tant
d’art le calcul de l’infini , qu’il en
tira un nouveau : ce fut de prendre la
différence de l’expofant ( c ) des puif-
fances. Dans le calcul différentiel, l’expofant
eft confiant ;.dans celui qu’il inventa,
l ’expofant eft variable. O r il trouva que la
différence d’un expofant eft égale à la
différence du nombre divifé par le même
nombre. C ’eft la régie générale de ce calcul
, qu’il nomma calcul exponentiel.
Il continua à fon retour à Paris de communiquer
fes connoiflànces aux plus fa-
vans hommes de cette Capitale, 6c à
profiter des leurs ; & après avoir fait
une moiffon abondante en ce genre , il
reprit le chemin de fon pays. 11 y apprit
que fon frère travailloit depuis cinq ans
à déterminer géométriquement le jour
du plus petit crépufcule. Cela piqua fà
curiofité 6c fon émulation.- I l s’agiffoit
de trouver le jour de l’année où le Soleil
emploie le moins de temps qu’il eft pof-
fible à parcourir les 1 8 degrés au-deffous
de l’horifon, qui forment l’arc au crépufcule,
L e problème n’étoit point aifé.
I l éprouva des difficultés fans nombre i
mais fa fagacité étoit fi grande , qu’il
réfolut ce problème en fort peu de temps-
I l découvrit une régie très-fimple par
laquelle on peut déterminer Je jour du plus
petit crépufcule pour chaque latitude :
ainfi on trouve par cette régie , que le»
jours du plus petit crépufcule à Paris T
font le dix-huitième jour ayant le
premier équinoxe, 6c le dix-huitième
(b) Voyez la part qu’il a eue à la difpute du calcul' ( c ) On appelle expofant. fe nomfcre qui exprime là:
différentiel dans l’Hilloite de Leibnitz.. piriffancc à. laquelle une quantité elt élevée.