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C H A R R O N .
U N e fcience infiniment précieufe,
eft fans contredit celle qui nous apprend
à faire ufage de nos facultés 8c de
nos connoiffances, pour nous rendre v é ritablement
heureux. Les talens même
fùpérieurs font inutiles, s’ ils ne contribuent
point _à notre félicité. L ’amour
propre peut bien.être flatté-de l’afcendant
que les faveurs de la nature donnent fur
le s autres mortels ; mais c’eft-là une
fatisfa&ionpaffagere, qui n’a aucune fo-
lidité. I l faut favoir tirer parti de ces faveurs
pour en jouir, ou connoître les
moyens de s’en confoler, lorfqu’on en eft
privé pour vivre content. Les .plus
grands maux ne font pas ceux du corps.
L e s peines de l’efprit les furpaflent infiniment.
Depuis que l’homme v it en fo-
ciété , ces derniers font fans nombre.
L ’attachement envers les perfonnesiqui
ont fu nous toucher ; le defir de les voir
8c lexhagrin de les perdre; la dépendance
ou l’on efl: des autres hommes,; l ’obligation
d’efTuyer les caprices des fupérieurs
.& les malhonnêtetés des inférieurs.; enfin
toutes les pallions., qui ne font pa‘s fufci-
tées par de véritables befoins,tourmen-
tent fans'ceffe celui qui ignore la maniéré
ou de les écarter tout-àTait , ou de les
tempérer comme il convient. Les anciens
étoient très-habiles à cet égard pour la
pratique. Ils ont même laifTé par écrit
des principes généraux tout-à-fait admirables
, qui ne forment point cependant
une théorie. J e veuxrdire que les.Philo-
fophes d e l’Antiquité nous ont bien.dit,
qu’il falloit être f a g e & même comment
on peut l’être ; mais ils n’ont point.réduit
la fageffe en art. C ’eft un ouvrage , de
notre temps , dont j’expoferai le fyftême
après en avoir fait connoître l’Auteur.
Cet Auteur efl Pierre C h a r r o n ,
né à Paris rue des Carmes en i y 4.1 , 8c
baptifé à l’E glife de Saint Hilaire. Son
pere , nommé Thïbcmd Charron , étoit
Libraire ; & fa mere s’appelloit Nicole de
la Barre. Ihihaud Charron eut de cette
femme vingt-un enfans , qui joints avec
quatre autres qü’il avoit eu de fa première
femme , compofoient une famille
très-nombreufe. Un particulier , charge
de vingt-cinq enfans , ne pouvoit guérea
être en-état de leur faire faire de longues
études : mais la nature avoit fi bien favo-
rifé celui dont j ’écris Phifloire, qu’elle
fit prefque tous les frais de fon éducation.
On l’envoya de bonne heure au Colleg
e , & il y apprit en fort peu de temps les
Langues Grecque & Latine. I l fit des
progrès auflî rapides dans fon cours de
Théologie. I l alla enfui te étudier le
Droit C ivil & le Droit Canon à Orléans
ôc à Bourges , 8c obtint le bonnet de
Doéteur en cette derniere Univerfité. I l
revint à Paris, où il fe fit recevoir A v o cat.
Pendant cinq ou fix ans , il fréquenta
le 'Barreau avec beaucoup d’aflîduitë:
mais s’étant dégoûté-de »cette profeflïon ,
il s’appliqua à.la Théologie. 11 compofa
même des Sermons , 8c il devint fi habile
Prédicateur, que plufieurs Evêques s’em-
prefferent à l’attirer dans leur Diocèfe.
Arnaud de Pontac, Evêque de Bazas ,
l ’ayant oui prêcher dans l’Eglife de Saint
P a u l, fut fi content de fon Sermon , qu’il
l’engagea à l’accompagner à Xaintes, à
Bordeaux 8c à d’autres Villes de la Gafco-
gne. C h a r r o n prêcha dans ces diffé-
rens lieux avec tant -d’applaudiflement,
qu’on le recherchoit de toutes parts. Plufieurs
Evêques de cette Province lui
offrirent des dignités 8c le comblèrent de
prëfensafin-de fe l’attacher. Il futfuc -
ceflivementThéologàl de Bazas,d’Acqs,
k Eloge 'de Charron, Y.ir M. M. D. R. M. • Diction- ,
ire de Bayle, art. Charron. Mémoires four fervir <*•
l’ Hi/loire des Hommes ïllujlres par Nice
Et tes Ouvrages/ -
, Tom. XVI.
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