8 6 A B B avoir foin de nous-mêmes. Enfin la dernière
loi fe nomme loi de bénéficçnce »
& elle nous porte à faire du bien à no$
prochains.
Tout cela peut fe réduire à ces deux
facultés de l’homme, fentiment & raifon.
La raifon eft le confeiller de l’ame. Le fentiment
eft comme la force ou le poids
qui la déterminé Nous comparons dans
nos aftions l’une avec l’autre. L’ame con-
fidère non - feulement ce qui lui donne
du plaifir dans le moment, mais encore
ce qui peut lui en donner dans la
fuite. Elle compare le plaifir avec la douleur
; le bien préfent avec le bien éloigné ;
le biçn qu’elle efpère avec les dangers
qu’il faut courir ; & elle fe détermine félon
l’inftru&ion qu’elle reçoit dans fes
différentes recherches , fa liberté n’étant
que l’étendue de fes connoiffances, & l’obligation
où elle eft de ne choifir qu a-
près avoir tout examiné.
Ainfi nous ne fommes point avares
lorfque nous craignons de faire tort à notre
honneur par les baftefles de 1 interet,
Nous ne fommes point prodigues, fi nous
craignons de ruiner nos affaires , quoique
nous afpirions à nous faire eftimer des autres
A D I E.
par nos libéralités. La crainte des
maladies nous fait réfifter aux tentations
de la volupté. Enfin l’amour propre nous
rend modérés & circonfpeéts ; & par orgueil
nous paroiffons humbles & mo-
deftes.
Le plaifir & la gloire font les deux biens
généraux qui aftùifcmtient tous les autres.
Ils en font comme l’efprit & le fel. Il y a
néanmoins entr’eux cette différence, que
l’efprit fe fait aimer & defirer pour l’amour
de lui-même, au lieu que la gloire
fe fait fentir par la fatisfaftion qui l’accompagne.
Cette fatisfaélion confifte èn
ce que nous gagnons l’eftime des autres,
& que l’eftime que les autres font de
nous, confirme la bonne opinion que nous
avons de nous-mêmes. Ainfi, de quelque
manière que nous acquérions cette efti-
me, foit réelle ou apparente, notre amour
propre eft flaté. De-là naiffent la pré-
fomption , la vanité , l’ambition & la
fierté.
Ledefir exceflifque nous avons de nous
faire eftimer des autres hommes , fait
que nous defirons avec paflïon d’être
doué des qualités eftimables, & que nous
craignons extrêmement avoir des défauts
qui nous falfent tort dans l’efprit des hommes
, ou de nous trahir nous-mêmes , en
ne donnant point une opinion affez avan-
tageufe de nous. Or comme on fe perfua-
de ce qu’on defire & ce qu’on craint trop
fortement, ou nous concevons une trop
bonne opinion de nous-mêmes , ou nous
tombons dans une exceffive défiance de
nous. Le premier de ces défauts s’appelle
P r é fom p t io n . Le fécond T im id i t é . La pré-
fomption eft un orgueil confiant , & la
timidité un orgueil qui craint de fe trahir.
La vanité eft la difpofition à s’attribuer
des avantages qu’on n’a point, ou de re-
hauifer ceux qu’on a. Son aliment le plus
ordinaire eft le luxe. La broderie & la dorure
entrent dans la raifon formelle de
l’eftime. Un homme bien vêtu eft moins
contredit qu’un autre. On donne fon efti-
me & fa confideration à des chevaux à
des équipages , à des ameublemens, à des
livrées, &c. & la parure du corps partage
la gloire qui nous paroît être la plus brillante
parure de l’ame. C ic é r o n appelloit
un homme qui oublioit la gloire de fa
profelfion, pour s’attachera cette ridicule
vanité, v ir in dicend is ca u f is b enè v e ft itu s .
La vanité fe nourrit encore de l’oftenta-
tion. On fe pique d’avoir de l’efprit, &
on fait tout ce qu’il faut pour perfuader
qu’on en a véritablement. On contredit
les autres, afin, qu’on croye qu’on a plus
de lumières qu’eux. On dédaigne ceux
qui en favent plus que nous, afin qu’ils ne
nous humilient pas. On parle avec un toij
de confiance des chofes qu’on connoît
très-fuperficiellement, pour qu’on croye
qu’on les entend parfaitement. En un mot,
& dans les difcouVs & dans les allions on
fe ment fans ceffe à foi-même ; c’eft-à-
dire qu’on tâche de perfuader aux autres
qu’on pofsède des qualités qu’on fait bien
ne point avoir.
L’ambition eft un defir de s’élever au-
deffus des autres , defir qui produit l’envie
, fentiment implacable qui vit autant
A B B A D I E.
que le mérite fubfifte. On vous pardonnera
les derniers outrages qu’on aura reçus
de vous ; mais on ne vous pardonnera
pas vos bonnes qualités.
La fierté & l’orgueil font une forte d’i-
vreffe de l’ame , de même que la haine,
l’envie & la malignité en font comme la
fureur. Ce fentiment eft à peu près égal
dans tous les hommes. Dans les uns il fe
manifefte davantage : dans les autres il eft
plus caché. Tous ne penfent pas à fe faire
I b
eftimer , parce qu’il y en a beaucoup à
qui la pauvreté donne des occupations
plus preflantes : mais tout le monde a du
penchant pour l’eftime. L’orgueil vit de
l’erreur des autres , & des Ululions qu’il
fe fajt à lui-même. Pour fe guérir de ces
illufions, il faut modérer l’amour de l’eftime
qui règne dans notre coeur.
C’eft ainfi qu’en fe connoilTant on pourra
fe défaire de fes défauts, & acquérir,
des perfeétions.