s’entretint longtemps avec lui en particulier
; & l’Eleôrice de Brandebourg
lui témoigna fon eftime en lui montrant
Tes Ouvrages qu’elle faifoit porter
toujours par-tout où elle allait. Notre
Philofophe demeura, chez M. le Comte
de Dhona pendant fon féjour a la Haye.
Le s Princeftes voulurent le mener à Delft j
mais il apporta quelque retardement a ce
départ, & on fe fépara.
De retour chez lu i, il reçut de Milord'
Comte de Schaftjbury des lettres pleines
de complimens les plus dateurs. Elles
étoient accompagnées ordinairement de
préfens qu’il n’acceptoit qu’avec peine.
I l s’abftenoit même de lui envoyer fes
Ouvrages, pour ne pas donner occafion à
fes libéralités. L a Société de Dublin lui
donna auffi des marques publiques fon
eftime par une lettre que le célèbre
Edouard Smith lui écrivit de fa part. Enfin
Milord Comte d'Albemarle lui fit écrire
à la H a y e , par le Baron de Wadef, la lettre
la plus polie & la plus obligeante ,
pour le déterminer à l’aller joindre ôc demeurer
auprès de lui à la Haye avec toute
liberté. On lui marquoitdans cette lettre,
qu’il avoit allez honoré la Ville de Rotterdam
par fa préfence, ôc que la Capitale
de la Hollande étoit en droit, avec tous
fes avantages, de l’inviter a la préférer
à un féjour deftiné pour le commerce.
B a y l e s’excufa fur l’uniformité de la
v ie , qui lui convenoit comme à un homme
cafte & à la foiblefte de fon tempérament.
En effet toutes ces diftin&ions venaient
trop tard. Les chagrins & un travail forcé
avoient ruiné la fanté-de notre Pnilofo-
phe. I l étoit attaqué outre cela d’une maladie
de poitrine, mal héréditaire dont
plufieurs de fes parens étoient morts, ôc
elle s’étoit déclarée depuis fix mois. Dai^
cette fituation, B a y l e étoit hors d’état
de rien faire. Cependant commeM. Jac-
quelot avoit attaqué vivement fa Religion,
& que M. Leclerc s’étoit déclaré l’accufa-
teur j B a y l e s’appliqua à repoufter cette
accusation par un imprimé qu’on trouve
à la fin du quatrième volume de fa réponfe
aux queftions d’un Provincial. C e fut là
fon dernier Ouvrage. Son ardeur de poi-»
trine, fafièvre lente, fa toux ôc fon amai-
griflement augmentoient à vue d’oeil. I l
convenoit qu’il fe hâtât à y apporter remède
; mais il ne vouloit ufer d’aucun. IL
difoit qu’ ilpréféroit la mort à une vie languif-.
faute, qu'il valoit mieux lai/Jèr agir la nature
& lui laifferfaire fon coup, que de la tra-
verfer par des médicament. Elle fera plus expéditive
, quoique les Médecins lafajjent plus
avancer que reculer. Malgré fes maux & fa
foiblefte, il compofa encore un Ouvrage
intitulé : Entretiens de Maxime The-
mifte, où il défend fa Religion contre fes
adverfaires.
Cependant la nouvelle de fa maladie fe
répandit parmi les Savans. L ’un d’eux ,
d’un mérite diftingué, de de fes amis particuliers
, obtint de M. Fagon, premier
Médecin du R o i, une très-belle confulta-
tion, qui commence ainfi. » On ne peut
» apprendre fans douleur que l ’indifférence
» pour la vie ait porté l’illuftre M. B a y l e
» à négliger les progrès d’une maladie ,
» dont les moindres établiflemens font
» formidables a. Cette confultation vint
trop tard. B a y l e n’exiftoit plus lorf-
qu’elle arriva. C e grand homme mourut
fans être alité , & fans avoir rien changé à
fa façon de vivre. Seulement deux mois
avant fa dernière heure il ne recevoit aucune
v ifite, crainte d’augmenter fon mal de
poitrine. I l avoit donc défendu qu’on laissât
entrer perfonne : mais jfachant qu’on
avoit refufé fa porte à M. Terfon fon ami
il voulut lui en faire des exeufes parce
billet qu’il écrivit quelque temps avant
que d’expirer : Mon cher ami, ce rtétoit pas>
pour vous que favois donné des ordres qui’
m'ont privé de vous voir encore une fois. Je
fensquejenaiplus que quelques moment à vivre.
Je meurs en Philofophe Chrétien , per-
fuadé pénétré des bontés de la miféricorde de
Dieu. Je fuis, Ôcc. *
I l v it venir la mort à pas lents fans la
defirer ni la craindre, ôc conferva jufqu’au-
* Mémoires fierets de la République des Lettres , pag. lotf,
dernier moment toute fa tranquillité. Il
parla à fon Imprimeur peu de temps avant
que de mourir, ôc enfuite à fon Hôteflè,
à laquelle il demanda fi fon feu étoit fait.
C e furent fes dernières paroles. E lle le
trouva mort dans fon l i t , fans qu’on lui
eût entendu poufler feulement un foupir,
le 28 Décembre 170 6 , âgé de yp ans,
i.m o is dc 10 jours.
I l fut généralement regreté. L e Journal
des Savans (a) annonça fa mort en ces
termes : 3» L ’année ne pouvoir guère finir
3» par une perte plus fenfible à la Répu-
» blique des Lettres «. On trouva un Tef-
ta ment, par lequel il difpofoit de fon Bien
Ôc de fes Manufcrits en faveur de M. de
Bragniere, l’un de fes coufins : mais les
héritiers ab intejlat, qui étoient fes plus
proches parens, prétendirent qu’étant fugitif
à caufe de la Religion , Ôc qu’étant
mort dans les Pays prohibés, il n’avoit pu
difpofer de fon Bien. Ils avoient pour eux
les Edits, les Déclarations, & la jurifpru-
dence des Arrêts. Néanmoins la Grand-
Chambre du Parlement de Touloufe crut
devoir paflèr par-deftus les règles en faveur
d’un fi grand Homme. E t M. de
Senaux, digne Magiftrat, foutint par ces
raifons les dernières volontés de notre
Philofophe. » Les Savans, d it-il, font de
» tous les Pays. I l ne faut point regarder
» comme fugitif celui que l ’amour dés
» Belles-Lettres a appelle dans le Pays
» étranger j & il eft indigne de déclarer
» pour étranger celui que la France fe glo-
» rifie d’avoir produit. E h ! comment,
» s’écria-t-il, B A Y L E feroit-il mort c i-
» vilement, puilque pendant tout le cours
» de cette mort ciyile ; fon nom a éclaté
» dans toute l’Europe ? (a).
Après tant de témoignages d’eftime &
de vénération , que faut-il de plus pour
mériter à B a y l e les éloges dè tous les
gens qui penfent ? Quand il auroit fait
Y Avis aux Réfugiés , comme il y a tout
lieu de le croire, à en juger par le flyle de
cet Ouvrage , fauffement attribué fans
doute à M. Laroque j & quand la fource
de l ’inimitié entre lui & M. /«rie« viendrait
de ce qu’il faifoit l’amour à la femme
de celui-ci (b) , quoique ce foupçon ait
été allez détruit ( c ) , B a Y L E ne fera pas
moins un très-honnête homme, & le plus
grand Dialeâicien qu’il y ait eu. I l a déterminé
les bornes de notre raifon. Per-?
fonne n’a pouffé plus loin les relfources de
l’efprit. E t s’il s’eft quelquefois égaré ,
rendons cette juftice à fes moeurs qu’il
avoit lî pures , qu’il évitoit même juf-
qu’aux occaiions de tentation.
(<*) Journal des Savans , mois de Janvier 170 7 . M. l’Abbé ÆArtigny, pag. 3,4.
(b) Mémoires des Hommes lllsiftres, par le P. Nieeron , ' (d) Diilionnaire Hifiorique & Critique de M. Chauf-
Tom. X , Part. I , pag. 169 & i 7o, fepie, article B a y l e .
(f) Nouveaux Mémoires d’Hiftoire & de Critique , par