comme devant ceux qui vous lifent leurs
vers , un autre Poète.
— A l’égard des louanges qu’on r e ç o i t ,
il y auroit une efpece de férocité à rejet-
ter toutes celles qu’on nous donne. Le
Sage eft fenlible à toutes les louanges
qui nous viennent des gens de bien , qui
louent en nous fincérement des ehofes
louables. I l fupporte auffi les mauvais
complimens, comme les mauvais c a racle.-
res ; parce qu’il fait qu’il doit y avoir
néeeflàirement dans le commerce des
pièces d’or & de la monnoie. L e fot eft
toujours prêt à fe fâcher ôc à croire qu on
fe moque de lui. Mais le S a g e , qui n’ignore
pas que la moquerie eft indigence
d’efprit, ne prend pas garde li on rit de
lui ; parce que ceux qui' rient ainli, font
dans le monde ce que les fous font à la
-Cour , c’eft-à-dire fans. cdnféquence.
Dédaignant l ’art de-fe faire valoir, il fe
donne pour ce qu’il eft. I l dételle la fi-
nefTe , qui eft 1 occafion prochaine de la
fourberie : de l’une à l’autre le pas eft
glilïànt : le menfongefeul en fait la différence
: li on l’ajoute à la finelfe, c’eft
fourberie. Ave c des gens , qui par fineffe
écoutent tout & parlent peu , il parle
encore moins t ou s’il parle beaucoup, il
dit peu de ehofes. Dans plufteurs rencontres
où la fortune eft intérelfée, la vérité
& la fimplicité font le meilleur manege
du monde.
I l faut fans doute s’obferver foigneu-
fement pour fe comporter ainli. I l y a
des vices que nous ne devons à perfonne,
que nous apportons en naiffant, & que
nous fortifions par l’habitude : il y en a
d'autres que l’on contrafte & qui nous
font étrangers. Lion eft ne avec des-
moeurs faciles , de la complaifance , &
tout ledélîr de plaire ; mais par le traitement
que l’on reçoit de ceux avec qui
l’on v i t , ou de qui l’on dépend, on eft
bientôt jette hors de fes mefures & même
defon naturel. On a des chagrins, une
bile que l’on ne fe connoilfoit point. On
fe voit une autre complexion : on eft enfin
étonné de fe trouver dur & épineux. Tout
eft étranger dans l’humeur, les moeurs &
t e maniérés de la plupart des hommes.
T e l a vécu pendant toute fa vie chagrin ;
emporté, avare, rampant, fournis, laborieux
, intérelfé, qui étoit né g a i, pai-
fible , pareffeux , magnifique, d’un courage
fier, & éloigné de toute baffefTe*
Les befoinsde la v i e , la fituation où l’oa
fe trouve , la loi de la néceffité , forcent
la nature & y caufent ces grands change-
mens. Ainli l’homme en particulier ne
peut fe définir : trop de chofeç , qui font
hors de lui , l’alterent , le changent, le
bouleverfents II n’eft pas précifément ce
qu’il eft ou ce qu’il paroît être. S’il entre
dans la fociété, il a beaucoup de peine à
s’approcher fur les affaires , parce qu’en
général les hommes font épineux fur les
moindres intérêts , veulent tromper ÔC
n’être pas trompés,& mettent fort haut ce
qui leur appartient , & très bas ce qui
appartient aux autres. A quelques uns
l’arrogance tient lieu de grandeur , 1 inhumanité
de fermeté , de la fourberie
d’efprit. Les fourbes croient aifémentque
les autres le font : ils ne peuvent gueres
être trompés & ils ne trompent pas longtemps.
On ne trompe point en b en. L a
fourberie ajoute la malice au menfbnge.
Autre vice naturel à l’efpece humaine :
c’eft quelle s’ouvre à de petites joies ÔC
fe laifte dominer par de petits chagrins.
Rien n’eft plus inégal & moins fuivi que
ce qui pâlie en fi peu de temps dans le
coeur & dans l’efprit des hommes. Audi
font-ils plus capables d’un grand effort que
d’une longue perfévérance. Leur parefte
ou leurinconftance leur fait perdre le fruit
des meilleurs commencemens. lls fe la if-
fent fouvent devancer par d’autres , qui
font partis après eux & qui marchent lentement
, mais conftamment. Ils favent
encore mieux prendre des mefures que
les fuivre ; réfoudre ce qu’il faut faire ÔC
ce qu’il faut dire , que faire ou dire ce
qu’il faut. On fe propofe fermement dans
une affaire qu’on négocie , de faire une
certaine ch o fe ;& enfuiteou par paffion ,
ou par une intempérance de langue , ou
dans la chaleur de l’entretien , c’eft la première
qui échape. Dans les ehofes qui
font de Peur devoir , ils agiffent mollement
, ôc ils fe font un mérite ou plutôt
une vanité de s’empreffer pour celles qui
leur font étrangères, & qui ne conviennent
ni à leur état ni à leur caraétere. Ils
s’ënnuient des mêmes ehofes qui les ont
charmés dans leurs commencemens. Ils
déferteroient la table des Dieux ; ôc le
neétar avec le temps leur devient infipide.
Ils n’héfitent pas de critiquer les ehofes
qui font parfaites , par vanité ôc par
une mauvaife délicateflè. Enfin les hommes
n’ont point de caraftere , ou s’ils en
on t, c’eft celui de n’en avoir aucun, qui
foit fu iv i, qui ne fe démente point, ôc
où ils foient reconnoiiïables. Ils fouffrent
beaucoup à être toujours les mêmes, à
perfévérer dans la réglé ou dans le défor-
dre ; ôc s’ils fe délaffent quelquefois d’une
vertu par une autre vertu, ils«fe dégoûtent
plus fouvent d’ un vice par un autre vice.
Ils ont des paffions contraires ôc des foi-
bles qui le contredifent. I l leur coûte
moins de joindre les extrémités, que d’avoir
une conduite dont une partie nailfe
de l’autre. Ennemis de la modération ,
ils outrent toutes ehofes, les bonnes ôc
les mauvaifes. I l faut aux enfans des vers
ges & la ferule : il faut aux hommes faits
une couronne, un feeptre, un mortier ,
des fourrures , des faifeeaux , des timbales,
des hoquetons. La raifon& la jus tice
dénuées de tous leurs ornemens, ni-
ne perfuadent, ni n’intimident. L ’homme
qui eft efprit3 fe mene par les yeux (Scies
oreilles.
Cependant la raifon tient de la vérité :
elle eft une. L ’on n’y arrive que par un
chemin , ôc l ’on s’en écarte par mille.-
L ’étude de la SagefTe a moins d’étendue
que celle que l’on feroit des fots & des*
impertinens. C ’eft auffi à quoi doit s’attacher
tout homme raifonnable. Dans le
particulier, il eft aifé d’être tranquille ôc
vertueux. L a chofe eft bien autrement
difficile dans la fociété. On vient de voir
ce que les hommes font. L a meilleure réglé
qu’on puifïè fuivre pour vivre avec
e u x , eft celle-ci : Sachez précifément
ce que vous pouvez attendre des hommes
en général, ôc de chacun d’eux en
particulier,& jettez-vous enfuite dans le-
commerçe du monde»