rendre la pareille, ajouta au bout de fes
réponfes d’autres queffions nouvelles fans
explication, 8c invita M. Faulhaber à les
réfoudre. Celui-ci trouvant lesqueftions
très-difficiles j pria D escartes de vouloir •
bien entrer en fociété de travail avec lui.
Notre Philofophe mit la main à l’oeuvre ,
& réfolut ces queffions avec tant de facilité,
que M. Faulhaber n’ofoit s’en rapporter
à fes y eu x , tant la chofe lui paroilToit
extraordinaire.
Cet exercice mathématique ayant tourne
les idées du côté de la Géométrie, il
découvrit par le moyen d’une parabole
Part de conffruire d’une maniéré générale
toutes fortes de Problèmes folides (a). Le
goût qu’il prit ainfî pour l ’étude des Mathématiques
l’affetta fi fort, qu’il réfolut de
quitter les armes pour s’y livrer tout entier.
Etant aile d’Ulm à Prague, il ne
v it point fans émotion une V ille qui avoit
été le féjour du fameux Tycho-Brahé. L a
mémoire de ce grand Aflronome y étoit
tellement en vénération, q.u’on ne ceffoit
de parler de lui aux étrangers qui y pafi-
fbient. Descartes écouta avidement
toutes, les particularités de fa v ie ; & tout
cela l ’affermit toujours plus d'ans la réfo-
i.ution qu’il avoit formée de ne s’attacher
déformais qu’à cultiver fà raifoa..
L a profeffion des armes qu’il n’avoit
point encore quittée, l’ayant conduit fur
les frontières de Bavière, il fe trouva en
un lieu fi. écarté, qu’il fe procura aifement
la Solitude la plus paifible. XI fit mettre
un poè'le dans fâ chambre à coucher, 8c s’y
enferma pendant tout l’hiver.. Là dans un
profond filence, 8c livré à fés propres réflexions,,
il fé détermina à n’àdmettre db.-
rénavant pour vrai que ce qui lui paroîtroit
évident. I l oubfia.ee qu’il avoit appris , 8c
commença à naître une fécondé fois. La
première vérité qui lui parut la plus naturelle,
8c celle qui devoit fe préfenter. la
première a l’efprit, fut celle-ci : Je penfe,
donc je fuis; mot fameux fur lequel on a
beaucoup difputé. On a reproché à Descartes
de fiippofër lapenfée avant l’exiftence.
Pour petifer, il faut exifter. I f faf-
lôit donc dire : J'txiJIc, donc je penfe. Faux
raifonnement, chicane pute. £n parlant
de cette maniéré, on fuppofe qu’on exifte,
& on en conclud qu’on penfe. Mais com-
mentfait-on qu’on exifte, fice n’efl par la
penfée? De l’effet, D escaktes remonte
a la caulè. II ignore tout, julqu’à fon exif-
tence. L a première chofe quile frappe, c’eft
la propre aftion de fon ame, fa penfée ; &
de cette action il conclud qu’elle exifte.
Quoi de plus naturel, de plusfimple, de
plus vrai !
Quoi qu’il en foit de cette vérité, notre
Philofophe palïa à d’autres vérités plus
élevées ; & forma ainfî cette méthode
admirable, qui eft prefque la clef de toutes
les connoiffances humaines. Jettant en-
fuite les yeux fur les productions des hommes,
il remarqua qu’i l ne fe trouve point
tant de perfection dans les Ouvrages corn-
pofés de plufieurs pièces, que dans ceux
auxquels une feule perfonne a. travaillé. I l
appliqua enfuite cette penfée aux Sciences.
I l confidere que celles qui ne font pas démontrées,
n’étant.formées que des réflexions
de plufieurs perlonnes, d’un caractère
d’efprit. tout différent, approçhenl
moins de la. vérité que les Amples raifon-
nemens que peut faire naturellement un
homme- de bon fens, touchant les chofes-
qui fe préfentent à lui. De-là il paffe à la
raifon humaine ; & faifant l’application de
ce raifonnement à la maniéré dont nous
acquérons, nos connoiffances, il penfe,
qu’ayant été enfàns avant que-d’être hommes.,
& ayant e te gouvernés1 long^ temps
par des maures, qui fe font trouvés fou.
vent contraires-les uns aux autres, il eft
împoflible que nos raifonnemens foient
auffi purs & auffi- folides qu’ils l'auraient-
é té , fi nous avions, eu■ l’tifage entier de
notre raifon, dès l’inftlantde notre naiffan-
ee, & fi nous n’avions, jamais été dirigés;
que par elle. 6
La-liberté qu.’il dbnnoir à fon elprit le-
conduifît infenfibiement au renouvellement
des anciens fyftêmes.j mais il fe reU]
Voyez le III Liyre; de fa Getmttri
tînt par la vue de l’indiferétion qu’il auroit
blâmée dans un homme, lequel auroit entrepris
de jetter par terre toutes les mai-
fons d’une Ville dans le deffein de les rebâtir
d’une autre maniéré. I l crut qu’il fe-
roit téméraire de vouloir réformer le corps
des fciences, ou l’ordre établi dans les écoles
pour les enfeigner. I l penfa cependant
qu’il lui étoit permis d’en faire l ’épreuve
fur lui-même fans rien entreprendre fur
autrui. Ainfi il travailla à fe défaire de toutes
les opinions qu’il avoit reçues jufqu’a-
lo r s , à les ôter entièrement de fon efprit,
& à en fubftituer d’autres qui fufient meilleures
, ou à y remettre les mêmes après
qu’il les auroit vérifiées 8c ajuftées au niveau
de la raifon. I l crut trouver par ce
moyen la maniéré de conduire fa vie beaucoup
mieux que s’il ne bâtiffoit que fur de
vieux fondemens. L a chofe n’étoit pas fi
aifée qu’il l’avoit jugé d’abord ; 8c il eut autant
à fouffrir pour fe défaire de tous fes
préjugés, qu’il auroit pu en avoir en s’écorchant
tout vif. L ’amour de la vérité le
foutenoit bien dans ce travail ; mais les
moyens de parvenir à cette heureufe conquête
ne lui caufoient pas moins d’embarras
que la fin même. L a recherche qu’il
voulut faire de ces moyens, jetta fon efprit
dans des agitations violentes qui augmentèrent
de plus en plus par une contention
continuelle ,*fans que ni les promenades ,
ni les compagnies y fiffent diverfion. I l
fe fatigua par-là de telle forte que le feu
prit à fon imagination, 8c il tomba dans
une efpèce d’enthoufiafme 8c de délire qui
troubloïent fans cefle fon fommeil par des
longes extraordinaires.
Pendant qu’il étoit ainfi abandonné à
lui-même, il entendit parler d’une confrérie
de Savans établie en Allemagne fous
le nom de Freres de la Rofe- Croix. On lui
en fit des éloges furprenans. On lui dit que
c’étoient des gens qui favoient tout, 8c qui
promettoient aux hommes une nouvelle
fagefiè, c’eft-à-dire, la véritable fcience ,
qui n’avoit pas encore été découverte.
D escartes, joignant toutes les chofes
extraordinaires que des particuliers lui en
apprenoient, avec le bruit que cette nouvelle
fociété faifoitdans toute l’A llemagn
e , fe trouva ébranlé. Lui qui mépri-
foit ouvertement tous les Savans, parce
qu’il n’en avoit jamais connu qui fufient
véritablement tels, commença à s ’accufer
de témérité 8c de précipitation dans fes ju-
gemens. I l fentit naître en lui les m ouve-
rnens d’une émulation dont il fut d’autant
plus touché pour ces Rofe-Cro ix, que la
nouvelle lui en étoit venue dans le tempg
de fon plus grand embarras, touchant les
moyens qu’il devoit prendre pour connoî-
tre la vérité. I l fe crut donc obligé de faire
connoiflànce avec eux ; mais n’ayant pu
les découvrir, il retomba dans fes premières
perplexités. Les efforts d’efprit qu’i l
faifoit fans un fuccès fatisfaifant, l’auroient
jetté dans une forte de défefpoir, s’il n’avoit
été foutenu par fes découvertes dans
l ’étude de la nature. Cela le confoloit 8c
lui donnoit quelqu’efpérance.
I l quitta le lieu de fa retraite, & après
la mort du Comte de Bucquoy, fous les ordres
duquel il fervoit, il quitta absolument
la profeffion des armes* Quoiqu’il n’èût encore
rien publié qui pût faire ombrage à
perfonne, fa grande fagacité étoit cependant
très* connue, 8c lui avoit fufeité des
envieux. L ’un d’eux, qui étoit Miniffre de*
Hollande, crut devoir faifir l’occafîon de
fon changement d’état pour le mortifier.
I l publia par tout que D e s c a r t e s étoit u»
homme lâche ; que la vanité dans le fer-
vice avoit fouffert de ne pouvoir devenir
Lieutenant-Général ou Maréchal de France
, & que de dépit il s’étoit retiré. Notre
Philofophe, qui n’avoit jamais voulu accepter
aucun grade militaire, fe moqua de
cette infulte. Le Miniffre en fut très-cour-
roucé. Pour fe venger, il le décria parmi
les Proteftans comme un Jéfuite de robe-
courte. Il s’avifa même de drefier fon ho-
rofeope, 8c trouva qu’il étoit né fous l’étoile
de 5. Ignace de Loyola, Jaloux de confirmer
fa divination, il le mit en parallèle
avec ce Saint, 8c remarqua que l’un & l’autre
avoient quitté les armes par défefpoir
de ne pouvoir parvenir- aux grades militaires.
Toutes ces extravagances n’ètoient pas
afiez- fpirituelles pour féduire quelqu’un»
Elles réjpuirent un moment D e sca r t e s^