mour eft pire que celui de la haine ( æ).
Cette diflertation fit un plaifir infini à
la Reine de Suède. Elle s’informa de
M. Charnu des particularités de la vie 6c
du caraétere de notre Philofophe ; & le
compte que celui-ci lui en rendit, accrut
fi fort l’opinion avantageufe qu’elle avoit
de lu i, qu’elle dit au Réfident de France :
»Monfieur, Descartes, autant que je puis
30 le voir par cet écrit 6c par la peinture
3d que vous m’en faites, eft le plus heureux
» de tous les hommes, & fa condition me
»fembledigneSd’envie.Vousmeferezplaiflr
» de l’affurer de la grande eftime que je fais
» de lui a. Chriftine lui fit encore propofer
d’autres queftions à réfoudre ; & cela forma
un commerce de lettres avec M.C/zarcwf,qui
occupa long-temps notre Philofophe.
Les fatisfaétions que Descartes goû-
toit dans cette occupation, furent troublées
par de mauvaifes affaires que lui fufcite-
rent quelques Théologiens de Leyde fu-
bornés par Fcetius. L ’un d’eux, dans une
thèfe qu’il fit foutenir contre fa doétrine,
entr’autres fentimens abfurdes, lui attribua
celui-ci : Il faut douter qu'il y ait un
Dieu; même on peut nier absolumentpour
quelque temps qu’il y en ait un. Un fécond
Théologien , pour enchérir fur cette impiété,
lui fit dire : Que l’idée denotrelibre
arbitre ejl plus grande que Vidée de Dieu ; ou
bien, Que notre libre arbitre ejl plus grand
que Dieu même, &* que Dieu tjl un impofteur
t f un trompeur. L ’intention de ces deux
calomniateurs étoit de faire condamner
premièrement fes opinions comme très-
pernicieufes, 6c lui comme blafphémateur,
par quelque fynode où ils feroient les plus
forts ; & en fécond lieu, de lui procurer
quelqu’affront par le Magiftrat qui leur
étoit déjà tout acquis. Descartes fut informé
de cette manoeuvre. Il écrivit une
longue lettre aux Curateurs de l’Univer-
fité 6c aux Confuls de la V i lle , pour leur
demander juftice des calomnies de ces deux
Théologiens. Les Curateurs n’eurent pas
plutôt reçu cette lettre, quils mandèrent
le Re&eur de l’Univerfîté & les Prôfeffeurs
de Théo logie, pour comparoître devant
eux ; & fans fe donner la peine d’examiner
le fond de cette affaire, ils fe contentèrent
de leur défendre par un édit donné
à la hâte, de faire aucune mention de Descartes,
ni dans leurs leçons, ni dans leurs
difputes ou exercices académiques. Ils
communiquèrent après cela à notre Phi- -
lofophe ce qu’ils avoient fait, & le prièrent
de s’abftenir de parler de cette affaire,
pour prévenir, difoient-ils, les inconvé-
niens qui pourroient arriver de part & d’autre.
D escartes fut très-mécontent de
cette conduite. I l répondit aux Curateurs 6c aux Magiftrats : 33 Je me foucie fort peu
39 que l’on faffe déformais mention de moi
» dans votre Académie, ou qu’on n’en faffe
» point ; mais comme je ne m’étudie qu’à
» avoir des opinions très-vraies, 6c que je
» compte même entre mes opinions toutes
» fortes de vérités connues, je n’eftime pas
3» qu’on les puifTe bannir d’aucun lie u , fi
30 l’on ne veut en même temps que la vérité
30 en foit bannie (b) ». On ne fit aucune
attention à ces raifons , 6c la chofe en
refta là.
Pour faire diverfion aux chagrins que
ceci lui caufa, notre Philofophe vint voir
fes amis à Paris. I l y fut accueilli des per-
fonnes les plus diftinguées. Quelques-unes
d’entr’elles voulurent lui donner des preuves
réelles de leur eftime. Elles employèrent
le crédit qu’elles avoient auprès du
Miniftre pour lui procurer une penfion du
R o i, laquelle lui fut accordée en confédération
de fes grands mérites, & de l’utilité que
fa Philofophie les recherches de fes longues
études procuroient au genre humain, comme
aufjî pour l’aider à continuer fes belles expériences
qui requéroient de la dépenfe. Cette
penfion étoit de trois mille livres, 6c il
eft certain qu’elle ne lui fut point payée,
quoi qu’en dife M. Baillet dans la vie du
grand homme qui nous occupe. Car notre
Philofophe mécontent de la C o u r , étant
retourné en Hollande, le Roi fut fâché de
£*] Yoycz le premier Tome des Lettres de Defcarics. Lettres de Dcfcartes, Tome III.
ce départ. Le Miniftre lui écrivit de la
part de Sa Majefté de revenir à Paris ; 6c
pour l’engager à obéir à fon Maître avec
plus de plaifir & à oublier le paffé, on lui
fit expédier de nouvelles lettres patentes
d’une penfion confidérable, 6c on y joignit
les promeffes les plus féduifantes 6c
les plus flatteufes. I l quitta donc la Hollande
pour prendre la route de Paris ; mais
à peine fut-il arrivé dans cette Capitale,
qu’il fe repentit de la facilité qu’il avoit
eue de fe laiffer gagner. A u lieu de voir l’effet
de ces belles promefles du Miniftre, il
trouva au contraire qu’on avoit fait payer
par un de fes parens l’expédition des lettres
qu’on lui avoit envoyées, 6c qu’il en
devoitl’argent.De fortequ’il fembloitqu’il
n’étoit venu à Paris qu’afin d’acheter le titre
le plus cher 6c le plus inutile qui ait jamais
été entre fes mains. Descartes étoit trop
Philofophe pour s’affliger de cette aventure,
quelque défagréable qu’elle fût.U n’y
eût pas même fait attention, s’il eût vu que
fon voyage fût utile à ceux .qui l ’avoient
appelé. Mais ce qui le toucha le p lus, ce
fut qu’aucun d’eux ne témojgna vouloir
connoître autre chofe de lui que fonvifage:
ce qui lui donnoit lieu de croire qu’on vo.u-
loit feulement l’avoir en France comme un
Eléphant ou une Panthère à caufe de la rareté.
Un accident fi imprévu lui apprit à ne
plus entreprendre des voyages fur des pro-
mefïès , fulfent-elles écrites fur du véîin ;
6c il feroit forti fur le champ de Paris pour
retourner en Hollande, fi quelques-uns
de fes amis n’eufïènt empêché qu’il n’exécutât
fî-tôt fa réfolution. Ils le retinrent
encore trois mois , 6c profitèrent de ce
féjour pour le réconcilier avec Gajfendi
qui étoit alors dans cette Ville. Ces deux
Savans fe virent l’un & l ’autre, 6c leur e f time
réciproque fit tous les frais de leur
réconciliation. Cela caufa tant de fatisfac-
tion à Descartes , que M. deRoberval,
toujours envieux de fon mérite , crut devoir
la traverfer par quelque mortification.
A cette fin, il forma des affemblées pour
examiner à fond fa Philofophie. Dans ces
affemblées fâ mauvaife humeur fe mani-
fefta toujours ; de maniéré que notre Philofophe,
ennuyé de tous ces procédés., prit.
le-parti de fortir de Paris pour aller fe renfermer
à Egmond en Nord-Hollande ,
comme dans un port affuré contre les tempêtes
qu’il avoit effuyées dans fes v o y a ges.
I l y étoit à peine arrivé, qu’il fut obligé
de travailler à fatisfaire les premières
ardeurs d’un nouveau difciple que fa Philofophie
lui avoit fait en Angleterre. C ’étoit
Henri Morus,dont la paflion 6c le culte pour
notre Philofophe alloit jufqu’à l ’idolâtrie.
Descartes, fans faire attention à fes éloges
, ne s’appliquoit qu’à l’inftruire 6c à lui
lever fes difficultés, à,mefure qu’il les lui
faifoit connokre.
I l goûtoit ainfi au milieu de cette occupation
les douceurs de la folitude, lorfqu’il
apprit la mort du Pere Merjenne. Ses entrailles
s’émurent à cette perte , 6c il le
regretta en Philofophe perfuadé de l’immortalité
de l’ame.
Dans ce temps-là la Reine de Suède
lifoit le Traité des pallions de Descartes
, 6c elle fut fi fatisfaite de cette lecture
, qu’elle réfolut d’étudier toute fa Philofophie.
M. Chanut qui y étoit déjà initié,
la féconda dans cette étude. L e Bibliothécaire
de Sa Majefté ( M. Freinskémïus ) fe
joignit à M. Chanut. Mais ni l’un ni l’autre
ne la fatisfaifoient point entièrement.
Son Bibliothécaire fur-tout, qui par état
devoit être plus inftruit à cet égard que le
Réfident de France, paroifloit très-chancelant
fur fes principes. Elle s’en expliqua
ouvertement lorfqu’elle eut entendu une
harangue qu’il prononça touchant le fou-
verain bien, 6c à laquelle elle affifta. Quoique
M. Freinshémius paffât à jufte titre
pour l’Orateur le plus habile & le plus
do&e en Phi lofophie de l’Univerfité d’Up-
•fal, la Reine fut fi peu contente de ce discours,
qu’elle dit en parlant des Savans de'
cette Univerfîté : s» Ces gens-là ne font
30 qu’effleurer les matières ; il faudroit fa-
» voir l’opinion de AI. Descartes ». Elle
forma la réfolution dès-lors de connoître
perfonnellement ce grand homme. E lle en>
parla à M . Chanut, 6c lui enjoignit de lui
procurer cette fatisfaélion en le faifant venir
en Suède. L ’Ambafladeur, après s’être
bien affuré du fincere d’éfir de la Reine, fit
toutes les. démarches, néceflaires pour en«r