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il juftifia pleinement les prétentions de
Sa Majefté.
C e n’étoit point feulement au Roi de
PruiTe que L e i b n i t z tenoit par les
liens de la reconnoiflance. I l n’avok pas
oublié ce qu’il devoit à la MaiiW de
Brunfwick, & la promette qu’il avoit faite
d’en écrire l’Hiftoire. Pour remplir cet
engagement, il mit en ordre les Mémoires
qu’il avait recueillis, & les publia fous
le titre de Scriptores rerum Brunfwicen-
Jium illujlrationi infervientes; c’eft-à-dirè,
Cdleiïion des Hijloriens de Brunfivick. Cette
diftraétion lui fit perdre de vue fon
Alphabet des penfées humaines ; &
comme la paix venoit de fuccéder à
une guerre fanglante, il crut devoir profiter
de ce temps calme pour mettre fon
Académie en vigueur. I l travailla lui-
même fans relâche, afin d’augmenter le
nombre des Mémoires qu’il avoit reçus
des membres de cette Académie, dont il
vouloit mettre au jour un Recueil ; &
après un mûr examen des pièces qu’il y
inféra , il le rendit public fous le titre de
Mifcellanea Berolinenjîa. L a beauté de
fon génie & fon univerfalité s’y montrèrent
dans tout leur jour. Il traita
toutes fortes de matières avec une fupé-
riorité extraordinaire. On trouve de lui
dans les Mélanges de Berlin , des Remarques
fur le rapport algébrique avec
le calcul différentiel ; des moyens de
mefurer les lignes courbes , des Obfer-
vations fur les frottemens , &c ; une Dif-
fertation fur le phofphore brûlant de
Brandy attribué à Kunkel ; une Defcrip-
tion de ce phofphore même en beaux
vers latins ; & un Mémoire fur l’art
de découvrir l’origine des Nations par
le fecours des Langues. L e but de ce
dernier Mémoire eft de remonter à l’origine
des Peuples par le moyen des vef-
tiges des anciennes Langues, qu’on peut
trouver dans les noms propres des fleuves
, des forêts, des villes-dc des hommes
, en établiffant pour principe que
ces noms propres ont été originairement
appellatifs. I l s’agit donc de découvrir
' la lignification de ces anciens noms. Dans
cette v u e , l ’illuftre Préfident de l’A c a démie
de Berlin fe jette dans des recherches
étymologiques, & parvient par
ce travail lavant & pénible à entrevoir
des traces d’une ancienne Langue dominante
ou primitive, qui s’eft , pour
ainfi dire , perpétuée par diverfes expref-
fions. Cette Langue primitive a produit
, félon lu i , les autres Langues, qu’il
partage en deux claffes ; favoir , les
Langues Japetiques ou Scythiques , qui
font répandues dans les pays fepten-
trionaux ; 8c les Langues Àraméennes ,
dont l’ufage a prévalu dans les pays méridionaux.
De la Langue Scythique fe
font formées les Langues des T u r c s , des
Sarmates ou Efclavons, des FinnonienS
& des Celtes. Paffant enfuite des Langues
aux Peuples , il prétend qu’ils font
tous Scythes d’extra&ion. Il commence
par les T u rc s , auxquels il aflocie les Cal-
maques, les Mogols, les petits Tartares,
& les Tartares orientaux. I l vient après
cela aux Sarmates , appelés depuis Efclavons:
il range dans cette claffe de Peuples
les Moscovites , les Polonois, les
Bohémiens , les Moraves, les Bulgares ,
les Dalmates , les Efclavons aéluels , les
Avares & les Huns. Les Lapons & les
Samojedes font les Finnoniens. Enfin les
Celtes , originaires de Scythie , fe font
difperfés dans la plus grande partie de
l’Europe, 8c ont peuplé fuccefîîvement
l’Allemagne, la Gaule , l’Italie , l’Efpa-
gne & la Grande-Bretagne.
Dans cet Effai fur l’origine des Peuples
, L eibnitz parla du pays natal des
François, ou du lieu de leur ancienne habitation
, qu’il fixa au rivage de la Mer
Baltique ; & comme fon imagination ,
toujours féconde , étendoit fous fa main
les conjectures les plus vagues, elle lui
fuggéra une infinité de preuves pour confirmer
cette opinion : il raffembla ces
preuves , 8c en compofa une Differtation
très - favante, qui ne parut néanmoins
qu’en 17 15* , avec ce titre : G. G. Leib-
nitii Difquijitio de origine Francorum. I l
y prouve, ou prétend prouver , que la
première demeure des François a été
entre l’Elbe & la Mer Baltique , & même
un peu au-delà de ces rivières : ce qui
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comprend le Holffeïn, le Lawenbourg,
le Meklebourg, & une partie d elà Poméranie.
L ’Auteur expofe à cet effet une
érudition choifie, qui décèle de grandes
recherches.
Si je faifois l’éloge de L eibnitz , je
prierois le Leéteur de remarquer combien
fa vie étoit aétive , avec quelle
facilité il manioit toutes fortes de fujets,
& cette lumière vive & abondante qu’il
répandoit fur toutes les connoiffances
humaines : mais un Hiftorien n’eft point
un Panégyrifte ; il ne doit préfenter
que des faits , fans les charger de réflexions
: trop heureux s’il peut les décrire
avec intérêt, & donner une jufte
idée de fon Héros. Celui qui nous occupe
actuellement, s’eft déjà montré
comme un grand Chymifte, un favant
Phyficien , un Mathématicien du premier
ord re, un Métaphyficien fublime , un
habile Jurifconfulte, un Hiftorien agréable
, un Antiquaire profond, & un aimable
Poè'te. 11 ne lui refloit plus qu’à pa-
roîrre grand T héologien & doéte Mora-
lifte , pour embraffer tous les genres de
fcience ; & c’efl: ce qu’il fit à la fin de l’année
1 7 1 0 , en publiant des Eflais de Théodicée
, fur la bonté de Dieu , la liberté de
l’homme, Gr Vorigine du bien £r du mal, C ’eft
un Livre écrit avec beaucoup de no-
bleffe 8c de dignité , plein de penfées phi-
lofophiques très-judicieufes , & où brille
une Logique également folide & lumi-
neufe. L e deflèin de cette compofition
étoit de réfuter les principales objections
que Bayle a propofées dans fon Dictionnaire
fur la bonté de Dieu, la liberté de
l’homme , & l’origine du bien & du mal.
Les raifonnemens de notre Philofophe „
foutenus par les preuves de la Religion,
font auflï édifians qu’inftruCtifs ; & quoique
plufieurs Savans ayent penféque tout
cela n’étoit qu’un jeu d’efprit, il convient
pour la mémoire de L eibnitz de juger
que fon efprit étoit d’accord avec fon
COpurf
C e fut là fon dernier ouvrage 5 car
la difpute qu’il avoit avec les Anglois
touchant l’invention de fon calcul différentiel
, s’étant échauffé? 2 l’occupa 4é-
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formais, ou traverfa fes travaux philofo-
phiques jufqu à la fin de fes jours. C ’efl:
ici le lieu de parler de cette querelle : je
vais remonter à fa fource , afin de mettre
le LeCteur en état de décider quel droit
doit avoir notre Philofophe à la découverte
du calcul dont il s’agit.
Après avoir remarqué que les différences
appliquées aux grandeurs , qui
croiffent continuellement, évanouiffent
en comparaifon des grandeurs différentes
, au lieu qu’elles fubfiftent dans la
fuite des nombres, L eibnitz compara
les différences des grandeurs finies -, découvrit
les rapports de ces différences, 8c
connut par ce moyen ceux des grandeurs
finies. Il chercha enfuite les différences
de ces différences , encore des différences
troifièmes, quatrièmes, & ainfi de fuite,
fans jamais trouver le terme qui pût l’arrêter
; de forte qu’il ne fournit pas feulement
l’infini au calcul, mais l’infini de l’infini 8c
une infinité d’infinis. L ’application qu’il
fit de ce calcul à la Géométrie, le mit
en état de réfoudre les problèmes les plus
difficiles. Comme les courbes ne font que
des poligones d’une infinité de côtés, ÔC
rie différent entr’elles que par la différence
des angles que ces côtés infiniment
petits forment, il fut.aifé de déterminer
par le nouveau calcul la pofition de ces
côtés, pour avoir la courbure qu’ils forment
, 8c pour indiquer les tangentes de
ces courbes, leurs perpendiculaires, leurs
points d’inflexion ou de rebrouffement,
les rayons qui s’y réfléchiflent, ceux qui
s’y rompent, &c. A u refte , ce calcul
a deux parties. L a première confifte à
defeendre des grandeurs entières à leurs
différences infiniment petites, 8c à comparer
entre eux ces infiniment petits de
quelque genre quils foient ; 8c on l’appelle
iecalcul différentiel. Il s’agit dans l’autre
partie de remonter de ces infiniment
petits aux grandeurs ou aux touts, dont
ils font les différences , c’eft-à-dire à en
trouver les fommes & e’eff ce qu’on
nomme le calcul intégral•
Notre Philofophe publia en 1684 les
règles de ce calcul dans les A&es de
Leipfick , fous le titre de Nova Me-
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