la Nature l’avoit bien favorifé ; & fa
mere , fille d’un Profefièur en D ro it ,
( M. Schmuck ) de qui elle avoit reçu une
excellente éducation , cultiva de bonne
heure ces difpofitions heureufes. Je dis
que fa mere les cultiva , car L e i b n i t z
perdit fon pere à l'âge de fix ans.
Ce grand homme naquit à Leipfick
en Saxe le 3 Juillet 1646. On le nomma
Godefroi-Guillaume. Après la mort de
fon pere, Madame Leibnit^ l’envoya dans
une école allez célèbre alors à Leipfick,
fous le nom à’ Ecole de Nicolas. 11 y apprit
la Langue Latine 8c la Langue
Grecque. Ses Maîtres ne lui en donnèrent
pour ainfi dire que les premiers élé-
mens ; car dès qu’il commença à entendre
le Latin , il choifit lui-même les A u teurs
dont il crut devoir particulièrement
fe nourrir ; & ce choix tomba fur deux des
meilleurs Ouvrages de la belle latinité.
C ’eft rHilloire de Tite-Live ,8c les Poë-
fies de Virgile. L ’élégance, la pureté &
la noble fimplicité du premier le char-
moient ; 8c les belles images qu’on trouve
dans Virgile lui faifoient un plaifir infini.
I l ne pouvoit fe laflèr de lire ce Poète :
il le grava ainfi fi profondément dans fa
mémoire , qu’il en récitoit encore des
livres entiers dans fa vieilleflè. Son imagination
s’étoit même montée par-là au
ton de la Poè'fie , & il fit en un jour
un Poème de trois cent vers, dans lequel
il ne fe permit aucune élifion.
Après avoir appris les Belles-Lettres,
le jeune L e i b n i t z étudia la Philofophie
& les Mathématiques. I l ne goûta pas
d’abord la méthode fcholaftique ; mais
fon Profefièur, qui étoit le célèbre Tho-
majius , lui confeilla de s’y appliquer,
afin de n’être point arrêté dans la leélure
des écrits de la plupart des Philofophes,
où l’on rencontroit fouvent des termes
de l’école. I l fuivit ce confeil ; 8c le défir
extrême qu’il avoit d’entendre ces écrits,
lui fit bientôt furmonter le dégoût du
langage de l ’école. L ’ étude des Mathé- .
matiques eut plus de charmes pour lu i,
quoiqu’il n’y fît pas d’abord beaucoup de
progrès, par la faute de M. Kuhnius fon
Profefièur , qui n’en favoit pas même
bien les élémens. A force de méditation®
8c de rai fonnémens, L e i b n i t z débrouillai
les idées obfcures & imparfaites du Profefièur
, 8c fit part de fes découvertes à
fes Condifciples. I l en apprit allez de
cette maniéré, 8c pour fentir les avantages
des Mathématiques, 8c pour connoître
l’impéritie de celui qui les lui enfeignôit.
Afin de s’y rendre plus habile, il alla à
Iena, petite ville fituée fur le Sala dans
le Landgraviat de Turinge , fameufe par
fonUniverfité ,ou la réputation des Pro-
fefièurs attiroit toute la jeuneflè d’A lle magne.
I l y trouva trois hommes d’un
mérite diftingué, Erhard IVeigelius , le
plus grand Mathématicien de fon temps,
Jean André Bofius, très-favant dans l’Hif?
toire facrée 8c profane, 8c Jean Falkner,
habile Profefièur en Droit. I l étudia d’abord
les Mathématiques 8c PHiftoire,
& s’attacha fur - tout à bien faifir la méthode
dont fes Profeflèurs faifoient ufage
pour développer leur inftru&ion. Ces
deux fciences étoient afièz étendues pour
occuper uniquement un jeune homme
qui n’avoit encore que quinze ans ; mais
l’inclination de celui dont j’écris l’Hif-
toire, n’étoit point déterminée à un genre
d’étude plutôt qu’à un autre; -il fe portoit
à tout avec une égale vivacité. Auflî
étudia-t-il le D roit fousM. Falkner avec
la même ardeur ; 8c après avoir demeuré
encore une année dans l’Univerfité d’Ie -
na, il retourna chez lui.
Son premier foin en arrivant fut de v i-
fiter M. Thomafius, fon ancien Maître ,
pour lequel il avoit beaucoup d’eftime &
de vénération. I l donna une preuve
publique de fes fentimens à fon égard, en
foutenant fous lui une thèfe fur la Philofophie.
Quelques affaires de famille
l ’ayant alors obligé d’aller faluer fon oncle
maternel à Brunfwick , il partit pour
cette V i l le , où il fit peu de féjour ;
car l’envie qu’il avoit de reprendre le
cours de fes études,le ramena bientôt dans
fon pays. I l étudia d’abord la Philofophie
8c le Droit. I l voulut connoître enfuite
les Philofophes Grecs , dont il lut les
ouvrages avec beaucoup de fatisfa&ion.
Il étoit fur-tout extrêmement affèfté des
écrits
■ écrits 8’AriJlote 8c de Platon ; & il ne
négligea rien pour fe rendre familiers les
principes de ces deux Philofophes, dont il
a fu bien tirer parti dans la fuite pour fes
ouvrages.
Quelque agréables que fuflèrit ces
’occupations , elles ne l’abforboient pas
tellement pour lui faire oublier qu’il
é toit en âge de prendre un état. I l commença
par fe faire recevoir Maître-ès-
A r t s ; & ce grade lui donnant le droit de
préfider à des thèfes, il en fit foutenir une
fur des queffions'Théologiques -, tirées
du Droit. Elle étoit intitulée ,* Specimen
Encyclopédie injure, feu queftiones Philo-
fophicce ameniores ex jure collette. Redevenu
Difcipleà fon tour, il foutintdeux
thèfes fous la préfidence de M. Schwen-
Aendorjfer , afin d’obtenir le dégré de Bachelier.
I l ne luireftoit plus, pour finir
fon cours , qu’à prendre le dégré de
Do&eur en Droit. Il n’avoit encore que
vingt ans. C e n’étoit point l’âge requis
par lesftatuts dePUniverfité de Leipfick :
mais il croyoit avoir tant de fhifons d’obtenir
une difpenfe , qu’il n’imagina pas
■ même qu’on, pût la lui refufer. I l fe trompa.
Le D o y en , par l’intriguede fa femme,
s’oppofa à ce que PUniverfité lui accordât
■ cette difpenfe. Cette femme le trouvOit
trop jeune, 8c cette raifon lut vi&orieufe.
Piqué de ce refus , notre Philofophe fe
dépita contre fon Pays. Il alla à A lto r f
dans le Nuremberg, où il fut très-ac-
cueilli. Non - feulement on lui conféra
avec un applaudifièment univerfel , le
dégré de Do&eur en Droit ; on lui offrit
encore une Chaire de Profefièur en
cette fcience. L e nouveau Doéteur la
.refufa , parce qu’il ne crut pas devoir enfei-
gner aux autres ce qu’il rie favoit pas bien
lui-même. Dans la vue de devenir plus fa-
van t , il fe rendit à Nuremberg, pour
profiter des lumières d’un grand nombre
de Gens de Lettres qui étoient dans cette
Ville . U y avoit juftement alors une S o ciété
de Chymiftes , qui travailloit
dans un grand fecret à la découverte
de la pierre philofophale. Cela piqua la
curiofité de L e i b n i T z : il fit connoif-
fünce avec ces Chymiftes 8c pour être
initié dans les myftères, il fe donna lui-
même pour Chymifte. Afin de le leur
perfuader , il tira des Livres des plus célébrés
Chymiftes 8c Alchymiftes plu-
fîeurs termes, 8c il en compofa une L e ttre
fi favante en apparence, ou du moins
fi obfcure, qu’il ne l ’entendoit pas lui-
même. I l adrefta cette Lettre au D irecteur
de la Société, qui la lut à l’A f-
femblée. On n’y comprit prefque rien ;
mais cette obfcurité même fit croire aux
membres de cette Société , que celui qui
l ’avoit écrite étoit un habile homme en
A lchym ie.O n l’invita à afiîfter aux conférences
; on l’introduifit dans le laboratoire
, 8c confirmé par les difeours de
L e i b n i t z dans la haute opinion qu’an
avoit conçu de lui , on créa 'en fa fa veur
une place de Sécrétaire, avec des
appointemens confidérables.
Pendant que nôtre Philofophe tenoit
le regiftre de la Société des Chymiftes,
arriva à Nuremberg le Baron de Boine-
bourg , Chancelier de pEleéteur de
Mayence. C e Seigneur defeendit dans la
même auberge où il étoit logé. Us fe
rencontrèrent à table. M. de Boinebourg
étoit un homme d’efprit qui fè connoif-
foit en mérite. Auffi ne tarda-1-il pas à
reconnoître celui de L e i b n i t z . A peine
l’eut-il entendu parler, qu’il fut frappé
de la fubtilité 8c de la force de fes raifon-
nemenè. Cette impreflîon fut fi vive qu’il
ne fe contenta pas de l’eftimer : il l’aima.
I l lui fit part de fes fentimens, 8c lui promit
de lui rendre fervice. En attendant
qu’il pût en trouver l’occafion , il lui
confeilla de s’attacher à la Jurifprudence
8c à PHiftoire, & l’engagea à préférer le
féjour de Francfort à celui de Nuremberg
, afin d’être plus à portée d ’avoir
de fes nouvelles.
L e i b n i t z goûta ces avis. I l prit
congé de la fociété des Chymiftes, 8c
alla fe livrer à Francfort à l ’étude des
fciences que fon Mécène lui avoit recommandées.
U y compofa une Nouvelle
Méthode d’apprendre & düenfeigner la Ju-
Tifprudence. ( Nova Methodus dfeende
docendeque Jurifprudentie ), C ’eft le titre
de cette produ&ion qu’il crut devoir