Elle s’en fie à- elle-ànémê , & elle fent
biçn qu’elle n’a pas befoin d’art. C ’eft
une marque dé fauffeté que d’etre fi ap-
pliqué à la couvrir.
I l y a deux grands moyens d’écarter
les flatteurs. L e premier eft de ne leur
point donner retraite dans fon propre
coeur , & de n’être pas à foi-même Ton
premier flatteur & fon premier courtifan.
L e plus dangereux de tous lés flatteurs
eft l’amour propre , qui donne accès a
tous les autres. L e fécond moyen qui eft
fans doute le plus efficace, eft de témoigner
un grand amour pour la vérité.
Ainfi un Prince doit déclarer hautement
qu’il n’aime que ce qui eft vrai ; qu’il ne
trouve aucune beauté ni aucun agrément
dans ce qui n’en a que l ’apparence ; qu il
ne veut être trompé , s’il eft poffible , en
quoi que ce foit;& qu’on ne lui peut plaire
qu’en lui parlant fur toutes fortes de fa-
jets avec une exaéte vérité. Une telle
déclaration , renouvellée dans des occa-
lions importantes , produit deux grands
effets. E lle donne accè&aux gens de bien,
& met en fuite les impofteu'rs. Elle ouvre
aux uns la demeure du Prince, qui a
déjà pour eux les oreilles- ouvertes*# le
coeur tout difpofé , & elle en ferme les
portes aux derniers , que le Prince a
profcrit comme fes ennemis. Les premiers
font des amateurs de la v é r ité , &
on les diftingue par les qualités fuivantes..
Un ami de la vérité eft profondément
lècret : il l’eft à toute épreuve & fans
peine ,' fans avoir befoin pour cela de
beaucoup de réflexions. , & fans qu’ il lui
en coûte pour fe retenir. Il l’eft fans af-
fefter de le paroître.. U ne délire rien
pour lui-même, & il eft univerfellement
fans prétentions pour lui , pour fa famille
& pour fes amis. 11 eft toujours le
même. L a faveur ne le change point. La
confiance du Prince le laifle dans la meme
fituation où. elle l’avoit trouvé , & il ne
tâche pas de la conferver par d’autres
voies que celles qui la lui ont fait mériter.
Son défintéreffement eft fondé fur
un défintéreffement fincere de toute
charge & de tout emploi. Il les craint
ordinairement funeftes a la vertu y
comme environnés de périls, Sommé des
occafions de beaucoup de fautes. Ce n’éft
point par une diffimulation étudiée, mais
par confcience & par lumière qu’il des
évite. Ce n’eft point dans le deffein d’obtenir
plus qu’il refufe moins. C e V e f t
point un appas , une amorce, que fa rao-
deftie, pour éblouir le Prince. C ’eft une
vertu fincere , ennemie de l ’artifice , Sc
que le temps découvre fans la pouvoir
affoiblir. •
I l eft très-difficile de trouver à la
Cour d’un Roi des hommes de cette
trempe ; mais il l’eft. encore plus de les
voir s’y maintenir. Ils font en butte a
tant d’envieux, qu’il eft prefqu’impolfi-
ble qu’ils ne fuccombent. Ces gens-là les
deffer-vent fans eeffe auprès du Prince.
Ils font entendre tout ce qu’ils veulent ;
êc par leur manege fourd & leurs noires
calomnies , ils pouffent leur patience a
bout. Ce qu’un R oi doit fans doute avoif
le plus à coe u r , c’eft de connoître bien,
ces mauvais fujets & de les chaffer. O n
les connoît par ces maniérés.
Un calomniateur eft un aecufateur fe-
eret, qui craint lalumierc & les preuves ;
qui veut être cru fur fa parole eu fur celle
de fes complices ; qui délire de fermer a
l’innocence tout accès auprès du Prince ,
& de lui ôter tcfüt moyen de fe juftifier y
qui foubaite que l’acc-ute ignore le crime
qu’on lui impute ; qui confeille les voies,
les plus courtes & les plus-abrégées pour
le punir j qui élude -, autant qu’il peut 9
les: Tribunaux ordinaires , où tout fe
paffe dans les réglés ; qui tranfporte à un
feul homme, qu’il a pris foin de repré-
fenter au Prince comme le feul en qui il*
puiffe prendre confiance , ladifeuffion &.
l ’exécution debout ce qu’il veut rendre,
fufpeét , & qui s’applique uniquement à.
empêcher que par des voies publiques ou-
fecrettes le Souverain ne vienne à con-
noître qui eft le coupable , ou des accu-
fé s , ou de faceufateur.
Quand un Souverain a le bonheur de
n’admettre auprès de lui que des perfon-
nes vraies , il eft affuré de vivre heureux.
& tranquille, & de régner fur le coeur de
fes fujets L forte d’empire qui peut faire-
Fa véritable félicité. Pour fe la*procurer,
il doit être bienfaifant Sc libéral. L ’Empereur
Tite avoit pour maxime de ne
renvoyer perfonne mécontent ; d’obliger
tout le monde, ou par des effets, ou par
des maniérés qui en tinffent lieu j de donner
quand il le pouvoit ; & de promettre
, quand il ne pouvoit que cela. En un
mo t , il étoit fans ceffe attentif à accorder
quelque bienfait. Un jour faifant réflexion
qu’il n’avoit fait plaifir à perfonne :
mes amis , dit-il', j’ai perdu cette journée
: Amici diem perdidi. (a) Belle parole
, qui revient à ceci : J’ai eu aujourd
’hui le malheur de ne vivre que pour
moi ; j’ai demeuré dans la condition d’un
fimple particulier ; & je n’ai rien fait qui
foit digne de ma place # de mon élévation.
Deux qualités peut-être encore plus
effentielles à un Souverain , c’eft d’être
.fincere & fidele à fa parole. Car ce feroit
en vain qu’un Prince fe piquerait de courage
, d’élévation & de grandeur d’ame,
s’il ne regardoit pas la fincérité comme
une vertu inféparable de ces grandes qualités
, rien n’étant plus lâche , plus bas,
ni plus petit que le menfonge, & que l’indigne
ufage qu’en fait l ’artifice , & s’il
favorifoit le parjure en manquant à fa
parole.
De -là il fuit qu’un Prince doit être
ennemi de la diffimulation , qu’il ne doit
point, confondre avec la prudence Sc le
fecret. On entend ici par diffimulation ,
une chofe fauffe, contraire à notre pen-
fée & à nos deflèins. C ’eft une conduite
extérieure , démentie par nos véritables
fentimens. C ’èft une application à per-
fuader aux autres le contraire de ce qu’il
veut faire. Une telle diffimulation eft un
crime dans tous les hommes, & elle eft
encore plus inexcufable dans un Prince ,
qui étant libre Sc le maître, eft moins
expofé que les particuliers à cette hon-
teufe lâcheté.
Enfin le Souverain doit être doué de
toutes les qualités morales qui forment
l ’homme vertueux, telles que l’égalité ,
la tranquillité , l'affabilité •,-& particuliérement
la dignité. . _
IV . Quant à fes devoirs, le premier
eft de rendre la juftice. En effet c ’eft la
même chofe d’être Roi & d’être Juge.1
L e Trône eft un Tribunal, & la fouve-
raine autorité eft un pouvoir fuprême de
rendre la juftice, c’eft-à-dire, de çonfervei;
l’ordre, car juftice & ordre font fynôni-
mes. E t l’ordre confifte en ce que l ’égalité
foit gardée, & que la force ne tienne
pas lieu de loi ; que ce qui eft a l ’un ne foit
pas expofé à la violence d’un autre ; que
les liens communs de la fociété ne foient
pas rompus ; qu’aucun interet particulier
ne foit préféré au bien public ; que l ’artifice
& la fraude ne prévalent jamais fur
l’innocence Sç la {implicite ; que tout foit
en paix fous la protection des lo ix , 6c
que le plus foible d’entre les citoyens ,
foit mis en firreté par l ’autorité publique.
Ainfi le Souverain doit maintenir cette
juftice ; fe déclarer ennemi de quiconque
en eft ennemi ; prêter aux loix toute l’autorité
qu’il a reçue pour elles, & employer
l’épée que Dieu lui a mife en main,
contre ceux que le refpect ôc la crainte
n’auront pu retenir.
L e fécond devoir d’un R o i , eft d’employer
tous les moyens légitimes pour
remplir fes Etats de biens & de richeffes.
Ces moyens font de protéger l’agriculture
; de faciliter la nourriture des troupeaux
; de favorifer le commerce du dedans
& du dehors ; d’établir des manufactures,
& d’occuper tout le monde à
des travaux utiles.
Infpirer à fes fujets l’amour de toutes
les vertus , dont dépend le bien de-
l’Etat > voilà le troifiéme devoir du
Souverain. Car s’il bornoit fes foins- à
remplir fes Etats de biens & de richeffes
, Cms penfer à rendre fes fujets plus
vertueux & plus juftes , il aurait des
vues auffi limitées, que le petit peuple ;
qui ne s’intéreffe à aucun autre foin de
l’E ta t , qu’à celui de l’abondance. I l ne