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8 i NOUX^EAUX VOY'AGES AUX' I S L E S
ifijjp. me il l'en avoit menacé, pour iê payer
de ce qu'il lui devoit pour fa nourriture
depuis qu'il étoit chez lui ; qu'il avoir
attendu qucCroiiTant fut bien endormi,
après s'être retiré fort tard Sc fort ivrej
qu'il l'avoit frappé d'abord d'un coup de
marteau dans la temple ; & d'un autre
coup fur le front} que CroiiTant l'avoit
pris par les cheveux, mais que comme
il étoit étourdi de ces deux coups, il
avoit eu le tems de le frapper d'un coup
de couteau dans la gorge, & de tous les
autres coups donton l'avoit trouvé bleiTé.
L e Greffier écrivit cette confeffion fur
ion Regi f t re, & !a fit figner au coupable;
J e me rendis de grand matin à la
prifon le jour qu'il devoit être execute,
pour paiTer la journée avec lui. Le Geôlier
aïant quelque affaire en Ville. me
pria de fermer la porte de la prifon après
lui, £c de la lui ouvrir quand il reviendroit.
Les autres prifonniers étoient renfermez
dans les chambres -, de forte que
j e me trouvai feul avec ce jeune homme
affis fur un banc dans la cour , il eit vrai
qu'il avoit les fers aux pieds. Il me vint
en penféedele faire iauver, puifque j'en
trouvoisl'occafion fi favorable. Jelelui
dis en méme-tems, & je l'avertis qu'il
n'y avoit point de tems à perdre, & que
s'il vouloir s'aider, je lui donnerois le
moyen de fe cacher chez de mes amis
jufqu'à ce qu'on pût le faire embarquer,
j e lui montrai le marteau & le cifeau
Jour fe déferrer, & la clef qui étoit à
a porte. 11 fe mit à refvei-, Se je vayois
qu'il étoit combattu entre ce quej e lui
propofois, & ce qu'il fe fentoit infpiré
de faire. A la fin je m'impatientai voyant
qu'il ne prenoit point de refolution ; je
lui disque les momens étoient précieux,
& qu'en pareille occafion il n'y avoit pas
tant à délibérer. JVIais fa réponfe me furprit
encore plus que fon crime n'avoit
fait. MonPere, me dit-il, je vous remercie
de vôtre bont é , vousnemécon- '^"JifnoiiTez
pas comme je me connoisj je fuis
naturellement méchant > j'ai commis un
grand crime, ficquoique ce foit le premier,
Dieu qui permet que la Juftice
m'en châtie, me fait comprendre dans'
ce moment qu'il vaut mieux que je fouffre
la mort pour l'éfacer, enayantautant
de regret qu'il m'en infpire à prefent,'
que de me mettre en danger de n'avoir
pas ce même regret quand j'en aurai
commis un autre peut-être plus giand,
auquel mes mauvaifes inclinations me
portent. J'admirai la force de la grace
dans ce jeune homme, &jepaflai avec
lui le reile de la journée à parler de
Dieu,
L'heure du fupplice étant arrivée, je
l'y accompagnai. J1 fe miit àgenoux devant
nôtre Eglife fixns qu'il y fut "obligé
par fa^ Sentence, ni que je le lui euile
infpiré, & après avoir demandé pardon
à Dieu de fon crime, il le fupplia de
vouloir recevoir la peine qu'il alloit fouffrir
pour les pechez de celui qu'il avoit
tué. Il mepriaenfuite de demander parxion
pour lui à tous les affiftans du
vais exemple qu'il leur avoit donné,'les
avertir de fe rendre fages à fes dépens, &
leur demander quelque part dans leurs
prieres. 11 monta après cela fur l'échaf
a u t , fe,mit à genoux, fe reconcilia
encore une fois, & après que je lui eus
donné.la derniere abfolution il fe dé-
5oiiilia, s'étendit furla croix, 8c reçût
es coups avec tant de confiance, qu'il
ne dit jamais autre chofe pendant ce
tourment que deux ou trois fois lenom
de Jefus d'une voix fort moderée. Je
levai le mouchoir queje lui avoisjette
fur le vifage lorfque le Boureau le frapoit,
& l'aïant exhorté à former un dernier
aéte de contrition, 6c de confiance
en la mifericorde de Dieu, pendant que le
Boureau defcendoit fous l'échafaut pour
Fé-
F R A N C O I S E S DE L'AMERICLUE. »5
,1^99- l'étrangler, il leva les yeux au ciel quand mander aux prieres des afîîflans mais
ilfentit les premieres étremtes de la cor- les larmes aïant bien-tôt étouffé le difde,
& les tournant enfmte fur moi d'une cours que j'avois commencé, ie fuivis
maniere pleme de douceur,ii expira com- tout le peuple qui entra dans l'Eelife
me un predeflme. Je dois avoiier ici pour prier Dieu pour lui
qu^pres un fi grand crime, fa mort ne Je l'enterrai au commencement de la
laiffa pas de toucher tres-fenfiblement nuit dans nôtre Cimetiere à côté de celui
tous les affiftans tous pleuroient, le J u ge . qu'il avoit tué, &j'aurois eu de quoi
meme, & le refte d e l a jufbc e feredre- garnir de linceuls tout un Hôpital fi i'arent
avant que l Executeur commençât vois voulu recevoir tous ceux qii'on
alefraper, perfonne n'aïant le courage m'apporta pour l'enfevelir
de voir tant de contrition, tant de re- I s'appelloit Loüis Il étoit fils
lignation, & tantdefermete dans un âge d'un Marchand del'Evêché de Nantes,
il tendre. Je voulus m'acquitter de ce où îl avoit des parens riches & afièz conque
je lui avois promis, & le recom- fiderables.
C H A P I T R E XI L
N o m k e extraordinaire de f o h k U M a r t i n i q u e . M o r t d e p h f m r s Religieux.
E ne fçai qu'elle Etoile avoit
pafléefurlaMartinique cette
annee, mais on n'y avoit jamais
vû un tel défordre, & un
fi grand nombre de fols. Beaucoup
de gens fans fièvre, &fans aucun
autre mal apparent eurent des tranfports
au cerveau , perdirent le jugement, &
fe_ mirent à courir les rues où ils faifoient
mille extravagances.
Un d'eux étant venu fonner à la porte
de nôtre Convent , le Pere CabaiTon
notre Supérieur qui fe trouva dans la
aftoirt falle, alla lui ouvrir. Ce fol qu'on ne
i"d'u„ pas encore pour tel, lui de-,
de nos
manda s'il n'étoit pas le Supérieur, 5c
aïantfçû qu'ill'étoit, illuidit} je croi
que vous êtes aflez homme de bien pour
defirer d'être Saint, & comme je vous
a'me, je fuis venu exprès ici pour vous
tuer, afin de vous faire martyr } 8c en
difant ces paroles, il tira un erand couteau
de Gi poche. Le Pere Cabaflbn qui
n aipnoit pas fi haut, & qui fe contentoit
de mourir Confefleur, lui ferma la
porte au nez, qu'il baricada par derrière
RelipOEX.
Merlet, c'étoit le nom de ce fol, fut for t
fcandaliféde ce procédé, & d i t , en fe retirant,
& remettant fon couteau dans fa
poche, cet homme m'a bien trompé. Je
croyois qu'il avoit envie d'être Saint,
mais puifqu'il en a perdu l'occafion, il
ne me trouvera pas toujours d'humeur
de lui procurer l'honneur du martyre, il
viendra dix fois me le demander avant
que je le fafie.
^ Le même fol étant venu le lendemain
dans la Sacriflie lorfque je me déshabillois
après avoir dit la Meffe, me dit ,
qu'il avoit un avis à me donner , qui
ctoit, que fi je ne difois pas la Meflc
plus vite, il m'apprendroit à lire. Ce
compliment ne me plut point du tout • .
il etoit armé d'un gros bâton, j'étois
feul avec lui, & i| en auroit mangé ^
quatre comme moi. J e crus qu'il falloit
jouer d'adrefie pour me tirer de ce mauvaispas.
Ah, Monfieur Merlet, lui dis je •
il y a long-tems que je cherche l'occafion
devous donneràdéjeûner, je vous
ai obligation, il ne faut pas que vous,
in échappiez aujourd'hui , & fans lui
don-
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