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m n o u v e a u x v o y a g e s a u x i s i . e s
Ï7,9I.
Traiter
À la Pique,
ce
fut i'efi
Danger
qu'on
court
dans ce
^egoce.
en état d'en chailer, s'il leur prenoit envie
défaire quelque infulte. On appelle
cette maniéré de trafiquer, traiter à la
Pique. On ne parle jamais de credit dans
•ceNegocej il ne fe fait qu'argent comptant,
ou marchandifes prefent€s.
L'on fait ordinairement un retranchement
devant la chambre, où fous le
•gaillard de la Barque ou autre Bâtiment,
avec une table, fur laquelle on étalle les
échantillons des marchandifes à mefure
qu'on les montre.Le Marchand ou quelque
Commis, & autres gens armez font
en dedans du retranchement avec de menues
armes. On en met encore quelquesuns
au deflus de la chambre, ou fur k
gaillard : le refte de l'Equipage bien armé
eft furie pont avec le Capitaine ou
un Commis, ,pour faire les honneurs,
recevoir lesperfonnes qui viennent,les
faire boire, les reconduire avec civilité,
£ç quand ce font des gens de quelque
diftinétion, ou qui font de grofles amplettes,
les faluer en fortant de quelques
coups de Canon. Ils fe piquent
beaucoup de ces fortes d'honneurs. Se
on eft für de n'y rien perdre.
Mais avec tout cela, il faut être fur
fes gardes, & toujours le plus fort : car
s'ils trouvent l'occafionde s'emparer du
Bâtiment, il eft rare qu'ils y manquent.
Ils le pillent, le coulent à fond avec
l'Equipage, afin qu'ilnefe trouve plus
perfonne qui fe puiiTe plaindre de leur
perfidie: parce que fi un pareil cas venoit
à la connoiiTance des Officiers de
leur Prince, ils nemanqueroientpasde
les obligera uneentierereftitutiondcce
qui auroit été pillé, jion pas, comme
on pourroitfe l'imaginer, pour le rendre
aux Propriétaires, mais pour fe Papproprier
comme des effets confifquez.
Ce que je rapporte ici n'eft pas une
hiftoire faite à plaifir. C'eft une pratii|
ue conftante fur la Côte de la Nouvelle
Efpagne, de Carac & de Cartagene^ ïja
dont bien des François, Anglois, 8c
Hollandois, ont fait la trifte experience.
Il y a encore une choie i obferver Ln^r
quand les Efpagnols font à traiter dans hsné
un Bâtiment, c'eft de prendre garde à -^""' ««-
leurs mains plûtôt qu'à leurs pieds. Ils *ZÎi''
font tous, ou prefque tous fujetsà eau- vdd,,^
tion, habiles à prendre autant qu'on le
peut être, 6cquand ils trouventl'occafion
de s'accommoder d'une chofe fans
qu'elle coûte rien, il n'y a point d'exem-
^ e qu'ils l'ayent lailîe échaper. Il faut
donc avoir toûjours les yeux ouverts fur
eux, Scdèsqu'ons'cnapperçoit, ilfaut
les en avertir d'une maniéré honnête,
& comme fi on croyoit que ce fûtune 2îtk
méprife. Car ils s'oiFencei-oient, il on le «wiir,
failoitautrement, on perdroitl'occafion
de la traite, & même on s'expoferoit à
des fuites fâcheufes. Ils ne fe fâchent
3oint de ces fortes d'avis : ils font fem-
)lant que ç'à été l'effet de quelque diftraélion,
ou d'avoir voulu fe divertir de
l'embarras où feroit le Commis quand
il s'apercevroit de la perte qu'il auroit
faite. C'eft ainfi qu'on fait femblant de fc
tromper depart& d'autre. Le plus fage
eft celui qui ne laiiî'e pas emporter fa
marchandife, fans qu'el efoit payée. Je
rapoite ceci fur le témoignage de bien
des gens. Cependant j e n'ai garde d'en
faire un crime à toute la Nation. Il y
auroit de l'injuftice, & je n'aime pas à
en faire à perfonne.
La meilleure marchandife qu'on pui t
fe porter aux endroits qui ont Commerce
avec les mines, eft le vif argent. Les
Rois d'Efpagne fe font refervez cette
traite, qui leur rend un profin très-confiderable.
Lorfqu'on trouve à la traiter,
le prix ne fe dilpute point, on donne
poids pourpoids, argent pour mercure, éfir-
Ce profit, comme on voit, eft très-^«"'-
grand,
1701
F R A N C O I S E S D E L ' A M E R I Q^U E . if f
grand, car il faut feize pieces de huit portent, fouvent par aiFf^ffeation , pour
pour faire le poids d'une livre i & le mer- "" . ^ -
170«
Proßt
fur lis
tfpeai.
•Miximts
à
dmi et
Çemmircc.
cure ne vaut que quatre francs ou cent
fols la livre.
Ceux qui veulent augmenter leur profit,
fe font payer poids pour poids en
petites monnoyes, comme font les reailes,
& les demi realles} parce que les
recevant au poids, & trouvant l'occafionde
les donner en compte, il y a fouvent
deux, & même trois écus de profit
par livre.
I l faut pourtant bien fe garder de
faire paroître aucune afteétation, ni fur
cet article, ni fur d'autres chofesj. 6c
quand on a une partie à faire, il vaut
mieux lâchei-la main fur certaines mar-
'érvir chandifes, & même lesdonnerà perte,
que de fe tenir trop roide, & dégoûter
les acheteurs, qui font fort bizarres » Se
fort capricieux.
Lors donc qu'on eft obligé de perdre
fur quelque marchandife, on peut le leur
faire fentir d'une maniéré fine & délicate.,
parce que comme ils fe piquent
de politefle,°enerofité, oneftfûr
de reparer bien-tôt fa perte} & dès
qu'on leur a une fois rempli la téte de
fumée, il eft aiié de les faire venir à un
point où le Marchand trouve toûjours
au - delà de fon compte.
C'eft ce que les Anglois Se les Hollandois
fçavet\t faire à merveille. Ils
voyent par exemple qu'un Efpagnol,qui
vient acheter une piece deplatille, pour
faire deux chemifes-, s'eft fixé à n'en
donner qu'un prix, qui va à leur perte i
ils ne laiifentpas de la lui donner 5. mais
en même-tems, ils lui fontvoir des dentelles,
dont ils lui font venir envie, en
lui difant, que tous les Grands d'Efpagne
en portent decette façon,, & les
lui vendent dix fois plus qu'elles ne valent.
C'eft ainfi qu'il faut traiter avec
eux-,, fans que .les raauvais habits qu'ils
n'être pas connus, faiTent rien diminuer
des honneurs dont ils aiment à être furchargez.
Les Chapeaux qu'on leur porte doi- &
vent être gris pour la plupart,deLout
r e , deCaftor, oudequelqu'autrepoil propres
approchant. Il faut q;Ue la forme foit aux Efplate,
les bords-largés,& fur toute ch©-
f e , . que la coèffe foit de Satin de couleur.
Qu'ils foientvieux ou non, pourvû
qu'ils loient bien accommodez, Se
bien luftrez, on les vend avec avantage.
On les vendoit autrefois quarante &
cinquante piaftres la piece. Cela eft bien
diminué depuis que les François en ont
îorté un trop grand nombre. On ne
aifle pas cependant d'y faire un trèsgrand
profit.
. A l'égard desBàsde foye ( ear il n'en
faut pas d'autres ) il fuffit qu'ils foient
clairs, bons ou mauvais, n'importe, les .
Efpagnols en portent ordinairement
deux paires, une de couleur par-deffous,
8c une noire deifus.
Les Gouverneurs, & autres Officiers
E^agnols, font commerce de toutes
fortes de marchandifes, & de leur mieux.
Ils executent exactement les Ordres de
leur Prince, qui le défend à fes Sujets,
mais pour eux' ils fe difpenfent de cette
loi incommode. C'eft par-làqu'ilsamaffent
les richeiTes prodigieufesqu'ils entportent
en s'en retournant en Europe.
Il y avoit dans le tems que j'étois à
Saint Domingue un Gouverneur à Cartagene,
qui étoit le premier homme du
mondepour cela.11 s'appelloitPimiento.
Il avoit fervi fous l'Ekéieur de-Bavie- to gou^
Tes, qui lui-avoit fait avoir ce Gouver- w»e«r
•nement, & qui lui avoit recommandé f^une'
d'amalîer promptement quatre ou cinq
cent mille écus, ôcderevenir en Europe>
Pour ne pas manquer au premier
point, il faifoit un commerce uni ver ièl,
K k X- ês^