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prendre les armes partout, & difpofa fes
gens pour recevoir les ennemis, en cas
qu'ils nousvinflenrattaquer, comme ils
le dévoient faire, pendant la diverfion
qu'ils nous faifoicnt aux trois Rivieres j
mais ils demcurerent en repos , ce qui
nous parut une marque évidente de leur
foibleiîc.
Pendant que je m'acquittois de ma
commiifion, allant de cafc en cafe, je
m'apperçus que mon Negre qui tenoit
mon cheval étoit en conteftation avec le
maîtred'Hôtel du Lieutenant Général;
j ' y allai au plus vite, & je demandai
à cet honnête homme où il prétendoit
méner mon cheval, qu'il tenoit par une
des renes? A. M. le Général, qni en a
befoin, medit-il, lefieneft-il lors de
fervice, lui dis-je? Non, me répondit
il, mais quand j e dis M. le Général,
cela veut dire quelqu'un de fa fuite.
Oh bien Monfieur de fa faire, lui rcpondis
je à mon tour, il n'y a pas fi
long-tems que vous allez à cheval, pour
avoir oublié vôtre premier métier d'aller
à pied, recommencez à le pratiquer.
Se cherchez vite un autre cheval, &
lui aïant arraché de la main la rêne qu'il
tenoit, je lerenvoiaifort mécontent de
mon procédé.Ce maîtred'Hôtel fenommoitDauphiné
auiîî bien que celui dont
j'ai parlé au commencement de ces mémoires}
leur nom fait connoître qu'ils
étoient du même païs, ils avoient aufli
ièrvi tous deux aiîez long-tems fur les
Galeres, 8c avoient été envoiez aux Ifles
pour rccompenfc de leurstravauxjce que
le dernier avoit fur le premier, e'eft qu'il
avoit perdu fes deux oreilles dans un différend
qu'il avoit eu avec lajufticc, &
c'étoit pour cela qu'il avoit toûjours une
peruque, faite de manière qu'elle cachoit
Cxailcment ce défaut qui n'étoit pas
connu de tout le monde; cela n'empéchoit
pas qu'il ne fcrvît fon maître avec
A G E S AUX ISLES
bien de l'application, & qu'il ne l'ait
laiiTé fon héritier en mourant.
L'avis étant venu fur les trois heures
à nôtre Lieutenant Général que les
Anglois s'étoient retirez de devant les
trois Rivieres, & qu'ils avoient repris
le chemin de la Baiîe-terre, il commença
à refpirer, 6c à vouloir faire
croire que fon mouvement avoit été pour
conferver la Cabcfterre, & empêcher
les ennemis d'y pénétrer, mais il eut
le malheur de ne trouver perfonne qui
fut aiTezcharitable pour faire feulement
femblant de le croire. Les femmes qui
étoient au réduit, le voiant paiTer, le
reconduifirent avec des huées capables
de defefperer les plus endurcis aux affronts.
Il revint le foir dans le C amp, le
coeur fort ulcéré contre lesFlibuil:iers,8c
les Habitansde la Martinique , & contre
M. Auger plus que contre tous les autres,
parce qu'il le foupçonnoit d'avoir débauché
fes gens, & d'avoir été le premier
mobile de la réfolution généreufe qu'ils
avoient fait paroître : il fc trompoit cependant,
& M. Auger n'avoit point contribué
direftement à ce qui étoit arrivé,
mais toutes les T r o u p e s de la Martinique
ne voïoient qu'avec un extrême dépit
les mauvaifes manoeuvres qu'on faifoir,
qui auroient dû caufer plufieurs fois la
perte de l'Ifle, fi les Anglois avoient
fçû profiter de km- avantage. Par bon-'
heur pour nous la divifion regnoit entre
leurs Chefs, 8cil fembloit que nous
fai fions des fautes à l'envie les uns des
autres.
L e Dimanche 29 Avril nos Negres
armez s'étant embufquez au deflbus de
l'Habitation desReligieux de la Charité,
tuerent quelques Anglois qui étoient
fortis de eur poile de Milet. La garde
de ce porte aïant pris les armes, fortit
fur les Negres, & les poufla. Les
Enfans perdus arrivèrent aflez à tcms
pour
F R A N C O I S E S D
il^Î- polir foûtcnir les Negres ; mais les uns
& les autres furent pouiTez jufqu'au delà
de la Sucrerie des Freres de la Charité
6c de la Damoifelle Cherot, leur
voifine. Nôtre pofte avancé du Camp
des Gallions fe joignit à eux, 6c rétablit
le combat, 6c donna le tems aux
iîears de Valmeinier 6c de Maifoncelle
de s'avancer avec cent hommes, pour
lesfoûtenir. On chargea alors de bonne
grace les Anglois, 6c on les fit plier
après une demie heure d'un combat fort
opiniâtre, où l'on s'étoit battu à coups
de piftolet 6c de baïonnettes; ils reçurent
«lors un fecours d'environ trois cens
hommes, ils firent ferme, 6c recommencèrent
à pouffer ños gens à leiir tour. Je
difois la MelTe quand ce dernier choc
commença; pendant queje medes-habillois,
les Officiers de nôtre Camp me
demandèrent mon avis fur ce qu'ils
avoient à faire, ôc s'ils attendroient les
ordres du Lieutenant Général pour marcher
? Je leur répondis que s'ils attendoient
fes ordres, ils ne marcheroient
z«^»-point; mais que s'ils avoient envie de
^ fecourir leurs freres, fans que le Lieuf"
iisi"' Général y pût trouver à redire,
la rivie ils n'avoient qu'à faire défiler leurs gens
ndes_ le long de la Falaife, 6c prendre les
GiUuins ennemis en flanc; cela fut exécuté fur
le champ; plus de deux cens hommes
y coururent à toutes jambes, beaucoup
de Flibuftiers qui étoient venus à la
Meife chez nous fe joignirent à nos
gens, quifevoiant ainfi fecourus,pouffèrent
vigoUreulèment les Anglois, les
chaiTerent de derrière trois murailles féches,
les unes après les autres, 6c les
reconduifirent, toûjours battans,jufques
dans les Retranchemens dont ils avoient
environné leur pofte.
M. Auger qui avoit fait prendre les
armes au Camp de la Martinique, 6c
au pofte avancé, étoit fur le point de
TomJI,
E L'AMERIQ_UE. 437
marcher avec toutes ces T roupes , 6c de i703'
tomber fur la droite des Anglois; c'étoit
un coup de partie, oii il étoit aifc de
tailler en pieces, ou de prendre fix à
fept cens des ennemis qui n'enpouvoient
plus. M. de Gabaret lui envoia défendre
de fortir du Camp, 6c dépêcha fes
deux Aides de Camp pour ordonner à
M. de Valmeinier, 6c de Maifoncelle
de fe retirer; cet ordre ne vint pasjufqu'à
eux, ils étoient trop voifins des
ennemis , 6c par confequent dans des
lieux inacceffibles à de pareils Aides de
Camp; on fc mocqua beaucoup d'eux,
mais ils avoient envie de fe conferver,
pour une meilleure occafion, 6c ils firent
fagement de fe gabionner jufqu'à
la fin de l'aftion derriere un refte de
muraille féche.
Cependant nosgensdemeurerent plus
de deux heures à la vûe, 6c à la demie
portée de fufil des Retranchemens des
ennemis, fans que ceux-ci ofafient fortir
pour les répoufler, 6c pour recouvrer
leurs morts 8c leurs bleflèz; ils
laillerent fur le champ de bataille quatre
vingt cinq morts, 6c beaucoup plus
de bleiîèz. Nous n'eûmes dans tous ces
chocs que quatre hommes tuez, 6c onze
bleflez. Un Negre des Religieux delà
Charité aiant eu lacuiiTe caflee au commencement
dePadion, lorfque les Anglois
nous repouiTerent, fut pris 6c porté
àleurCamp. Lefieur de Valmeinier
fut bleiTé d'un coup de fufil à la cuiflc,
8c eut une partie du petit doigt emportée
d'un autre coup. Le fieur de Maifoncelle
s'étant trouvé vis-à-vis un Caîitaiue
Anglois, celui-ci le défia, 5c
ui tira un coup de piftolet; il manqua
nôtre Major qui letuafur le champ, 6c
fit la même chofe au Sergent de ce Capitaine
qui vint pour le percer de fa
halebarde. Lesfieurs du Bue , Lambert,
Sain, Roule, 6cautres Officiers qui s'y
K k k trou
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