4 NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
chargea d'en avoir foin, del'inftruire, Se
ie veiller fur fa conduite. Comme il étoit
d'un bon naturel,fort fage, fort doux,
& qu'il avoit été parfaitement bien éleil
me donnoit a ve iTez de fatiffadion j ^ _
il n'y avoit qu'une chofe qui me faifoic
de la peine, c'eftqu'aïant aimélachafle
avant d'être Religieux, cette paffion s'étoit
reveillée fi fortement que je ne pouvois
lui faire entendre raifon là-deiliis.
J e craignois fans cefle qu'il ne tòt mordu
de que que ferpent, ou qu'il ne fût caufe
que le petit Negrequi le fuivoit, n'eût
ie même accident. Outre cela il ufoit plus
de poudre que quatre Challeurs, & perdoit
la plus grande partie de fon tems à
cet exercice. Je m'apperçûs un jour qu'il
manquoit beaucoup de poudre dans un
baril que j'avais acheté pour faire fauter
des pierres de taille; je medoutai auffitôt
que mon chafleur avoit voulu s'en
pourvoir d'une bonne quantité,pourn'étre
pas obligé de m'en demander fi-tot.
J e voulus m'en éclaircir avec lai, &je
n'en pus rien tirer j je croi quejel'ignorerois
encore à prefent fans l'accident qui
me le découvrit quelques jours après.
Le feize Août nous fûmes priez à dîner
lar le Pere Curé de la Grande Ance, oil
'o n celebroit ce jour-là laFête deS.Hyacinthe
Patron de la ParoiiTe. Pendant
que nous étions à table, 'A fur vint un
grand orage, & le tonnerre tombafur nôtre
Maifon du Fonds S. Jacques. Il per-
Eptsâii le toÎT en plus de mille endroits, à peu
tQtuiern ^ - ^ r " - ' i r
pres comme n on y eut tire pluueurs
coups de canon chargezde ballesdemouf
quets. Il briià tous les carreaux de ma
chambre, fur lefquels étoit un coffre qui
renfexmoit encore environ quatre-vingt
livres de poudre qui reftoient du barrii. Il
fît encore bien d'autres fracas entre lefquels
le plus extraordinaire fut de rompre
en pieces le lit & le coffre de mo»
Compagnon,6c defemer par toa-te la maiion
j a cour 3 Se k jardin lotîtes fes hardes
&fes meubles, fans laiffer autres chofeff 1Î9T»
dans la chambre que quelques paquets de
gros papier où étoient renfermées plus
de vingt livres de poudre qu'il avoit ôté
du barriL L e Rafineur envoya un Negre
a cheval, pour m'avertir du défordre qui
etoit arrivé dans la maifon, où le tonnerre
avoit mis le feu en le retirant. Je vins
a toute bride, pour tâcher de remedier
à ce malheur. Je trouvai que nosgensaidez
par la groiTe piuye qui avoit fuivi le
tonnerre, avoient éteint le feu prefque
auiH-tôt qu'il avoit été allumé î & je vis
avec la dernière furprife que le tonnerre
avoit calciné la poudre qui étoit dans ces
paquets, & l'avoitréduit en une efpece
de charbon, ou de pierre noire, comme
il c'eût été du charbon pilé & réduit en
maffeavec delà gomme, qui nefefroiffoit
qu'avec difficulté, auquelil 15e reftoit
qu'une legere odeur de foufre, &
qui ne brûloit pas plus vite que le charbon
de terre, dont on fe fert dans les forges.
J'ai fait voir des morceaux de cette
poudre calcinée, &j'en ay donné àpluiîeurs
peribnnes qui ne poavoient aflezj
admirer ce prodige.
Ce coup de tonnerre fit beaucoup de
peur à nosgens, &enauroit fait bien davantage
à mon compagnon & à moi, ii
nous avions été dans nos chambres, &
me caufa bien de la dépenfe pour réparer
la charpente, la couverture, & tout ce
qu'il avait brifé, mais il fit un bien dont
j'eus lieu de remercier Dieu, qaifutde
faire perdre la paffion de la chaffe à mort
compagnon,, qui n'y voulut plus retourner
depuis la déroute de fon magazin à o
poudre. Il s'appliqua avec fuccez à des
chofes plus convmables à fon état, &
pour fe délaffer un peul'efprit, ilentreprit
d'élever & d'aprivoifer des Colibris.
Cet oifeau eft fans difficulté le plus beai> Defirip.
& le plus petit qu'il y ait au monde. Il y tionde
a des Auteurs qui l'appellent oifeau bour- '•'"'fi'^"'
donnant^ parce que quand il vole, il-cS«
bout-
•ÏÔ97.
F R A N C O I S E S D.E L 'AMERICtUE. /
bourdonne comme les abeilles,ou comme tôt un petit brin de bois dans le fonde- 1697,
ces groifes mouches qu'on appelle des
bourdons. D'autres l'appellent l'oifeau
mouche à caufe de fa petiteffe.Nos François
le nomment Colibris qui eft le nom
que lesCaraïbes lui ont donné. Il me feiable
qu'on s'y doit tenir: car il eft permis
aux gens de donner des noms à ce qui dépend
de leur Domaine. Lorfqu'il eft plu-
"m"e il n'eftguéres plus gros qu'une noifette,
je parle du mâle : car la femelle eft
encore plus petite. Il ne paroit quelque
çhofe,que quand il eft couvert de plumes.
Elles font en partie d'un verddoré tirant
fur le violet changeant, & tellement
nuancé qu'il eft difficile de connoître parfeitement
de quelle couleur elles font.Ces
plumes font extrêmement fines & déliées
& couvertes d'un petit duvet furdoré, le
plus fin qui fe puiffe imaginer. Les mâles
Qnt furla tête une huppe en manière de
couronne de très-belles plumes, les femelles
n'en ont point. Le bec de cet oifeau
eft long d'environ un pouce, fort
délié, & unpeucourbe. Il en fort une
petitelanguefine, longue, êcdivifée en
deux, comme deux filets qu'il paffe fur les
fleurs, Se fur les feiiilles des plantesodoriferentes
pour en enlever la rofée qui lui
fert de nourriture. Ses ailes font dans un
mouvementiî vif, fi prompt & fi. continuel,
qu'onàpeineàlesdifcerner. Il ne
s'arrête prefque jamais dans un même endroit
». il eft toujours en mouvement, il
ne fait autre chofe qu'^aller de fleur en
fleur,ou ordinairementfanspofer le pied,
& voltigeant fans ceffe autour, il y paffe
la langue,.&en recueille la rofée.Les enfans
prennent ces petits oifeaux avec des
baguettes frotées de glu, ou de gomme j,
ils s'^approchent doucement des endroits
oil ils les voycnt,en remuant en l-'air leurs
feviguettes, ces petits animaux ne manquent
pas de s''en approcher pour découvrir
ce que c'eft, iisypaffent la langue,
& demeurent pris. On leur enfonce auffiment,
onletournepouryfaireattacher
les inteftins, 8con les tire dehors, aprèS'
quoi on les pend par le bec à lacheminée^
où ilsfechcnt entièrement fans que leurs
plumes fe détachent. Le meilleyr cependant
eft de les faire fecher dans une étuvc
enveloppez dans de petits facs de papier : •
car il eft certain que la fumée, ou une
chaleur trop vive, gâte toûjours un peu
le brillant du coloris de leurs plumes.
Leurs nids ne font pas moins dignes d'admiration.
Ils font fufpendus en l'air à
quelque petite branche, ou même dans:
les maifons, ou autres lieux qui les mettent
à couvert du vent, delapluyeSc du-
Soleil. Ils font environ delagroffeur de
la moitié d'un petit oeufde poule, compofez
de petits brins de bois entrelaffez
comme un pannier, garnis de cotton ôc^
de mouffe, d-'une propreté & d'une délicateflê
merveilleuib. Ils nefontjamaiS'
que deux oeufs gros c&mme des pois communs,
blancs,avec quelquespetits points
jaunes. Le mâle & la) femelle les couvent,
l'un après l'autre > mais la femelle y eit
bien plusjong-tems que le mâle, elle ne
les quitte que quelques momeiis le foirSc
le matin, pour aller chercher fanourriture.
Le mâle tient fa place pendant ce
tems-là, afin que les oeufs ne fe. refroidi
ffent point. Les' petits étant éclos ne
paroiffent pas plus que deux mouches,
q^ii fe couvrent peu à peu d'un duvet trèsfin,
auquel les plumes fuecedent dans la
fuite.
Je montrai au PereMondidier un nidde
ces petits oifeaux, qui étoit fur ti'n appentis
auprès delà maifon. Il l'emporta
avec les petits,, lorfqu'ils eurent quinze
ou vingt jours, Scie mit dans une cage à
lafenêtre de fa chambre, où le pereSc li^
mere ne manquèrent pas de venir donner
à manger àleurs enfens. Se s'apiivoiferent
tellement o^ulls ne fortoient prefque
plus de la chambre, où fans cage, & fans
A con^