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58 NOUVEAU]^ v o y a g e s AUX ISLES
planter des patates, des ignanaès, dumil,
des choux caraïbes. Se autres chofes,
foit pour leur nourriture, foit pourvendre,
C'eft une bonne maxime d'avoir
foin qu'ils y travaillent, & qu'ils les
tiennent en bon état. On leur permet d'y
vacquer les Fêtes après le Service Divin,
& ce qu'ils retranchent du tems qu'on
leur donne pour leurs repas. Cesjardins
leurproduifent une infinité de commoditez.
J'ai connu des Negres, qui faifoient
tous les ans pour plus de cent écus
de tabac, ôc autres denrées. Lorfqu'ils
font à portée d'un Bour g, oij ils peuvent
porter commodement leurs herbages,
leurs melons, 8c autres fruits, ils fe regardent
comme les heureux du fiecle, ils
s'entretiennent très-bien, eux Scieur famille,
& s'attachent d'autant plus à leurs
Maîtres, qu'ils s'en voyent protégez 6c
aidez dans eurs petites aiFaires.
les Ke- J'ai déjà remarqué qu'ils font vains 6c
¿m font glorieux; je dois ajoûter qu'ils font rail-
«i/Wi leurs à l'excès, 8c que peu de gens s'appliquent
avec plus de fuccès qu'eux à
connoîrre les défauts des perfonnes, 8c
fur tout des Blancs, pour s'en mocquer
entr'eux. Se en faire des railleries continuelles.
Si-tôt qu'ils ont reconnu un défaut
dans quelqu'un, ils ne le nomment
plus pai" fon nom, mais par quelque fobriquet,
qui a du rapport à ce défaut.
Ceibbriquet eft parmi eux un miftere,
qu'il eil: bien difficile aux Blancs de pénétrer,
à moins quefçachant leur Langue,
on ne le découvre en les entendant fc divertir
des perfonnes dont ils parlent par
des railleries piquantes, 8c pour l'ordinaire
trës-juiles. J'ai fouventété furpris
des défauts qu'ils avaient remarquez, 6c
de la nwniere dont ils s'en mocquoient :
ce qui m'obligea à apprendre la Langue
des Aradas.
ziurfi- Ils fcHit fort fîdeles les uns aux autres ,
d,lue les Se foafiriront plutôt les plus rudes cbâtimens
que de fe déceler. Quand quel- iSjj,
qu'un de leurs amis eil maron, ils le retirent
8c le cachent dans leurs cafes, où «»^mils
ont l'induftrie de pratiquer de petits
cabinets doubles, dontileft prefqu'im-
Joflîbledes'appercevoir. Ils en ferment
'entrée d'une maniere fîjufte, Se la couvrent
de leur bagage fi naturellement,
qu'il femble qu'il y a très-long-tems
qu'on n'a pas approché de cet endroit-là,
uoique trèsrfouvent ils ne viennent que
'en fermer la porte. Leur maniere de
cacher ce qu'ils ont dérobé, eft alfez ingenieufe.
Ils font un trou en terre fous
leur foyer, Se après qu'ils y ont mis leur
vol bien empaqueté dans des feüilles,ils leur
bouchent le trou, Se remettent par defîiis ^"»iin
les cendres 8c les charbons, Se portent
loin de-là Ir? terre qu'ils en ont tirée,
Quelque chofe quecepuifleêtre, quand ««'w
m ême ce feroit de la viande que les chien s
découvrent à l'odeur, il eft impoiTible de
rien découvrir, à moins qu'on ne foit
ftilé à leurs manieres. Lorfqu'ils font
trouvez faifis de quelque vol, c'eft un
plaifir devoir comme ils font les étonnsz
j il femble à les voir 8c à les enterfdre,
qu'ils n'y ont aucune part, 8c que
c'eft une piece qu'on leur a faite, pour les
faire maltraiter, 8e perdre de réputation
, 8c ils le font avec tant de naïveté ,
qu'il faut ctre habile pour ne s'y pas
kiffer tromper. Mais quand ils ont affaire
àdesgens qui les connoiifent, leur
derniere reftburce eft de dire, que c'eft
le diable qui les a trompez : Se comme
le diable n'eft pas toûjours-là prefent, ni
d'humeur d'avoiier ce qu'on lui impute ^
on les fait châtier pour le larcin Se pour
le menfonge.
Deux exemples fuffiront pour faire
voir combien ils font vains Se fuperbes.
Je connoiflbis que le petit Negre qui
mefervoit j avoit ces deux défauts dans
toute
F R A N C O I S E S DE L» A M Ë R. î (^Û E:
toute leur étendue. Il avoit de l'efprit prefle, Mon Pere, il y a à la porte un r/î$>t,
autant qu'on en peut avoir, il étoit très- pauvre Blanc, qui demaûde l'aumône,
fidele, très-fage, intelligent, afFeftion- Je feignois quelquefois de ne l'entendre
né, j'en recevois plus de fervice que je pas, ou dene vouloir rien donner, pour
n'en devois naturellement attendre d'un avoir le plaifir de le faire répeter : car je
enfant de quatorze à quinze ans, puifquë fçavois que c'étoit le comble de fa joye.
je me repofois fur lui du détail de la Mai- Mais, mon Pere, me difoit-il, c'eft un
fon, 6c de l'Habitation, quiauroit aiîu- pauyre Blanc, fi vous fie lui voulez rien
rément embaraiféune perfonne bien plus donner, jevais lui donner quelque cho-
ExemfU âgée que lui. Mais avec ces bonnes qua- fe du mien, moi, qui fuis un pauvre Nelitez,
il étoit fier 6c fuperbe, Sc jamais gre. Dieu merci, on ne voit point de
je n'ai pû l'en corriger. Lorfqu'il avoit Negrç qui demande l'aumône. Quand je
fait quelque faute, je n'avois qu'à lui lui avois donné ce que je voulois endire
quelque parole de mépris, c'étoit voyer au pauvre, il ne manquoitpasde
Jour lui une plus grande peine, que fi on lui djre, en le lui prefentant, tenez paudt
la
•vaniti
its
legres.
'avoit écorchc. Je lui difois quelquefois
pour tâcher de l'humilier, qu'il étoit un
pauvre Negre qui n'avoit point d'efprit.
Ce mot de pauvre le defoloit, il ne le
pouvoir fouffrir, il murmuroit entre fes
dents lorfqu'il me croyoit fâché tout de
bon, mais quand il jugeoit que je ne l'étois
pas beaucoup, il prenoit la liberté
de me dire, qu'il n'y avoit que les Blancs
qui fuifent pauvres,qu'on ne voyoit point
vre Blanc. Voilà ce que mon Maître vous
envoye : Se lorfqu'il croyoit que je le
îouvois entendre, il le rappel oit pour
ui donner quelque chofe du fien, afin
d'avoir le plaifir de l'appeller encore pauvre
Blanc. Il croyoit après cela s'être
vengé de tout ce que je lui avois d i t , ou
fait de mortifiant.
Voici l'autre exemple. Quand je
voyois nos Ouvriers travailler mal, ou
les Negres demander l'aumône, Sc qu'ils avec negligence, je leur difois que dans
»voient trop de coeur pour cela. Sa gran- le tems que j'étois Negre, je fervois
de joye auffi-bien que des autres domefti- mon Maître avec plus de diligence. Se
ques noirs de la Maifon, étoit de venir
m'avertir qu'il y avoit quelque pauvre
qui demandoit l'aumône. Cela eft rare,
mais cela ne laifle pas d'arriver quelquefois.
Ce font pour l'ordinaire des Matelots,
qui après avoir deferté font tombez
de bonne volonté qu'eux. Se que c'étoit
àcaufede cela que j'étois devenu Blanc.
J'avois enfuite le plaifir de les entendre
difputer fur la poffibilité ou l'impoiîÎbilité
de cette metamorphofe. Je trouvai
un our nôtre Negre Charpentier
que la pareife ou quelque infirmité em- foit un biais aifez difficile. Je pris fa repêche
de gagner leur vie. gle 8c fon compas, je traçai l'ouvrage,
Dès qu'il en paroiiîbit quelqu'un, il a- Se le fis couper. Scia coupe ie trouva
voit autant de gens pour l'annoncer qu'il jufte. Maisleremerciment qu'ilm'enfic
y avoit de domeftiques dans la Maifon, eft trop fing«licr, 8c marque trop bien
Se fur tout le petit Negre qui me fer- leurvanitépourne le pas mettre ici. Je
voit, qui ne manquoit jamais de me n'avois jamais voulu croire que vous
venu-dire avec un air content, Se era- euffiezétéNegre,medit-il, maisaprès
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