Z72 NOUVEAUX VOYAGE S AUX ISLES
Î70I. L'Aumônier qui étoit un Prêtre Séculier
fit merveil een cette occafion. Il
fit un difcours à l'Equipage, pour obliger
ceux qui avoient quelque chofe du
pillage de le rapporter, & fur tout ce
qui appartenoitau Reverendiffime Pere
Commiflaire du Sacré Tribunal de l'Inquifition.
Il déclara, que ceux qui au^
roient quelque chofe, ou qui fçauroient
qu'un autre en eût , 6c ne le reveleroient
pas, feroient excommuniez, Se attireroient
la malediélion de Dieu fur le
plans, mes livres, mes nacres de perle i^ç,,
Scmacafaque; je n'en pus avoir de nouvelles
, de forte que le pillage ne tomba
prefquequefur moi, Scfur lesmarchandifes
de a Cargaifon, dont il y en eut
pour prés de deux cent piftoles enlevées,
avec la plus grande partie de nos
vivres, Se denosrafraîchiiTemens.
M. des Portes s'en retourna à bord
de la Barque , avec un autre OiEcier
qu'on lui donna, qui acheva de chaffer
les Efpagnols qui y étoient encore, y
laiffant feulement une efpeçe d'Officier
fubalterne, pour empêcher queles Matelots
VaiiTcau. Ce difcours fit eiFet. Un jeune
Matelot l'avertit auffi-tôt qu'un de fes
camarades avoit ma bourfe. Oniaiiltle Se Soldats n'y j rentraffent,- ^ , _ ,
Se n'y
drôle, Se comme il nia le fait, on le fiiTentdudefordrei'après quoi on amena
fouilla. Ce fut un opéra d'arriver au lieu la Barqueà l'arnerede l'Admu-al, econ
où ma bourfe-étoit cachée. Il avoit pris
u
hourfe
Ϋri-îdans la maie cinq de mes calçons," &c
trmvh. deuxdemonNegre, Se les avoit mis fur
lui les uns fur les autres, avec deux autres,
queje fuppofe lui appartenir} de
forte qu'il étoit revêtu de neuf calçons,
qu'on lui ôta les uns après les autres. Il
fembloit q uç ce fût un oignon qu'on dépoiiilloit
de íes robes. On trouva àlafin
ma bourfe dans le dernier, que l'Aumônier
me rendit auiïï-tôt, Se me dit de
voir s'il n'y manquoit rien. Je trouvai
onze pifióles Se demie d'Efpagne, avec
quelque argent blanc, qut étoit à peu
près mon compte. Je voulus donner une
piftole à ce jeune homme, pour le confoler
de la perte qu'il faifoit, mais l'Aumônier
ne le voulut pas fouffrir, au contraire,
il l'apoftropha dedeuxfoufflets,
Se d'un coup de pied au derriere. Mon
Negre fe faifit de nos calçons. On retrouva
encore mon matelas, ma couverture,
monhamac, mon breviaire,une
chemife, quelques mouchoirs, Se une
partie de mes papiers. Mais pour mon
étoffe, nioncouvertd'argent,avecune
taffe, Se un gobelet, tout le refte de
mon linge, ma lunette d'approche, mes
l'y amarra.
Cependant l'Aumônier me conduifit
dans la grande chambre, où étoit le
Gouverneur, avec les autres Officiers
du Vaiffeau, entre lefquels le Pilote
Major tient le premier rang, & porte
la qualité de Lieutenant. C'étoit un bon
vieillard habillé de fatin noir, quiparloit
un peu François.Tous ces Meffieurs,
me firent beaucoup d'honnêtetez. On
apporta des confi:tures, du bifcuit, &
du vin, Se enfuite du chocolat, qui étoit
très-bon. Nous paffâmes le refte du tems
jufqu'au dîné, à difcourir fur l'évenement,
qui devoit faire l'étonnementde
toute l'Europe, 8c à prognoftiquer la
Guerre qui eil arrivée depuis, qui ne
manqueroit pas d'être caufée par la jaloufie
qu'auroient les autres Nations, de
voir l'union des deux plus puiffantes &
plus belliqueufes Nations du monde.
L e Vaiffeau où je fus conduit étoit
l'Admirai de l'Armade. Il portoit le
pavillon quarré au grand mât. Il étoit fclUlf
de fatin blanc, avec les armes d'Eipagne, g ,
fur le tout defquelles on avoit déjà appliqué
un petit écuffon, avec trois fleursde
is. Ce Vaiffeau s'appelloit la Sainte
Tri-
- Í
F R A N C O I S E S DE L ' AMERi a ^ E . ¿7 ;
. Trinité-il étoit percé pour foixante pie- dans un tems ou l'avenement de Phi- not,
ces; mais il n'en avoit que cinquante- lippes V . à la Couronne d'Efpagne dedeux,
montez depuis douze jufqu'à qua- voit faire conGderer les François d une
tre livres de baies, avec trois centcin-i toute autre maniéré, qu'on ne les auroit
quante hommes d'équipage. Matelots, confideré fans cela, puifqu'étant pris
Soldats, & Paffagers. Il avoit été fabri- fiir leur C ô t e , 8c fi on eut bien cherche,
qué à l'Amérique, Se il étoit tout d'à- ayant à bord des piaftres, 6c de l'argent
cajou, ou comme ils difent de cedre, en barres, nous étions fujets à confifcabois
excellent pour refifteraux vers,Se tionfelon lesloix du païs.
à la pourriture. Nous remarquâmes en Le Pilote Major nous conduifit dans *
y arrivant, que tous les Çanons étoient; la grande chambre à l'heure du dîné. Le
détapez, c'eft-à-dire, qu'on avpit ôté, Gouverneur s'affit devant une petite ta- '
les tapons, dont on garnit les,bouQhes, ble à côté de la grande, non par gran*
pour empêcher les coups de mer d'y. cn:^ deur, comme on le pourroit croire, mais
trer. On avoit pris cette précaution à par neceffité. Se pour la commodité de
cauiè de nous: car ils nous prenoient fes Domeftiques, qui lui mettoient tous
pour des Forbans j Se ils avpient déj% les morceaux à la bouche, Selefaifoient
commencé à filer leurs cables pourfoûi-, boire, comme un homme qui n'a point
tenir leup? Chaloupes, fi noujs avions de bras. Nous nous trouvâmes huit ou
" ' jieufàtable. L'Aumônier tenoitle premier
lieu. La nappe étoit courte, 8c
affez mal propre. Les ferviettes étoient
un peu plus petites que des mouchoirs
:diocres, frai
été autr.es'qvie/Je très-pacifiques Mar-,
chands, ' w .
Cmjlne On faifoit la cuifine fur le pont, à
kvaif- pgy cornme dans les Galeres, excepté
que c'étoit entre legrand mât 8c la mediocres,frangées naturellement, ou
mitene. Je croi pourtant que quand ils pour parler plus jufte, effilées parles
étoient en route, ils la faifôient fousle bouts. Je croi qu'elles avoient été blangaillard
d'avant. Tous ceux de l'îéqui-, ches autrefois. Celle qui fe trouva depage
y ont leur pignate en particulier, vant moi étant comme les autres, l'Au-
Car les Matelots qu'on appelloit Signo- mônier en fit apporter une blanche,
res Marineres, y los Sigmres Soldados, voïant que je prenois mon mouchoir
font des gensdetropdediftinétion,pour pour mettre devant moi. Nousnetrouêtre
nourris à la gamelle,comme les nô- vâmes point d'affiettes fous les ferviettes,
très. On leur donne les vivres en ar- ^nais feulement la cuëillier Se la fourgent,
Se chacun fe nourrit à fa fantaifie. chette > pour de coûteau, il n'^ en avoir
Ce Vaiffeau étoit beau, quoiqu'il nous qu'un affez grand, qui étoit à côté de
larût un peu court pour fa largeur Se fa l'Aumônier, dont la fonûion eft de diaauteur.
Se nous eûmes de la peine à re le Benedidte, de couper les viandes,
croire ce qu'on nousdiioïtde fa'vîteffe, Sed'enferviràtoutelacompagnie.
Je .l'ai vû depuis à Cadix^en 1706. , On fçait affez comment font faites les
On dépêcha le même jour un Courier cuëilliers Se les fourchettes à l'Efpagnoau
Prefident de Saint Domingue, pour le, fans que je me donne la peine de les
lui donner avis de nôtre capture. Se décrire ici. On fçaura feulement que
fçavoirfonfentiment, parce que le Gou- ceux qui comme moi, ne font pas acverneur
de la Flotte ne vouloit pas fe cqûtumez à ces fortes d'inftrumens, ont
charger feuldenôtre deillnée} furtôuf autant, de peipe, à s'en fervir, que des
M ni 3 peî