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384 NOUVEAUX VOYAGES
chandife d'un très-bon debit & fort avantageux.
Je priai les Peres Jeiuites de la
Martinique d'écrire à leurs Peres de
Cayenne pour le fçavoir, ils le firent j
mais la reponfe n'étoit pas encore arrivée
quand je partis des Iflcs. Il arriva
vers le milieu de 1699. un Juif héritier
de Benjamin d'Acolta, ci-devant propriétaire
de la Cacaotiere qui eft au pied
du réduit; il venoit de CorolTol oii il
étoit établi, pour demander des fommes
qui étoientdûës à fon parent. Comme
i fe vantoit d'avoir fort voïagé dans les
Côtes de la Ter re- ferme, 6c de fçavoir
à fond comme on accommodoit la Vanille
& la Cochenille, je le fis prier, &
cnfuite je le priai moi-mcme de m'apprendre
comment les Indiens & lesEfpagnols
préparoientla Vanille, en quel
teins ils la ceiiilloient, comment ils la
failoicntiécher, &generalementtout ce
qu'il leur avoit vil pratiquer touchant
cette plante.
TaHffe II me dit que les Indiens lacciiilloient
prépara- dès qu'elle commençoit un peu à jaunir,
^i'^vanil l'avoir fait boiiillir quelques
' ' momens dans l'eau de vie, ils la faifoient
fecher à l'ombre; qu'étant à moitié féeheils
l'applatiiToient entre leurs doigts
dans toute fa longueur ; êc qu'enfin après
l'avoir frotté avec un peu d'huile de Palm.
i Chrifti, ou de Coco, ils l'enveloppoient
dans des feuilles de balifier où elle
achevoit defe fécher : & que far toutes
chofcs ils prenoient garde de ne la laiiTer
jamais au foleil.
J'obfervai cxaftement tout ce que ce
Juif m'avoit dit, je fis diverfes épreuves
& toijjours inutilement, d'où je
conclus que la Vanille qui croiiToità la
Martinique étoit d'une autre efpece que
celle de Cayenne , & de la nouvelle
Efpagnej & qu'ainfi il faudroit attendre
que celle que je cultivois, rapporta
du fruit, ouqyejepûlTc découvrir par
A U X ISLES
quelque autre voie le moïen de préparer
celle que nous avons à la Martinique.
Cependant j'ai fçû depuis, étant à Cadis
à la fin de i jof . que toute la ceren:
ionie que font les Indiens pour accommoder
leur Vanille étoit de la ceiiillir
dès qu'ils s'apperçevoient qu'elle vouloit
jaunir, & s'ouvrir, qu'ils la mettoient
refluer & fermenter comme j'ai
dit qu'on mettoic le Cacao, pendant
deux ou trois jours, & qu'enfuiteilsla
mettoient fécher au foleiJ ; quand elle
étoit à moitié féche, ils l'applatifloient
entre leurs doigts; & qu'après l'avoir
frotté d'huile de Palma Chr i f t i , ou de MeHk«-
Coco, ou de Calba,. ils l'expofoienten- >""•
core au ibleil pour achever de la faii'e
fécher, après quoi ils la frottoient d'huile uimlune
feconde fois, & la mettoient en pa- U.
quecs qu'ils couvroient de feiiilles de bi -
lifier ou de cachibou- Cette methode eft
bien differente de celle duJuifjmais comme
je n'ai pas eu la commodité de l'éprouver
depuis que je la fçai , je ne puis
pas aiTurer qu'elle foit la veritable; j'ai
jourcant lieu de le croire, parce que je
'ai appris de gens dignes de foi , &qui
me paroiifent trèa-bien inftruits. 11 eft
naturel de penfer que ce Juif étoit unignorant
ou un trompeur, & peut-être
tous les deux enfemble, cela n'étant
pas fort extraordinaire dans ces fortes de
gens.
Différentes occupations 6c quelques
voïagcs aiTez longs que je fus obligé
de faire, m'empécherentdetranfporter
de la Vanille à la Guadeloupe, comme
je me l'étois propofé, qu'au mois de Novembre
1701. j'y en portai pour lors
huit pieds qui avoient de bons commencemens
de racines, je les plantai
en differens endroits de nos habitations}.,
mais malgré tous mes foins, quelques
uns fêcherent, & les autres eurent bien
de
Jcajou
firhre
fruitier.
F R A N C O I S E S D
de la peine à reprendre ; ils pouiTerent
à la fin, ÔC me donnoient efperancede
voir quelque jour leurs fruits, quand
les Anglois aiant fait une irruption à
la Guadeloupe au mois de mars 1703 .
& s'étant rendus maîtres du quartier du
Baillif où font nos habitations, entre
autres defordresqu'ils y firent,ils arrachierent
toute ma Vanille, & felon les
apparences ils l'emportcrent chez eux y
car il me fut impoiîîble d'en retrouver
feulement une fciiille quand ils fe
furent retirez.
Je retournai à la Martinique fur la
fin de la même année 1703. & je recommançai
tout de nouveau à cultiver
ma Vanille que j ' y avois laiiTé, que je
trouvai- fort négligée ; je la provignai
beaucoup, & je la laifl'ai en bon état
quand je fus obligé de pafferen France
pour les affaires de nos millions en 1705'.
J'ignore depuis ce tems-là ce qui y fera
arrivé.
C e que j'ai dit ci-devant de la noix
d'Acajou m'engage à ne pas remettre en
un autre endroit ce que je dois dire de
l'arbre qui laproduit ; onle nommepomierd'Acajou,
on auroit pû auiîî-bien
l'appeller poirier ; car ni Îui , ni fon
fruit n'approchent en aucune façon des
poiriers ou des pommiers;- il vaudroit
mieux, ce me femble, l'appeller Amplement
Acajou fans l'enregimenteravec
ces arbres. Le mot Acajou eft Ameriquain
; c'eft un des meilleurs arbres
fruitiers de l'Amerique & des plus
finguliers; fes feiiilles, fes fleurs & fes
fruits, tout eft extraordinaire. On en
voit quelques-uns qui font affez-bien
faits éc de la grandeur de nos abricotiers
de France, mais on en trouve beaucoup
davantagequi font mal faits, dont
les branches font maldifpofées, tortues,
noiieufes & fans ordre; le bois eft grifâtre,
alTezfort, coriace 6c pefant fon
E L'A M E R I CLUE.
écorceeft mince, lice, adhérente, d'un
blancfale, avec quelques points & lignes
brunes; la feiiille eft grande, ferme,
bien nourrie,d'une bonne épaiiTeur, ronde
à fon fommet 6c plus pointue vers
l a q u e i i e ; fon expofìtion au foleil lui
donne diiFerentes couleurs , fes bords
font rouges 6c aurores, 6c fon milieu
eft d'un verd vif & verniiîe.
Ses fleurs font très-petites,elles viennent
par bouquets, elles ne paroiiTenc
d'abord que comme des boutons pointus
à leur fommet, d'un verd aflez pâle, qui
en s'ouvrant fe partagent en fixfeùil es
qui forment un calice dont la capacité eft
remplie de petites étamines d'un jaune
doré qui environnent un piftille demêraecouleur,
maispluslong; lesfeiiilles
qui compofent cette fleur font blanchâtres
au commencement, elles prennent
enfuite une couleur de pourpre mêlé de
lignes blanches, ce qui fait un très-bel
effet. Ces fleurs durent aiTe?, peu, on
voit à leur chute que le piftille fe change
en fruit compofé de deux parties trèsdifïerentes
^ la premiere eft une noix
en forme de rognon de coq qui eft d'abord
de couleur verte, de dix à quinze
lignes de long , fur huit à dix lignes dans
fon plus grand diametre, applatie par les
côtez. Cette noix attire après elle un
fruit d'une figure oblongue, arrondi,
couvert d'une peau fine & très-unie, de
trois,quatre 6c cinq poûcesde longueur,
fur vingt à vingt-quatre lignes de diamètre.
Le bout qui l'attache à l'arbre
eft plus petit d'une cinquième partie
que celui quief t attaché à la noix. Tout
ce compofé eft verd avantd'être meur,
mais il change de couleur quand il eft
meur, la peau ou enveloppe de la noix
devient grife & prefque brune, elle eft
de l'épaifTeur d'une demie ligne, dure,
coriace, 6c point du tout caflànte; lorfqu'on
la coupe elle rend une huile aiTea
C c c 3 épaiiTcs,
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