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4S4 NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
1705:. étoient inutiles, parce que le filet obéïffoit,
ilfe mettoit à bondir, pours'étever
pardeiTus, & il falloit que les getis
qui étoient dans le canot élevaiTent le filet
le plus haut qu'ils pouvoient, pour
l'empêcher de fauter pardeiTus, en quoi
ils ne réiiflîiToient pas toujours -, la plus
grande parties'échapoit pour l'ordinaire
il en tomboit quelquefois dans la chaloupe
& le canot qui étoient derrière la
fenne, & ceux-là n'alloient pas plus loin,
parce qu'ils étoient d'abord aiTommez.
Il faut l'avoir vû, pour croire quelle eft
la force de ce poiiTon, & les efforts qu'il
fait lorfqu'il eftpris à l'hameçon. Ilbrife
fouvent les meilleures lignes, fouvent
deux 6c trois hommes ne font pas capables
de le tirer à terre, il rompt ou fait plier les
hameçonsj&cje puis dire qu'il n'y a point
de poiiTon qui donne plus d'exercice aux
pécheurs que celui-là} mais auffi ils font
bien recompenfez de leur peine, quand
ils l'ont une fois entre les mains, car c'eft
un des meilleurs poiffbns de la mer. Sa
chair eft blanche comme laneige, graiTe
& par confequent tendre 8c delicate, &
remplie d'un fuc également nourriiTant
&favoureux. Dcquelque maniéré qu'on
l'apprête, on eftfflr qu'il, eft excellent.
La tête fe met pour l'ordinaire au bleu
ouenfoupe; on en fait de la gelée auffibonne
que celle de Veau & de Chapon,
& ce que cette chair a d'admirable, c'eft
qu'on nes'en degoute jamais.
• Nous avions parmi nos Flibuftiers un
finFîi- jeune Creollede l'Ifle de S.Martin, dont
bupen. leplaifir étoit de fe jetter dans la fenne
quand il voïoit que les poiflbns la veuloient
rompre, ou fauter par deiTus, il
avoituneaddrelTemerveilleufepourfaifir
les plus mutins, & pour les jetter dans la
chaloupe ou fur la terre : il nous a fouvent
fau/ez de beaux poiflbns que nous aurions
perdu fans ui. C'étoit pour nous
un divertiiTeraent de le voir combatre
contre une Caranguc, unCapitaine,on un 1705.
grand Ecaille, & de voir les efforts que
faifoit le poiflbn qu'il tenoit embraiTé
jour s'échapper, les coups de queiie qu'il
ui donnoitjôc quelquefois de bons coups
de dents j il s'en trouvoit fouvent de
fi forts, que n'en pouvant venir à bout,
il étoit contraint de leur fendre le ventre
d'un coup de couteau, ce qui terminoic
la bataille} mais il fut obligé de fe priver,
& nous auffi dudivertiffement que
nous avions dans ces combats} nous primes
dans la fenne unSerpent Marin monftrueux,
qui auroit, felon les apparences,
fait périr ce jeune homme, s'il l'eut
trouvé dans la fenne dans fon exercice
ordinaire.
Cet animal avoit près de dix pieds de Sirpem
longueur, & deux pieds decirconféren- •War;«,
ce dans fon milieu.Sa peau étoit bleuâtre
avec de grandes taches noires & jaunes,
luftrées, & comme vernifTées) il avoit
une empenure fur le dos depuis le défaut
du col jufqu'à fix pouces ou environ près
delaqiieùe. Cette empenuie avoit fepc
poûces de hauteur près de la tête, 8c fe
terminoit infenfiblement.La queiie étoit
fourchue. Outre cette empenure, il avoit
trois ailerons de chaque côré, dont les
bouts étoient garnis d'onglets, comme
ceux qu'on voit fur les grandes Rayes,
il en avoit aufli un dans le milieu de
réchancrure de la queiie qui avoit deux
bons poûces de faillie. La tête de ce Serpent
n'étoit ni plate, ni triangulaire comme
nos viperes de la Martinique; elle
étoit longue de fept à huit pouces, ronde
& un peu arcquée} il avoit deux gros
yeux à fleur de tête qui paroiffoient étincelans.
Sa geulle, qui s'ouvroit demefurementjfaifoi
t voir deux rangées de dents
longues de près de deux poûces, fortes
& pointues} il n'avoit point de crocs
comme nos viperes, peut-être que toutes
fes dents lui en tenoient lieu & étoient
F R A N C O I E S DE
i 7oj. tes garnies de petites veiîïes de veninjc'eft
cequejen'aipaspû bien examiner, car
cet animal me donnoit de la frayeur, même
après fa mort. Nos gens connurent
d abord ce que c'étoit} lespoiiTons qui
etoient dans la fenne avec lui Je connoifjpient
auffi, & le fuyoient. Dès qu'il
lentit le gravier, il s'élança fur terre, &
nous auroit fait du mal, fi un de nos gens
ne lui eûtrompulesvertebresd'uncoup
d'aviron} on l'acheva enfuite, & fa vue
m perdre à nôtre combatant l'enviede
le fignaler contre lespoifons, parce qu'il
etoit à prefumer que ce dangereux animal
n etoit pas feul de fon efpece dans
cet endroit, & ques'ileûttrouvénôtre
jeune homme dans la mer, il l'auroit fait
périr, foitparfesmorfures, foit en l'entortillant,
Scietenaiitfousl'eau. Tevou^
lois le faire écorcher, & fécher la peau
K la tetej mais perfonne rie voulût me
rendre ce fervice, tant on ciiignoit de fe
piquer aux pointes de fon empenure, 8c
aux crochets de fes ailerons 8c de fa queiie
Tous les Hauts-fonds, 6c les Côtes de
cette Me font remplis des plus beaux
« des plus gros Peroquets que l'on puiiTe
vom G eft ainfi qu'on appelle de certains
PoifTons aflez femblablesà nos Carpes
qui dans nos Ifles n'ont pourl'ordinaire
que douze à quinze pouces de longueur
mais qui en ont bien davantage aux Mes'
î " A Î Av^-Lapeau&lesécaillesdecepoifmer.
,iont d'un verd foncé fur le dos, qui
s éclairât à mefure qu'il approche du
ventre. Il a deux empenures fur le dos,
& quatre ailerons à fescôtez , qui auiTibien
que fa queiie font colorez de bleu,
dyaune 8c de rouge, d'une maniéré fi
delicate, que le meilleur Peintre auroit
de la peine à les imiter. Cette belle peau
couvre une chair qui eft encore mei leure}
elle eft blanche, grafî'e, ferme, pleined
un fucnourifîant, agréable, &de
tres-facile degeftion.
Tome IL
no;.
L ' A M E R I Q _ U E . 48y
Je ne finirois point, iî je voulois
fau-e Je détail 8c la defcription de tous
les poiflbns que j'ai vû dans cette lile
deferte. Il faudroit n'avoir ni pieds ni
mains pour y mourir de faim} pour moi
J'y ferois bonne chere} 8c quand je n'aurois
que les Coquillages qui fe trouvent
fur fes hauts fonds, je voudrois y faire
lubfifter avec moi une communauté de
Minimes.
Jene parlerai point des Crabes de mer,
desHomars, des Poupars8c des Moules.
Ces am maux font à peu près les mêmes
en Amérique 8c en Europe} leur grandeur,
qui eft plus confidrabif en Amérique,
ne change point leur efpecej mais
les lambis, les Cafques, les Trompettes,
les Burgaux 8c les Porcelains font
«particuliers à l'Amerique, 8c j'en ai
trouve de fi beaux à l'Me d'Ages, ^ e ie
ne puis m'empêcher d'en dire un mot
Le Lambis eft une efpece de gros Limaçon
, dont tout le corps femble n'être
qu un Boudin terminé, en pointe aune
extrémité} 8c ouvert à l'autre par une
bouche ronde 8c large, d'où il fort une Lamiit
membrane epaifîe 8c longue comme une
langue, avec laquelle l'animal prend fa Î
nouriture 8c fe traîne au fond de la mer Î T '
& fur les hauts fonds, où on letrouve
ordinairement. Je n'en ai jamais diiTcqué;
& J aui-ois ete fort embraffé s'il m'avoit
--.^i-virtuuij} maisjenai
fouvent coupe en morceaux de ceGxqui
etoient cuits, 8c jen'y ai remarqué ni
foi, m coeur , nipoûmons, maisfeulement^
un aflez gros boyau plein d'herbe
hachee, de mouftb 8c de fab e qui étoient
apparament des reftes de la nourriture
que 1 animal avoit pris, fans m'ctreapperçu
d aucun conduit par lequel il fe
dechargeat de fes excremens,\\ moins
qu 11 ne les rendit par le même endroit
par lequel il les avoit introduit} cariî
n cft pas vraifemblable qu'il les confom