8 NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
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tì' i
1697. cette dépenfeauroit été trop contraire à
l'économic dont il faifoit une étroite
profeffion, il negarnilToitla fienneque
d'huile de palma chrifti ou de poiiTon,
C e l l e qui ne lui coûtoit rienétoit toûjours
la meilleure. Un petit fachet de farine
de manioc accompagnoi t la cafFetiere.
Lorfqu'il étoit arrivé au lieu où il
-vouloit travailler, il fufpendoit facafFetiere
à une branche, après l'avoir remplie
d'eau de baliiîer ou de fontaine, felon
l'endroit où ilfe trouvoit. Ilcuëilloiten
travaillant, & goûtoit les herbes qui lui
tomboient fous la ma in, & tuoit autant
d'anolis qu'il croyoi t en avoir befoin.
jinolis, Je croi avoir déjà dit que les anolis
'lÎTafd Petits lézards defeptàhuitpou-
. (jç longueur y fa de- compris la q u e u e , qui
fcrip.
iioil.
eft beaucoup plus longue que le corps.
Ils font delà groiTeur de la moitié du petit
doigc. On peut juger cequeleurscorps
peut être quand il eft vuidéSc écorché j
quellegraifle, 8c quellefubftañce il peut
fournir aux herbes avec lefquelles on le
fait cuire. Il faut pourtant avouer que
•ceux qui ne cherchent dans les viandes
que la tendreté, & la facilhé de la dig
e f t i o n , la trouvent à coup fur dans celle
ci.
Une heure ou environ avant le tems
qu'il avoic deftiné pour prendre fon repas,
il allumoit fa lampe, il mettoit les
herbes hachées dans lacafFetiereavec autant
d'anolis qu'il jugeoitneceiTaire,pour
donner à fon eau &áfesherbeslagraiíre
& le fuc convenables pxjur en faire du
boiiillon.QLielques graines de bois d'inde
écrafées, ou un peu de piment lui tenoient
lieu de fel & d'épiceries, & quand
ce venerable dîné étoit cui t , il verfoit le
boüillon fur la farine de manioc étendue
fur unefei.iiiledebali(Ier. C'étoit-làfon
potage, qui lui fervoit en même-tems de
pain pour manger fes anolis, & comme la
repletion eft dangereufe dans les pais
chauds,fa caftetiere lui fervoit pour le repas
du matin & celui du foir, qui tous
deux ne lui revenoient jamais à plus de
deux fols fix deniers. C'étoitpour lui un
carnaval, lorfqu'il pouvoit attraper une
grenoiiille, elle lui fervoit pour deux
jours au moins, tant étoit grande la frugalité
de cet homme. J'ay pourtant oui
dire à beaucoup de gens qu'il relâchoit
infiniment de cette aufterité de vie ,
quand il mangeoit hors de chez lui , ou
aux dépens d'autrui.J'ai crû devoir mettre
ici cette maniéré de v ie économique,
afin que ceux qui voudront l'imiter fçachent
comment ils s'y doivent prendre,
& à qui ils ont l'obligation de l'invention.
Il travailloit à amollir les os,8£ pretendoit
de faire bonne chere fans rien dépenfer,
s'il pouvoit trouver cefecretj
mais par bonheur pour les chiens qui
feroient morts de faim, fi ce galant
homme eût réùffi, la difcorde lè mic
entre leMinimeSc lui, & les obligeadefc
feparer.Ils revinrent en France après dixhuit
ou vingt mois de travail, chargez
de graines ,de feiiille^, de racines, defels,
d'huiles, & autres babioles, de quantité
de plaintes l'un contre l'autre. Il y a
apparence que le Minime avoit plus de
raifon que le iVIedecin, ou qu'il fut mieux
écouté, puifque celui-cy fut congédié,
& que le Minime fut renvoyé aux liles j
pourtravaillerdenouveau. A l'égard du
Medecin, j'ai fcû étant à Marfeille,
que continuant fon travail de Botanifte,
i avoit un jour apporté certaines herbes
qui lui avoient paru merveilleufes pour
purger doucement, il en fit faire de la
foupe, qui fit mourir lui, fa femme, fes
deux enfans 6c fa fervante. Ainfi devroient
taire tous fes Confreres, quand
ils veulent faire quelque experience.
L'occafion du renvoi du P. Plumier
aux Ifles, fut aulîî finguliere qu'inutile.
L a voici. U n Medecin Anglois avoit publiéun
Livre de Plantes de l'Amérique,
dans lequel il avoit fait graver plus de foixante
1697-
Le Médecin
Surtan
sempoifonne
a-
•vec toute
fa famille.
Le P.
Plumier
Minime
,efl
renvoyé
aux
Ißes:
raifon
Ae ce
fécond
Vtïage.
I f R A N C O l S E S DE L 'AMERIQ.UE. 9
ï'597- Xante efpeces de Fougeres. O n crut qu'il faire, & qu'il l'avoit dans fa poche . Après irtyy.
étoitde l'honneur de la Nat ion d'en dé- bien des cérémonies, il en tira enfin un
couvrirdavantagej&commeonnecon- mouchoir, dont une partie étoit teinte
noilToit perfonne dans tout le Roy aume de couleur de Pourpre, ou du moins en
plus capable de foûtenir le poids de cette la couleur qu'on appelle Pourpre à pregrande
affaire, que ce Minime, on lui fent, carjene voudrois par jurer qu'elle
en donna la commiffioa. Il y avoit envi- foit la même que celle des anciens. Quoi -
r o n f i x mois qu'il étoit arrivé à la Ma r - qu'il en foi t } voilà, me dit-il, le trefor.
tinique, quand après avoir épuifé tou- J'ai découvert en ce Païs-ci la Pourpre
tes les Fougeres de la balle terre, des Pi - deTyr:c'eft pour l'enrichir plus que toutous
du Carbet, & du Morne de la C a - tes les mines du Pérou 6c du Mexique. Je
lebaiTe, il vint à la Cabefterrepoury en confiderai le mouchoi r , 6c j e découvris
chercher d'autres. Il avoit logé dans nô- auffi-tôt le principe de cette couleur}
t r e Convent du Mouillage tout le tems maisje feignis de fouhaiter qu'il me le dît.
qu'il avoit demeuré à leBaf îe-Terre.Nô- Mes prieres furent inuti les, 6c quoique
treSuperieur, qui étoit de fon P a i s , lui je puiTe fai re, il ne voulut jamais m'apavoit
donné gratuitement une chambre prendre ce que je fçavois avant lui.
& la table, 6c me le recommanda quand il Le lendemain j 'envoyai dire à un Pê- Burgam
yintàlaCabefterre. Cette recommanda- cheurquidemeuroitauBourgS. Marie,
tien, fon mérité perfonnel, 6c la gloire de de me fliire amafler des Burgans de tein- '
la Nat ion, pour laquelle il travailloit, fi- ture (c'eftainfi qu'on les appelle) il m'en ufrge.
rent que j e le reçus avec toute la civilité envoïa, 6cje teignis un morceau detoile
poiTible, 6c que je l'aidai de toutes mes en Pourpre que j e montrai le foir au Pere
forces à groffir f onMa g a z in de Fougeres . Minime, en lui difant que ce qu'il croïoic
Quelque temps ayant qu'il arrivât au être un fecret ôc un trefor, étoit entre
les mains de tout le monde. Je lui dis à
mon tour que je voulois lui faire voir
une couleur plus belle que la fîenne, donc
j e ne lui dirois pas l'origine. En effet j e
lui montrai un autre morceau de toile
„ s „ - ^--r--» teint en rouge très-vif6c très-beau} 6c
K particulièrement celle de T y r , qui pour lui faire voir que fa Pourpre n'étoic
ctoit fi^eftimée^. pas une nouvelle découverte, jedeman-
Jemapperçus un foir que nôtre cher- dai en fa prefence à plufieurs de nos
cheur deFougeres étoit plus content qu a Negres comment on avoit teint le mor-
1 ordinaire, j e lui en demandai la caufe j ceau de toi le, qui tous répondirent que
mais il etoit fi cache 6c fi particulier,qu'il c'étoit avec desBurgans de teinturc,qu'on
n y avoit pas moyen de rien fçavoir de trouve tousles jours au bord delà mer.
les aftaires: toutes chofes étoient mifte- LesBurgans de teinture font de la grof -
rieufes chez lui Cependant à force de feurdu bout du doigt : ils font comme les
le prefler, il me dit qu'il avoit trouvé un Vignots, ou les Limaçons ordinaires,
^elor. Je ne manquai pas de lui en té- Leur coque eft aiTez forte, quoiqu'elle
mo.gner ma joye 6c de lui offrir nos foit fort mince : elle eft de couleur d'ac
a b r o um 6c nos boeuf s pour l'aller cher- zurbrun. L'animal qu'elle renferme eft
c h e i , 6cle fan-eapporter dans fa cham- tout-à-fait femblable aun Limaçon: fa
pasnecef- chair eft b l anche , fes inteftins font d'un
® rouge
Fonds S J a c q u e s , j'avois reçû quelques
Livres de F rance, entre lefquels étoit le
Ykmweinfol. de M.Perrault. Laleftul
e de ce Livre m'avoit fait connoître le
Limaçon de mer, dont on fe fervoit autrefois
pour faire la teinture de Pourpre,