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Z12 NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
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1701. mon mieux. Après que j'eus achevé mes
fondtions, je retourHai à l'Hôtellerie oi^i
étoient nos hardes. Le Pere Cabaflbn
m'y attendoit} nous dinâmes, & puis
de nous fûmes rendre vifite à M. de Chacharite
rite Lieutenant de R o i , qui commandoit
^Jm^de chef dans tout le Quartier, en l'abfence
de M. de Galifet Gouverneur titulaire
de Sainte Croix , & Commandant
au Cap François, qui s'étant trouvé
chargé du Gouvernement de toute la
partie Françoife depuis que M. du Cafle
étoit allé en Europe, s'étoit rendu au
Quartier principal qu'on appelle Leogane.
Nous fûmes fort bien reçûs de cet
'Méfon Officier. Sa maifon étoit fituée fur une
"ch^r'r^ petite hauteur derriere leMagafinde la
munition , qui fervoit alors d'Hôpital.
Elle commandoit tout le Bourg, & les
environs. Sa vûëdu côté du Port étoit
belle, & très étendue. Elle étoit bornée
)ar derriere, par des montagnes aflez
lautes, dont elle étoit feparée par un
arge vallon. Cette maifon avoit appartenu
aux Capucins, & iî on les en eût
voulu croire, elle leur appartenoit encore;
parce que le Religieux qui en avoit
accommodé M. de Charité, n'avoit pû
fans le confentement de fes Confreres
faire cet échange, qui ne paroilToit pas
fort à leur avantage, à moins qu'il n'y
eût quelque retour dont on n'avoit pas
jugé à propos d'inftruire le public. M.
de Charité nous offrit fa maifon , & nous
preiTa beaucoup de la prendre} je fuis
perfuadé qu'il le faifoit de bon coeur,
car il eft tout-à-fait honnête Se généreux.
Il étoit feul alors. Madame fon
époufe étant depuis quelque tems auprès
de fa mere qui étoit malade.
Nous trouvâmes en fortant de chez M.
de Charité quelques OiHciers des T roupes
que nous avions connus à la Martinique
: ils venoient de nôtre Hôtellerie, où
s avoient été nous chercher. Nous nous
promenâmes quelque temsaveceux, 8c
puis nous fûmes fa uer M. Marie Commill"
aire& Infpeéteur de la Marine, qui JH,i
faifoit les fonftions d'Intendant. Nous
le connoiffions aflez peuj cependant®!
comme il étoit extrêmement honnête & J,
poli, il nous reçût parfaitement bien, &
vouloir à toute force nous retenir chez ""
lui.
Nous apprîmes â nôtre retour à l'Hôtellerie,
que le Supérieur des Religieux
de la Charité étoit venu pour nous voir.
Il entra prefque dans le moment avec fon
Compagnon, & quatre ou cinq Negres
qu'il avoit amenez avec lui. Après les
complimens ordinaires, il nous d i t , qu'il
venoit pour nous conduire à l'Hôpital,
gu'il étoit fâché de n'avoir pas un Palais
à nous offrir, mais qu'il ne laiffoit pas
d'cfperer que nous lui donnerions la preference
fur tous ceux qui nous avoient
offert leurs maifons, puifqu'étantReligieux
comme nous, ellefembloit lui être
dûë. Nous voulûmes nous excufer j mais
fans nous en donner le tems,il commença
à détendre nos hamacs, & àfaire charger
nôtre bagage fur les épaules des Negres
qu'il avoit amenez avec lui. Nous
eûmes même bien de la peine à obtenir
qu'il nous laiffat payer la dépenfe que
nous avions faite à l'Hôtellerie. Cet obligeant
Religieux s'appelloit le Pere Augufte.
Il étoit Maltois de nation, fort expert ^
danslaMedecine, Scdans la Chirurgie,
fage, poli, officieux, plein dezele, de
droiture, &decharité: en un mot, il
avoit tous les talens qu'on peut fouhaiter
dans un homme qui eft chargé du foin
des pauvres. Il eft prefque incroïable
combien il a travaillé pour eux, & comment
il a établi, meublé, & fondé l'Hôpital
du Cap en fixoufeptans qu'il y a
été Supérieur.
J e ne manquai pas de me rendre le
lende-
F R A N C O I S E S DE L'A M ERI Q.UE. 213
u m-
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lendemain de bonne heure à l'Eglife.
J'eus tout le tems de me préparer à dire
la Meffe} perfonne nefongea à taire fes
devotions. Je célébrai la Meffe, Ôcje
prêchai. Je ne puis m'cmpêcher de dire,
que je fus infiniment fcandalifé du peu
de Religion que je vis dans ce Peuple. Je
croyois être tombé des nues, Se tranfporté
dans un monde nouveau, quand
je penfois à nos Habitans des Ifles du
Vent,&quejecomparois leur devotion,
leur exaétitudeà s'approcher des Sacremens,
leur refpedpour leurs Pafteurs,
leur modeftie dans l'Eglife, aux maniérés
licentieufes 8c extraordinaires de ceuxci.
Ils étoient dans l'Eglife comme à quelque
affemblée , ou à quelque fpe£tacle
profane} ils s'entrètenoient enfemble,
rioient & badinoient. Sur tout ceux qui
étoient appuyez fur la baluftrade, qui rernoit
au tour de l'Eglife parloient plus
laut que moi , qui difois la Meffe, 6c mêoient
le nom de Dieu dans leurs difcours
d'une maniéré que je ne pus fouffrir. Je
les avertis trois ou quatre fois de leur
devoir avec toute la douceur poffible} &
voyant que cela n'operoit rien, je fus
obligé de le faire d'une maniéré, qui
obligea quelques Officiers àleurimpofer
filence.
Un honnête homme eut la bonté de
me dire après la Meffe, qu'il falloit être
plus indulgent avec les Peuples de la Côte,
fi on vouloit vivre avec eux. Je lui
répondis, que je fui vrois volontiers fon
avis,lorfque la gloire de Dieu n'y feroit
point intereffée.
Je ne doute nullement que les Peres
Jefuitesquiont fuccedé aux Capucins,
n'ayent mis ces Peuples fur un autre pied.
Car j'ai vû dans toutes leurs Miffions
les chofes très-bien réglées} 6c quelque
libertinage qu'ils trouvent dans les lieux
dont on les charge, il eft rare, ouplûtôt
il eft inoiii que leur zele, leurs bons
exemples. Scieur pieté n'en foient venus 170X.
à bout.
Tous ceux que nous avions vifitez, ne
manquèrent pas denous venir voir, & de
nous donner à manger les uns après les
autres. J e n'avois jamais mangé qu'en cet
endroit du Cochon boucané en éguillettes.
Nous n'avons pas affez de Cochons
marons ou de Sangliers dans les Ifles du
Vent, pour les employer à cet ufage} Se
les Barques qui remontent de Saint Dominguc
aux Ifles, ne s'en chargent pour
l'ordinaire, qu'autant qu'elles en ont befoin
pour leur voïage. Je trouvai cette
viande excellente, Se d'un tout autre
goût que le Cochon ou le Sanglier qu'ori
mange en Europe. Voici la maniéré d'accommoder
cette viande} on me l'expliqua
au Cap, Se j 'en ay vû la pratique
au Cap Dona Maria, ou nous demeurames
trois jours, quand je retournai aux cZ/-^
Tfles du V e n t , en paffant par ,1e Sud de/eunde
r i f l e de Saint Domingue. Mais avant
d'entrer dans ce détail, il eft bon de
fçavoir, qu'il y a deux fortes de gens à
Saint Domingue, dontlemétiereftd'être
continuellement dans les bois pour
chaffer. Ceux qui chaffent les Taureaux
feulement pour en avoir le cui r , s'appellent
Boucaniers. Leur Hiftoire eft entre
les mains de tout le monde. Ceux qui
chaffent les Cochons marons ouSangliers
pour en avoir la chair Se la graiffe, s'appellent
Amplement Chaffeurs.
Lorfqu'ilsonttué un Cochon, ils l'é-
. 0 1 I • ® acom^
corchent. Se coupent toutela chairen moderle
éguillettes d'un pouce Se demi de grof- Cochm
feur ou environ, Se autant longues que le ,
peut permettre le morceau de chair qu'ils -
découpent. Ils faupoudrent legerement
ces éguillettes de fel bat tu, qu'ils y laiffent
pendant vingt quatre heures, après
lefquelles ils fécoiient le fel, Se étendent;
toutes ces éguillettes fur des étages à jour
d'une'petite cafe bien clofe en maniéré
F f a d'étuve ,
f