( i.^
iW
iJ'i
h."
Ì
ii•j
F'
N O U V E A U X VOY A G E S AUX ISLES
I70I. avoit laiffé la plus grande partie de fon précipitation. Cependant M. Auger ju-
Artillerie devant le Fort de la Guade- gea à propos de fe préparer atout éveloupe
qu'il affiegeoit, lorfque le Mar- nement, & me fomma de me fouvenir de
quis de Ragni General des Ifles Fran- la parole que je lui avois donnée, de conçoifes
l'obligea d'en lever le Siege avec duire les travaux qu'on feroit dans l'Jûc.
C H A P I T R E XV I I .
De f arbre appelle Gomier. Hijloire du Tatron Jofeph , & du Capitaine
Daniel. Du bois de Savonette., des larmes de Job-, du Courbari^
de fon fruit.
* t •
f E Pere Imbert Vice-Prefet
Apoftolique de nos Miffions,
partit pour la Martinique le
Mardy 24 Mai, Il m'établit
Supérieur en iii place, & Supérieur
general en cas qu'il vînt à mourir.
Peu de jours après Ton départ, le
hafard nous amena un de nos Religieux
que je n'attendois pas. Il venoit de
Cayenne. Le Gouverneur avoitfait une
fécondé tentative en Cour, pour avoir
de nosReligieux j il avoit été écoûté,
& le Miniftre en avoit envoyé deux avec
des conditions fort railônnables. Mais
quand ils furent arrivez à Cayenne, ils
trouvèrent que le Gouverneur avoit encore
changé de deiTein ; de forte qu'ils
ne purent rien conclure pour un établiflement}
& après avoir été aiTez longtems
à charge aux Peres Jefuiteg , qui
les logeoient, & les nourriifoient avec
beaucoup degenerofité, l'un prit le parti
de repafler en France, & l'autres'en
allant à Saint Domingue, touchai la
Guadeloupe, ou je l'arrêtai, & me déchargeai
fur lui du foin de la ParoiiTe,
ayant aiTez d'autres affaires fur les bras.
L e befoin extrême que nous avions
de nous loger un peu plus au large que
nous n'étions, depuis que les Anglois
avoient brûlé nôtre Convent, m'obligea
à faire pefcher une quantité confiderable
de chaux : car nous avionsrefolu de
le faire de pierre. Il fallut pour cela faire
un troifiéme Canot , lesdeux quenous
avions ne fuffifant pas pour pouffer cet
ouvrage auiîi vivement que je voulois.
Je vilîtai nos bois, £c j'eûs bien-tôt
trouvé un arbre fuffifant pour fairc-un
Canot de trente-huit pieds de long, fur
cinq pieds de large dans fon milieu;
c'étoit un Gommier. On appelle ainfi cm:
cet arbre, àcaufe qu'il jette de lui-mê- «
me, ou quand on lui fait une incifion,^";
une quantité confiderable de gomme ¿'J
blanche, friable quand elle eft bienfe- nji
che, ordinairement de la confiitence de
la cire, d'une odeur aromatique, qui
brûle parfaitementbien, foit qu'on l'allume
feule dans une terrine, foit qu'on
la mette en flambeaux avec une mèche
en dedans.L'odeur qu'elle rend eft agreable,
rien ne purifie mieux l'air, ou un
lieu qui a été long-tems fermé, que d'y
brûler de cette gomme j ce qu'elle a d'incommode,
eli que fa fumée eft épailTe,
8c noircit beaucoup. Il y a de petits Habitans
qui en font des chandelles. Cette ,
gomme pourroit être utile à autre chofe
qu'à brûler, & la quantité qu'on en
trouve, donneroit moyen d'en faire un
commerce confiderable. Bien des gens
ÎTétendent que c'eft la gomme Elemi.
e ne fuis pas affez inftruit de ces fortes
de chofes pour en décider.
On voit par la grandeur de ce Canot,
combien grands & gros, font ces fortes
not.
Çommicr
i'unt
¡rMdinr
fridiimfi.
Purcn
Hph
f'klté.
F R A N C O I S E S DE L*AMERIQ_UE. m
tes d'arbres. On en trouve encore de
plus gros que celui dont je me fervis.
J'en trouvai un quelque tems après, qui
avoit vingt-cinq pieds de tour, & près
de quatre-vingt pieds de tige , rond
comme s'il avoit été fait au tour, & droit
comme une fleche. Si j'avois demeuré
plus long-temsà la Guadeloupe,je l'aurois
fait travailler, 6c j'en aurois fait
faire une demie Galere, qui auroit pu
porter du Canon, & plus de quatrevingt
hommes. Elle auroit été excellente
pour faire des defcentes fur les côtes
de nos ennemis, les furprendre, 6c les
piller, 6c auroit été d'une legereté, &
d'une vîteffe extraordinaire.
L e plus grand Canot que j 'ayevû aux
Ifles, appartenoit aux Religieux de la
Charité de la Martinique. II avoit plus
de quarante-cinq pieds de long, 6c environ
fept pieds de large dans fon milieu.
Comme fa grandeur empêchoit
qu'on ne le pût commodement haler à
terre, il étoit moiiillé avec un grapin.
Quelqu'un eut la malice de couper la
corde, afin que la mer l'emportât au larr
ge, comme elle fit, 6c il fut perdu. On
en accufoit un certainProvençal appellé
Patron Jofeph, que ces bons Religieux
avoient furpris en flagrant délit
avec une de leurs Negreffes la nuit du
Jeudy au Vendredy Saint. Ils avoient
eu la charité de lui faire faire penitence
de fon péché auifi-tôt qu'il l'eût commis.
Car l'ayant attaché à un travers de la
cafe de la Negrefle, ils le fouetterent
jufqu'au fang, life plaignit au Gouverneur
d'une corrcûion fraternelle fi dure.
Mais on lui répondit, qu'il n'avoit encore
eu qu'une partie de ce qu'il m^ritoit}
de forte que ne trouvant point
d'autre moyen de fe venger de ce qu'il
avoit reçii, on prétend qu'il fit perdre
le Canot, en coupant la corde qui le tenoit
attaché à un grapin. Les Religieux
de la Charité s'en plaignirent, mais fau- 170'«
te de preuves fuffifantes, ils ne purent
rien obtenir, 6c ils en furent pour leur
C a n o t , 6c l'autre pour fes coups de
foiiet.
Pour revenir aux Gommiers, je dirai
que jufqu'au tems que j'ai été aux
Ifles, on ne les employoit qu'à faire des-
Canots>on ne s'en fer voit pas même pour
brûler , fous prétexte qu'ils étoient difficiles
à couper en billes, 6c encore plus à
fendre, 6c qu'ils ne faifoient qu'une flame
fombre 6c noirâtre. J'ai-étc le premier
qui les ay mis en reputation, 6c qui
ay trouvé le moyen de les débiter, ÔC
de s'en fervir à toutes fortes d'ufages.
L a feuille de cet arbre eft aiTez femblable
à celle du laurier, mais beaucoup
plusépaifle, 6c moins rude. Quand on
la broïe dans la main, elle y laiffe une
humidité gommeufe d'unt odeur aromatique
fort agreable. L'écorce eft grife,
médiocrement épaiffe, tailladée,6c
afTez adherente. Quand cet arbre eft
plein de gomme , il s'en décharge de luimême,
6c on la voit couler le long de
fon tronc. Je n'en ay jamais remarqué
fortir des branches, même des plus greffes.
Il eft certain que cette gomme eft la
meilleure,ôc la plus parfaite. Mais quand
on en a befoin, 6c qu'on ne veut pas attendre
que l'arbre en produife de luimême,
il fuffit de faire une incifion à
fon écorce, pour en faire diftiller aulîit
ô t , en quelquefaifonquefepuiiTeêtre.
Il eft vrai qu'on en tire davantage dani
lafaifondespluïes} parce que l'arbre eil
alors plein de feve, qui coule avec la
gomme, qui par confequent n'eft pas fi
parfaite. Celle que l'on tire quelque
tems après que les pluïes font paffées, eil
en plus petite quantité, 6c beaucoup
meilleure, elle eft blanche comme neige,
lorfqu'elle eft nouvelle, 6c molle comme
de la cire, onlapaîtritaifément^Sc
Q q a o»
„ir f •J r'