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U 6 NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
í m - à y travailler, les matériaux étant dé-
.a en partie amaiTez fur le lieu. Je
ui donnai fept toifes de diametre dans
fes fondemens, pour venir à fix toifes
hors de terre, 6c trois pieds d'empatement
tout au tour. Le mur devoit
avoir une toife & demie d'épaiiTeur
jufqu'à la hauteur de deux toifes, 8c
enfuite une toife feulement. Et comme
le deifein étoit d'y mettre douze
ou quinze hommes bien refolus , pour
brider les Ennemis de ce côté-là en
cas d'une defcente ou d'une attaque,
ie fond de la Tour devoit être partagé
en trois parties ; une pour faire une
Citerne > une pour un Magafin de
Vivres j & la troifiéme pour un Magafin
à Poudre. Cet étage qui devoit
être voûté, auroit eu huit à neuf pieds
de hauteur. Celui de deiTus en auroit
eu dix, & auroit été éclairé de
huit ouvertures de quatre pieds de
large en dedans, s'étrcíííflantá fix pouces
en dehors, pour avoir l'air 8c le
jour neceiîaire, & pour tirer avec des
Efpingards ou Efpoirs de fonte fur
ceux qui s'approcheroient de la Tour.
Si le tems l'avoitpermis, on auroit fait
im autre étage voûté, avec quatreembrafures,
quoique le delTein ne fût que
d 'y mettre deux pièces de Canon de
douze livres de balle , 8c deux de dixhuit
fur la plate-forme, où il y auroit
eu une écoutille avec une échelle pour
defccndre dans l'étage inférieur.
Mon deifein , comme je viens de
dire, étoit de voûter tous ces étages,
mais les chofes pi "eiîîint extrêmement.
j e ne pus élever ma maçonnerie qu'à la
hauteur de dix à douze pieds, 8c je
fus obligé de faire remplir le vuideavec
des pierres & du fable, pour foûtenir
la plate-forme, fur laquel e j e fis monter
une piece de douze, n'ayant pas le
tems d'y en. faire monter une fécondé.
On auroit environné la Tour de
douze ou quinze rangs de raquettes,
qui auroicnt bien empêché qu'on n'en
put approcher , 8c on n'auroit laiifé
qu'un petit chemin en zigzag, pour le
pafllige d'un homme jufqu'uu pied de
l'échelle.
^ Il eft certain que fi cette Tour avoit
ete achevée, elle nous auroit été d'une
grande utilité , 8c que les Ennemis
auroient été obligez de l'attaquer dans
les formes avant de palfer plus avant.
Le deifein du Gouverneur étoit d'enp
g e r les Habitans d'en faire de ferablables
fur leurs terres le long de la
côte, parce que joignant ces Tours les
unes aux autres, par un bon retranchement
palliifadé, 8c bien couvert de
raquettes, on auroit été en étatdedifputer
la defcente à tous ceux qui fe feroientprefentez:
car il eft conftant,que
douze ou quinze hommes dans une
Tour femblable, auroient plusimpofé,
8c auroient été plus affûrez, que deux
cent derriere un fimple retranchement ;
8c que cent hommes derriere une pallifade
épaulée de deux femblables Tours
font capables de faire toute la refiftancc
neceiîaire, pour déconcerter une defcente.
On fçait d'ailleurs que le Canon
qui eft fur un Vaiifeau n'eft guéres à
craindre} 6c que de cent coups qu'il
tirera, il n'y en aura pas un qui donne
dans une embrafure } au lieu que
celui qui eft en batterie à terre, fait
trembler un Vaiifeau, parce qu'il eft
toûjours en état de couler bas.
LePere CabaiTon nôtre Supérieur general
partit de la Guadeloupe pour s'en
retourner à la Martinique le 30 de Janvier
avec le Pere Imberc, qui avoit donné
la demiffion de fa Charge, qui fut
remplie par un Religieuxde mérité, appellé
le Pere Mane, qui gouverne à prefent
toute la Miffion, en qualité de Supérieur
ne;,
tt
'jyciî.
F R A N C O I S E S D
perieur general, avec toute la fagelTe,
a douceur, 8c la prudence, qu'on peut
fouhaiter dans un Supérieur accompli.
Mes occupations m'empêchercnt d'être
au Couvent quand tous ces changemens
arrivèrent} mais ayant fçû le moment
de leur embarquement, je me rendis
chez le Gouverneur oij je les trouvai.
Se où jelesembrailai, 8c jelesconduifis
jufqu'au bord de la mer.
Ils s'embarquerent dans un Navire
Provençal, qui s'en retournoit à la Martinique
, après avoir vendu fes marchandifes
plus chèrement qu'aucun Vaiffeaules
eût jamais vendues. La Declaration
de la Guerre, & le grand nombre
de Corfaires qui couroient les côtes de
France, étoient caufe que les vins com^-
mençoient à être rares aux Ifles, où
l'on n'aime pas à en manquer} de forte
que nos Vaiifeaux n'ofoient fe mettre
en mer. Ce Provençal avoit eu le bonheur
de paifer, 8c profitant de la conjonéture,
il avoit vendu fon mauvais
vin de Provence deux cent francs la
Barrique, fes amendes en bois vingtcinq
fols la livre, 8c le refte de fes
denrées à proportion} pendant qu'il ne
prenoit les plus beaux fucres blancs qu'à
dix-fept ou dix-huit livres le cent , au
lieu qu'ils avoient été vendus quaiantedeux
livres fix mois auparavant. Pour
concevoir le profit qu'il faifoit fur fon
vin, il faut fçavoir, que la Barrique de
ce vin, y compris la futaille, ne coûte
que fept ou huit francs en Provence,
ôc quevendûëaux Ifles, les Marchands
font heureux, quand à faute d'autre, ils
peuvent le vendre dix-huit francs. Mais
le Capitaine de ce Vaiifeau ne porta pas
loin la peine que meritoit fon 'avarice
extrême, 8c l'infolence avec laquelîè il
difoit, qu'il ne vendoit fes nwrchandifes
à un prix fi exorbitant, que pour
avoir leplaifir de dire en Provence, qu'il
E L'AMERiaUE.
avoit gagné dix huit cent pourcentfur 170^
fon vin. Se cent cinquante fur le fucrc
qu'il avoit reçû ; car en forçant delà
Martinique, il fut pris par une méchante
Barque Angloife, qu'il âuroit dû
prendre avec fa Chaloupe, s'ils avoit eu
autant de courage, que d'infolence, 8c
d'avarice.
Il y avoit quelques jours qu'une de
nos Barques armée en courfe en avoit
pris une Angloife, qui alloit porter des
Paquets de Barbade à Antigües. On
fçût par cette priië} qu'il étoit arrivé à
la Barbade trois jours avant Noël huit
VaiHeaux de Guerre, avecplufieurs autres
Bâtimens, qui portoient cinq Regimens,
8c qu'on en attendoit encore
autant, avecdesGaliottesà bombes, 8c
tous les attirails neceflaires pour un fiegc
de confequence. On ne douta point que
ces préparatifs ne fuifent deftinez pour la
Martinique, 8c que le Fort Royal ne
fût leur objet.
Monfieur Robert nôtre Intendant,
n'obmit rien de tout ce qui pouvoit
contribuer à la défenfe de la Martinique.
Il fit faire un parapet de maçonnerie
tout le long du MoüiJlage,8caux
endroits du Fort Saint Pierre, qui en
avoient befoin. Il fit auffi couvrir la
Ville du Fort Royal d'un bon parapet,
avec des Batteries nouvelles, il fit reparer
8c augmenter les anciennes. En un
mot, il fit tout ce qu'on pouvoit attendre
de fon zele pour le bien public; 8c
comme il étoit important de fçavoir ce
qui fe paiToit chez les Ennemis, on arma
nos Barques les meilleures voilieres,
pour faire des courfes fur eux} 8c des
defcentes fur leurs côtes, afin d'avoir
des prifonniers, qui puflént nous inftruire
de leurs deifeins ; car chez les Anglois,
les chofes ne font pas fort fecrettes.
Les mois de Janvier 8c Février fc
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