également par-tout : à un bout de ce braiîer, à l’Oueft on
creulâ pareillement un petit efpace, on remplit celui-ci d’eau ;
& à melüre qu’elle s’imbiboit dans la terre on en verfoit
d’autre ; ce qui forma bientôt un bourbier, ou efpèce de
valè détrempée & recouverte d’eau.
C e bourbier n’étoit féparé du brafier que par un efpace ou
par une petite digue naturelle d’un pied au plus de largeur.
Une demi-heure environ avant que ia divinité dut arriver, on
étendit fur le brafier une couche égale de nouveau charbon,
qui s’alluma bientôt par le moyen de l’autre , & s’embrafa
au point que le tout formoit une furface de trois cents trente
à trois cents quarante pieds carrés de matière ardente &
embrafée, qui envôyoit la chaleur à plufieurs toifes à ia ronde.
Il n’étoit pas befoin de Gardes en faction pour empêcher le
peuple de trop s’approcher.
Pendant tous ces préparatifs, la divinité fortie de ia pagode
iè promenoit tranquillement dans une partie de la ville.
C ’etoit une efpèce d’Oratoire orné de guirlandes de fleurs,
au milieu duquel étoit une idole en apparence de bronze bien
parée, & dont on n’apercevoit que le vifage, qui étoit noir
& aifez laid. Cet Oratoire, qui paroifloit fort lourd, étoit
porté fur des bambous, foutenus par les épaules d’un très-
grand nombre d’indiens; il étoit précédé & iuivi d’une
populace fans nombre.
Je ne me rappelle pas que j’eufle jamais vu tant de monde
aiTemblé. Des milliers d’ames afliftent à la fête ; tous les
travaux étoient celfés. Je trouvai, en allant à cette fête, les
rues pleines de monde, & bientôt ,1a ville fut déferte. Le long
du chemin je rencontrai des efpèces de pénitens qui me
paroifloient prier & qui fe lamentaient.
La campagne reffembioit à la plus belle foire,; on y voyoit
çà & là les groupes les plus charmans de belles & jeunes
Indiennes affifes par terre, & parées comme le demandoit
un jour auiïi foiennel.
Au milieu de toute cette affluence, je vis enfin arriver la
divinité; on la plaça à l’Oueft, au haut & en face du brafier ;
dans cette pofition je la vis jouir du fpeélacle fuivant. Une
foixantaine d’indiens , plus ou moins, le corps tout n u ,
& barbouillés de jaune depuis la tête jufqu’aux pieds, un
grand coutelas à la main ; faifant de grands fauts & pouffant
de grands cris, traversèrent ainfi le brafier dans fa longueur
avec beaucoup de vîteffè, & gagnèrent promptement le
bourbier; les premiers qui arrivèrent dans ce bourbier en
fortirent promptement, en prenant à droite & à gauche, pour
faire place à ceux qui les fuivoient; il n’y a ici aucune fuper-
cherie, le brafier eft ardent & les pénitens ont les pieds
exactement nus. Ceux qui étoient à la tête de ce troupeau
' aveugle, portaient une offrande de riz qu’ils mirent aux pieds
de l’idole; après cela, on la reconduifit dans fa pagode en, ia
promenant encore dans les rues, aux flambeaux, pendant une
bonne partie de la foirée-
On m’a affiné que ces pauvres martyrs de leur préjugé,
1 jeûnent plufieurs jours avant pour fè préparer ; ils s’ailèmblent,
j après cela, au bord d’un étang, voifin du lieu ou fe doit
paffer la fête. Là ils fe lavent bien le corps, fur-tout la tête, fe
bornent de guirlandes de fleurs, s’en font des ceintures & fe
peignent le corps de jaune; d’un air joyeux ils vont au-devant
de la proceffion, lafuivent jufqu’au feu; le traverfent, comme
je l’ai dit, & reconduifent l’idole très - fâ-tisfaits de leur
conduite.
Tome I. Z