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doit donc le renouveler ’perpétuellement dans ces gencives.
Au refte, je rends juftice à l’exaclitude de Koempfer dans ce
qu’il rapporte au fujet de ces efpèces de danfes. Quoiqu’il
penfe que les Indiens enlèvent tout le venin desferpens. avant
que de s’expolèr à les faire dariïêr, il regarde les racines dont
fe fervent ces gens comme' un préfervatif inutile contre les
attaques de Ces animaux. La crainte félon lui a beaucoup de
part dans le manège qu’on fait faire à ces fèrpens; en forte
que cette crainte contribue à leur faire iùpporter l’exercice
de la prétendue danlê auquel on les forme & on les accoutume
peu-à-peu : Cette efpècé de ferpent, dit-il, ejl le .plus
venimeux de tous ; c'ejl aujji le plus prudent f r le plus docile.
( Prudentijfimum ac magis docile ) .
Si on s’eft donné la peine de lire avec un peu d’attèntion
ce que j’ai dit des danlês de ces animaux, & des particularités
dont j’ai été témoin à cette occafion, on aura vu qu’il n’y.
a rien de merveilleux dans ces prétendues danlês, que la
timidité des lêrpens; la facilité avec laquelle ils fe laiflênt
apprivoifer & le peu de nourriture qu’on leuj donne, font
ici toute la magie des charlatans de l’Inde.
Je finirai cet article en apprenant à mes Leéleurs la mort
tragique de ce jeune Indien dont je viens de parler , occa-
fionnée par la morfure d’un ferpent capele qui n’étoit
apparemment pas allez apprivoile, & dont; fans doute aulfi,
il ne fe donna pas alfez de garde; car des nouvelles certaines
de Pondichéry m’ont appris, depuis mon retour, qu’il fut
mordu.au làng en préfence de plufieurs perfonnes, vis-à-vis
defquelles il faifoit faire, l’exercice à lès Couleuvres; il fentit
une douceur dans le,bras, eut quelques con.vulfions, & mourut
çn très-peu de temps.
Cet exemple tragique fait voir, lêlon moi, que ces ferpeus
ne perdent pas tout leur venin ptir ¡’extraction que lés Indiens
en peuvent faire avec le mouchoir ou un morceau de drap;
car je fuppofe que fi ces gens fe fervent'en effet de cé
moyen, mon jeune homme avdit appris d’eux le fecret, &
s’en étoit aulfi fervi.
Puifque je fuis fur les tours des Indiens, je ne véux pas-
palfer fous filence un tour fort adroit que me fit plufieurs
fois ce jeune Indien. C ’eft le. tour du fable : voici ce que c’e f t ..
Dans un grand vafe ou chaudron, ils verlènt de l’eau,
puis avec de la .fiouze de vache ils la troublent au point
qu’on ne puiffe point voir le fond du valè; ils ont-, dans de
petits lacs, du fable fe c & de deux couleurs, ordinairement du
rouge & du blanc : ils ôtent ce làbie de leurs facs & le mettent
par petits tas à côté d’eux ; puis prennent une poignée de
rouge, par exemple, le mettent au fond du vafè, retirent la
main après avoir fuffifamment remué l’eau pour chercher à
donner à entendre que le làbie eft mêlé dans-toute la mallê de
l’eau ; ils font de même pour le fable blanc : il faut remarquer
qu’ils ont les bras découverts jufqu’au coude au moins, fou vent
jufqu’à iepaule.
Ces fables ont l’air d’être en partie mêlés enfemble au
fond du vafe.
Après cela ils vous demandent : quel fa lle voulez-vous !
Si vous demandez le rouge, Comme vous paroilfant le plus
difficile à avoir, ils ne le tromperont pas; ils le reprennent
fans avoir été mélangé, vous dilent d’ouvrir la main., vous
le font couler grain à grain dedans, & ce fable eft aulfi lêc
qu’il l’étoit avant que d’avoir été mis dans l’eau ; ce fera là
même choie pour le làblç blanc.