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à faire fonder pendant que j’obfervois leciipfe de Lune: ou
trouva depuis cent quinze jufqu a cent vingt brafîês. Ayant
depuis comparé mon obfervation aNtelle qui fut faite en
même temps à Rouen par M. Dulague, j’ai trouvé que parie
parallèle de 3 6d 1 o', la fonde du banc des Éguilles s’étend
jufqu’à 2 1 degrés de longitude a i’Eft de Paris, c’efl-à-dire,
cent lieues environ à l’Eft du cap de Bonne-efpérance.
Le ciel, avant les tempêtes dont je viens de parler, étoit
de la plus grande netteté, & j’ai été témoin d’un phénomène
qu’on n’a jamais remarqué en France, du moins que je fâche,
même dans les temps les plus beaux & les plus fèreins.
Le 10 A v ril, étant à 30e1 4 5 ' de latitude, & environ
16 degrés à l’Eft du cap de Bonne-efpérance, un quart-
d’heure avant le coucher du Soleil, j’aperçus une Étoile qui
frifoit la vergue du grand perroquet : je reconnus que c’étoit
Canopus; alors je cherchai Sinus, que je vis beaucoup plus
diftinélement que Canopus. Sirius l'emporte en effet par fon
éclat fur cette dernière, & il y a bien apparence que j’aurois
vu ces Étoiles plus tôt encore fi je les avois cherchées ; mais
j’ignorois qu’on pût en voir, le Soleil étant fur l’horizon.
J’avertis M. de'Cordoua & fon État-major ; ils virent tous,
comme moi, Canopus & Sinus avant le coucher du Soleil.
La nuit qui iurvint refîembloit à ces belles nuits de 1 Inde,
dont j’ai parlé ; & les Étoiles n’avoient aucune fcintillation.
Le 18 A v r il, avant le lever du Soleil, par 3 5 degrés de
latitude, & 12 degrés environ à l’Eft du cap, il y avoit au
Levant un nuage très-épais, en forme de barre, dont le pied
étoit fous l’horizon ; & la partie fopérieure étoit élevée de
plus de 10 degrés au-deifus. Lorfque le Soleil parut au-
deflus de ce nuage, il étoit encore élevé de 7 à 8 degrés; le
refte
'd a n s l e s M e r s d e l ’I n d e . 65
refte du ciel étoit d’une fi grande pureté, que je vis Jupiter,
le Soleil étant levé ; car je ne perdis cette Planète de vue
qu’une minute avant que le Soleil fortît du gros nuage;
encore y avoit-il une eipèce de nuage tranlpareiit qui paffoit
alors fur Jupiter.
Cette remarque confirme ce que M. l’abbé de la Caille
dit de la beauté du ciel au cap de Bonne - efpérance. C e
célèbre Aftronome avoit demandé qu’on lui envoyât des
verres objeélifs ’ d’un long foyer : il eût été à defirer qu’on
J’eût fait; car il n’y a pas de doute qu’il ne nous eût rapporté
des découvertes très-intéreiTantes, principalement fur les
révolutions des Planètes autour de leurs axes.
Nous doublâmes enfin ce cap fort heureufement le I I
'de Mai : j’appelle fort heureufoment d’en être venus à bout,
fans la moindre avarie, |que la perte d’un grand foch, qui
fut emporté contre notre attente ; car il étoit tout lieuf, &
Don Jofeph de Cordoua l’avoit fait faire exprès, avant que
d’arriver au cap, pour nous foutenir à la cape.
Lorfque nous fumes parvenus à 1 1 degrés de latitude
boréale, & par le trente-fixième méridien à l’Oueft de Paris,
nous rencontrâmes les Vaifîèaux François de Chine, fur
lefquels je n’avois pu m’embarquer a 1 Iile-de-France • ils en
étoient fortis dix jours environ après nous.
Nous avions tous quitté cette île avec des nouvelles de
préparatifs de guerre entre l’Efpagne, l’Angleterre & la
France : en conféquence les Vaiffeaux de Chine, qui étoient
riches de quatre à cinq millions, demandèrent à M. dé
Cordoua de les efeorter jufqu’aux environs du Tropique,
parce qu’ils efpéroient y trouver des Vaifîèaux qui nous
donneroient des nouvelles d’Europe, les .Vaifîèaux d’An-
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