Depuis deux ou trois jours, le Gouverneur setoit retiré
à fa maifon de campagne : je lui écrivis la lettre fuivante.
M o n s i e u r ,
« La million dont j’avois eu l’honneur d’être chargé par
» le Miniftre, étant terminée, & n’ayant rien tant à coeur que
» de repalfer en Europe pour y rendre compte de mes diffé-
» rentés opérations académiques, je profite de la bonne volonté
» de Don Jolèph de Cordoua, qui veut bien me paflèr à
» Cadiz; ainfi, Monfieur, j’ai l’honneur de vous prévenir que
» je m’embarque fur la frégate de S, M. C . Y Aßree..
J’ai l’honneur d’être, &c. »
J’écrivis la même lettre à M. le Commîflâire-ordonnateur»
11 me répondit fur le champ, en termes les plus honnêtes»
qu’il étoit enchanté de cet arrangement, &e. qu’il partageoit
bien fincèrement le plaifir que ces nouvelles dilpofitions
devoient me faire, & c . Il me fouhaitoit un heureux voyage;
& me renouvelait, avec grand plaifir, les aßurances du fincère &
inviolable attachement avec lequel il avoit l’honneur d’être, ¿Ce.
Le Gouverneur ne me fit aucune réponlè. Je n’en fus
point furpris; je m’y attendois : mais comme je me regardois
le Sujet du Roi le plus libre & le plus indépendant qui fût à
l’Ifle-de-France, eu égard à l’honneur que j’avois de voyager
par ordre & aux frais de Sa Majefté ; qu’en écrivant au
Gouverneur, comme j’avois fait, & le prévenant fur mon
départ, j’avois lâtisfait à la polxtelîê requife en pareil cas, la
ièule choie qu’il fût en droit d’exiger de moi : je ne crus pas
que fon filence à ma lettre dût me retarder un inftant. En
conféquence, Don Jolèph de Cordoua, avec lequel je dînai
le 2 6 , chez M. Eftenaur, m’ayant affiné qu’il partoit fous
deux à trois jours, je fis embarquer la plus grande partie de
mes effets le 2 7 .
Le 29 au matin, j’allai trouver M. Eftenaur, qui com-
xnandoit en l’abfence du Gouverneur : je lui dis que le
Gouverneur ne m’avoit point répondu; il me donna une
permilfion générale de m’embarquer fur tel Vaiffeau que je
jugerois à propos de choifir.
Il n’y eut pas jufqu’au Bureau des Claflès où les Com-
miflàires voulurent auifi me fufeiter de petites tracafferies.
J’avois été obligé de me préfenter à ce Bureau, quand je
m’embarquai fur Y Indien ; je retournai à Ce même Bureau pour
prévenir le Commiffaire que-je débarquois de Y Indien, &
que j’ailoïs partir fur YAJlrée. Le Commiffaire voulut me faire
quelques difficultés; il prétendoit que j’avôis befoin de l'agrément
du Gouverneur pour prendre une route étrangère : il
eft cependant vrai que l’agrément de celui qui commande
en fécond a toujours fuffi en l’abfence du Gouverneur. H y
avoit une autre raifon à joindre à celle-ci : 011 verra par le
paftèport que je rapporte à la fin de cet extrait, que j’étois
abfoiument indépendant du Gouverneur fiir ce point, & que
j’étois pleinement te maître de choifir un Vailîèau étranger,,
fans que ni lu i, ni les Commiffaires des Claflès puflènt s’y
oppofer. Je m’étois en quelque forte mis fous la protection
du pavillon Efpagnol, & j’étois par cette raifon fujet a la
police de ce pavillon : je n’étois donc pas obligé de retourner
au Bureau des Claflès de l’Iile-de-France; & je voulus par-là
faire voir aux Commiffaires, que je n’étois plus fujet à leurs
formalités. Aufli je ne leur fis pas von la permilfion que
j’avois de M. le Commandant du Port en l’ablence du
Gouverneur : je la lui avois demandée pour ma propre
fatbfaétioiv; & je la mis dans mon porte-feuille.