V o y a g e
pêcher de fairè cette démarche; que je viiTe à m’arranger
avec M. de Cordoua, mais qu’il ne pouvoit pas s'en mêler :
il ajouta qu’il tâcheroit de me mettre fur les Vaiflëaux de
Chine; qu’il failoit de toute néceflité que ces Vaiflèaux paf-
faflèntpar l’Iile-de-France: il me répéta la même promelTe
en le quittant.
Malgré cette afliirance, une voix fecrette me difoit de
fuivre ma première idée. J’avois connu particulièrement Dop
Jofeph de Cordoua ; je me perfuadai donc facilement que
je réuflirois à obtenir de lui palfage fur fa Frégate: cepen-*
dant pour plus de certitude encore dans la réuifite, je crus
que je ne ferois pas mal d’employer quelqu un auprès de
lui. J’écrivis en conféquence à M. de Modave, Chevalier
de S. Louis, & Meihe-de-Camp, mon ami; il étoit encore
plus lié que moi avec M. de Cordoua. Dans ma lettre, je
lui fis part de mon projet, & le priai d’en faire la première
ouverture à Don Jofeph de Cordoua.
M. de Modave, lorfque je jui écrivis, étoit à fa maifori
de campagne, à quatre à cinq lieues du port. Ma lettre erra
fept à huit jours avec la perfonne à qui je i’avois confiée;
pendant cet intervalle, Don Joleph de Cordoua avoit eu le
temps d’aller au Réduit, maifon de campagne du Gouverneur ;
ôc de revenir au port ; M. de Modave, qui etoit aulli alîç
au Réduit pour voir Don Joleph de Cordoua, étoit aulli
retourné à fa campagne; ce ne fut que plufieurs jours après,
qu’il reçut ma lettre, & j’ignorois ce qu’elle étoit devenue.
J’allai voir, à fpn retour du Réduit, Don Jofeph de Cordoua
à fiord de fa Frégate ; il me reçut parfaitement bien, & me
retint à dîner avec lui : cependant je ne lui parlai de rien,
pgrcç que j’atfendois toujours des nouvelles de M. de Modave:
je réfolus.
d a n s l e s M e r s d e l ’I n d e . f j
je réfolus ainfi de patienter encore quelques jours, afin de
voir fi les Vaifléaux de Chine paflerojeht par l’Ifle-de-France.
Car fi d’un côté j’eufle été charmé d’être aflîiré de palier
fur l'AJlrée, je craignois de l’autre, les reproches qu’on auroit
été en droit de me faire en France, d’avoir pris une voie
étrangère, & d’avoir augmenté la dépenfe ; pendant que
j’aurois eu à ma dilpofition deux Vaiflèaux de ma nation qui
aiiroient pu me ramener. Enfin ie 1 7 Mars, dans l’après-
midi, les deux Vaiflèaux de Chine arrivèrent & mouillèrent
en rade. Je fàvois qu’il ne manqueroit pas de fe prélènter
une foule de paflagers : je ne m’endormis donc point ; je fis
fur le champ les démarches néceflàires pour m’embarquer fur
un de ces Vaiflèaux. Mais j’efluyai à ce fujet les tracafièries
les plus fingulières , & qui me chagrinèrent d’autant plus
que je ne les croyois point faites pour moi, penfant être
dans un cas privilégié ; cependant le Gouverneur me cita
plufieurs fujets qu’il étoit bien jufte, lèlon lu i , de me
préférer. L ’hiftoire de cette aventure feroit trop longufe à
tracer ici ; il fuffira de dire que je paflai cinq jours dans
la plus grande perplexité; j’avois eu plufieurs entrevues,
toutes infruélueufes, avec le Gouverneur ; j’avois écrit plufieurs
lettres à M. fe Commiflàire-ordonnateur, avec auflî
peu d’effèt, puifqu’il me renvoyoit au Gouverneur. Je fus
invité fe 19 , à foüper chez M. de Boulac, Chevalier de
Saint-Louis. L e Gouverneur s’y trouva; nous étions plus de
trente perfonnes aflèmblées. J’eus, avant le fùuper, encore
un entretien avec lui, toujours fur le même fujet, & toujours
auifi infruéhieux. Ne pouvant rien gagner, je lui
di« que je lui écrirois pour avoir fon refus par écrit, parce
que je ièrois obligé de me difculper vis-à-vis du Miniftre &
Tome I. H