défemparés au point d’être forcés d’arriver, de revenir-à
Manille, & de manquer leur voyage. Un Pilote françoîs a
reconnu , dans ces derniers temps, qu’il ne falioit pas aller
fi Nord ; & que les voyages étoient beaucoup plus courts &
plus heureux, en fe maintenant -entre 32 & 34 degrés,
route que fuivent aujourd’hui les Galions.
L ettre à M . d e LA N u X , Correfftondani de l'Académie
Royale des Sciences ; à l’île de Bourbon (a ).
J ’ ai reçu, Moniteur, la lettre de félicitation que vous m’avëz
adreffée, fur mon retour de Manille à Pondichéry; je fuis très-fenfibie
à l’intérêt que vous prenez à ce qui nie regarde; j’ai répondu
à M. de la Lande, que j’étois revenu à la côte de Coromandel pour
ne pas faire fchifme ; j’ai faifi pour cet effet la première occafion
qui s’eft préfentée , il a fallu me contenter d’un Vaiffeau portugais
de Macao, qui alloit à Madras, & qui m’a amené ici en trente-deux
jours de navigation ; cette belle traverfée a furpris ici beaucoup de
perfonnes, comme s’il n’appartenoit qu’à nos Vaiffeaux d’être borls
voiliers.
J’aurois beaucoup de chofes à vous dire fur cet objet, mais le temps
me manque, & je remets à le faire dans une autre occafion.
Je fuis ici dans le plus beau pays du monde , mais vous le
connoiflèz affez par les récits que vous en avez entendu faire;
cependant, quoique ce climat l’emporte certainement de beaucoup
fur celui de vos Iiles, je trouve qu’il a quelques incommodités que
vous êtes !affez heureux pour ne pas connoître dans ces Ifles ; vous
ignorez du moins les plus défagréables.
Ces incommodités font les grandes chaleurs-; les vents de terre
qui les accompagnent, ou plutôt qui les caufent; les bourbouilles,
(a) Cette lettre roule fur quelques incommodités de l’Inde, mais principalement
fur la lumière de la-mer.
efpèce de maladie de la peau; le flux de fa n g , 011 le connoît à l ’ile
de France, & je crois qu’il eft de tous les pays ; le mordechen, efpèce
d’iudigeftion ; les mouftiques, on les connoît à l ’île de France ; les
couleuvres ou ferpens, ç ’eft un fléau que vous avez le bonheur de
ne pas connoître dans vos Ifle s; les fourmis, on en a bien aufli
quelques-unes à l ’île de Fran ce ; & enfin la rage, ce dernier fléau
eft bien commun dans l ’Inde.
L a chaleur eft , félon m o i, la plus grande incommodité qu’on
éprouve à Pon d ich éry , & tout le lon g de la côte ; car en avançant
dans les terres & du côté des montagnes, on doit trouver un climat
tout différent.
Les vents de terre, ces vents brûlans qui accompagnent les
chaleurs, ne font pas moins incommodes : vos Ifles font trop petites,
trop montueufes & trop éloignées de la L ig n e , pour être expofées
à de pareilles chaleurs & à de tels vents.
L e s bourbouilles viennent de la chaleur du climat, car on ne les
relient que dans la faifon des vents de terre ; les V o y a g e u r s , fur-tout,
en font fort incommodés. Je me rappelle que Bern ier, dans fon
voyage de D e lh y à Ca ch emire , s’exprime ainfi :
Le Soleil ne fait que de fe lever, cependant il eft infupportable, ... . ;
tout mon vifqge, mes mains ù “ mes pieds font pelés, ¿7“ mon corps eft
tout couvert de petites pujlules rouges qui me piquent comme des aiguilles.
A P on d ich éry , à peine le Soleil eft—il levé q u ’on n ’ofe plus fe
trouver ni fe promener en fa préfence dans la faifon des grandes
chaleurs ; les Européens fon t. alors fort incommodés du poids de la
chaleur, & d’une eipèce de maladie ou ébullition appelée bourbouilles ;
lorfqu’elles s’annoncent ; on commence à fentir, dans le front & fur
les épaules, comme fi on y avoit des aiguilles : peu-à-peu il vient
de petits boutons & des pullules ro u g e s , qui durent ordinairement
pendant tout l ’été ; elles tourmentent un peu moins Iorfqu’on eft
tranquille, mais pour peu q u ’on s’a g ite , il femble q u ’on ait le corps
tout lardé d’aiguilles, & qu’on vous les enfonce toutes à la fois ; on
éprouve cette douloureufe fenfation aux b ra s, aux épaules , derrière le
cou, danj le dos & fur la peau du ventre : les liquides femblent irriter les
Q q q q ij